500 ans après la publication de « Utopie », hommage à Thomas More

Par Carlos Moreno  |   |  870  mots
Thomas More, par Hans Holbein le Jeune (1527).
Dans ce monde de transition du XXe au XXIe siècle, la pensée utopique de ce penseur humaniste mérite d'être redécouverte.

Dans ces temps troubles de « la post vérité », de la manipulation, de l'intolérance, du rejet de l'autre, de l'autoritarisme et du repli sur soi, le dernier texte de l'année 2016, je le dédie au 500e anniversaire de l'invention de l'UTOPIA [1], par Thomas More.

Rendons hommage à un humaniste qui a voulu décrire une société paisible, où travail, repos et plaisirs s'équilibrent, où la fraternité règne, où les hommes croient dans les dieux de leurs choix, en vivant libres et en harmonie avec la nature. C'est dans cet île baptisée Utopia, du nom du chef des romains Utopus, qu'un système vertueux de vie heureuse fut bâti, après qu'il eût échoué sur cette terre. Thomas More était un fervent catholique, rempli d'espoir dans l'homme et convaincu de la valeur de la démocratie dans une société humaine. Il pensait que son accomplissement était du ressort de l'engagement de ceux qui vivent en société et non pas issu d'une intervention divine. Il décrit aussi les limites et faiblesses de la nature humaine, déteste les guerres, préconise la transparence ainsi que la punition pour ceux qui commettent des crimes et émet le souhait d'une société idéale, bâtie par l'homme au service des hommes. Sa société idéale est plus un appel au réveil de la conscience humaine créatrice et salutaire, qu'un appel à la révolte : « Je le souhaite plus que je ne l'espère ».

Avec Erasmus, son ami indéfectible, qui avait écrit « L'éloge de la folie », admirateur de l'humaniste italien Pic de la Mirandole, il est porteur d'un humanisme qui a des valeurs universelles, se ressourçant dans l'antiquité de Platon et sa « République » en apportant à la Renaissance l'espérance d'un monde meilleur, dans une époque qui se débattait avec des particularismes de toute sorte, replis nationaux, littératures locales, divisions et schismes isolationnistes.

Amoureux de la pensée humaine

Devenu grand Chancelier du Royaume d'Angleterre, défenseur du Pape et de l'unité de l'Eglise catholique et s'opposant à ce que le roi d'Angleterre soit également le chef de l'Eglise anglicane, il fut accusé de haute trahison, jugé et décapité en 1535. Son œuvre, écrite en latin, s'est surtout répandue quelques années après sa mort, avec ses traductions en multiples langues modernes pour acquérir une influence mondiale dans la pensée sociale et ce jusqu'à nos jours. Ironie de l'histoire, en 1935, deux ans après l'arrivée de Hitler au pouvoir, quand le parti nazi commence à répandre sa haine comme socle de sa gouvernance, et 400 ans après sa mort, Thomas More fut canonisé.

Pour cet amoureux de la pensée humaine « Utopie », du grec « topos », étymologiquement un « non lieu », est une île avec de proportions infinies, qui n'existe pas sur une carte. Mais il est question aussi du lieu platonicien (la Khôra) dans lequel s'inscrit notre existence, le territoire de la vie, de l'être social, celui du « Polis » toujours en grec, du « Civis » en latin. Cette « Utopie » nous rappelle « l'écoumène » d'Eratosthène, quand l'homme découvre sa terre, avec la prise de conscience que l'homme et nature sont la même expression de la vie et que les relations sociales entre les hommes eux-mêmes et la nature sont interdépendants.

Bien des utopies sont encore vivantes aujourd'hui,

L'œuvre de Thomas More, inspiratrice de nombreux courants de pensées, a traversé le temps. L'utopie est devenue le rêve impossible, dans le langage courant. Mais les temps modernes ont engendré son contrepoint, la dystopie, quand le rêve d'un idéal paisible devient un cauchemar. En effet, l'utopie fut reprise par Rabelais, Voltaire, Babeuf, Saint Simon, Fourier, Proudhon, Marx, Engels, entre autres. La philosophie et la littérature utopiques originelles de Thomas More ont été réinterprétées par la pensée politique marxiste du XIXe siècle découlant sur les expressions totalitaires du communisme du XXe siècle. Hélas, un univers bien lointain, antinomique, de ce que l'humaniste Thomas More avait pu imaginer pour son île.

Pour autant bien des utopies sont encore vivantes aujourd'hui, nourrissant multiples projets et espoirs au travers le monde.

Il n'en reste pas moins que 500 ans après sa publication, la pensée utopique humaniste mérite d'être redécouverte. Dans ce monde de transition du XXe au XXIe siècle, miné par les nationalismes, le rejet de l'autre, la démagogie, les populismes de toutes sortes, le poids des religions pratiquées avec intolérance, la cohorte du racisme et de la xénophobie qui gagne du terrain partout, sans compter l'exclusion sociale de notre monde devenu urbain et le déracinement humain de nos vies citadines, il est certainement bénéfique de se ressourcer dans cette pensée, pour régénérer ces valeurs universelles, indispensables pour notre survie aujourd'hui.

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[1] Titre original de son texte : « De optimo Reipublicae statu deque nova insula Utopia libellus vere aureus, nec minus salutaris quam festivus », « Du meilleur état de la chose publique et de l'île nouvelle d'Utopie, un précieux petit livre non moins salutaire que plaisant ».