Wikileaks : la justice laisse l'hébergeur français OVH devant ses responsabilités

Par latribune.fr  |   |  625  mots
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Les tribunaux de grande instance de Paris et de Lille se sont dit incapables de trancher sur la licité du site Wikileaks. Eric Besson, qui attend le rapport du CGIET cette semaine, souhaite le retrait des documents des serveurs. Mais le ministre dispose de peu de marge de manœuvre juridique.

Eric Besson peut-il interdire l'hébergement du site Wikileaks en France ? Le ministre de l'Economie numérique a demandé vendredi au Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET) une étude sur la faisabilité technique et juridique d'une telle interdiction. Ce dernier est censé rendre sa réponse cette semaine. Premier visé : l'hébergeur OVH. Ce dernier, qui a décrit les actions juridiques en cours sur son blog, a voulu "utiliser la procédure sur requête qui consiste à demander l'avis d'un juge sans procédure contradictoire", plutôt actionnée pour des actes de procédure. Du coup, autant à Lille qu'à Paris, les tribunaux de grande instance ont rejeté les requêtes d'OVH. Le tribunal de Lille a expliqué "qu'OVH ne justifiait pas de la nécessité d'obtenir une autorisation judiciaire", selon le blog du site. Le TGI de Paris a expliqué qu'un "débat contradictoire" était nécessaire. En revanche, contrairement à ce qui avait été annoncé vendredi, aucune procédure de référé, qui requiert l'assignation d'une autre partie, n'a été intentée. 

La classification des documents n'est pas valable en France

Quoiqu'il arrive, selon la loi sur l'Economie numérique de 2004 (LCEN), seule une décision de justice peut contraindre un hébergeur à retirer un contenu illicite, qui enfreint le droit d'auteur ou qui est à caractère pédopornographique. Encore faudrait-il qu'une partie notifie à l'hébergeur que le contenu est illicite. Autre solution, assigner directement Wikileaks. Pour le moment, le ministre Eric Besson s'est contenté de vouloir empêcher "l'hébergement du site". Classés confidentiels par l'administration américaine, les fichiers de Wikileaks sont-ils illicites, comme on le laisse entendre chez Eric Besson ? En France, la violation de documents classés secret défense par exemple peut être sanctionnée par des amendes et des peines de prison. Mais cette classification concerne uniquement des documents émis par les autorités françaises, et ne s'applique pas aux documents émis par des États étrangers. En outre, pour le moment, il n'y a aucune preuve formelle qu'il s'agisse de fichiers volés.

Traité de Vienne

Chez Éric Besson, on assure aussi que la divulgation des documents de Wikileaks enfreint le « traité de Vienne sur les relations diplomatiques ». Si le Traité "consacre bien un principe d'inviolabilité des correspondances diplomatiques, il ne vise que les communications transmises d'un Etat à un autre", indique un juriste. Cette "convention n'impose des obligations qu'aux seuls États". Ce qui signifie que la France par exemple ne peut intercepter des dépêches diplomatiques transmises entre l'ambassade des Etats-Unis et le département d'Etat.

Eric Besson ne propose pas le filtrage du site

Le cabinet de Besson justifie sa démarche par la nécessité de « protéger l'ordre public et les droits fondamentaux». Vaste, la notion d'ordre public doit également être rattachée à un texte. Cherchant à donner corps à cette accusation, le ministre a expliqué sur Europe 1 ce week-end que Wikileaks était considéré comme un site "criminel" par les Etats-Unis, une puissance "amie". Si Wikileaks est si dangereux, pourquoi Éric Besson ne demande-t-il tout simplement pas son filtrage par les opérateurs télécoms ? « Nous n'allons pas sur ce terrain-là », indique-t-on chez Besson.

Longtemps tabou, le filtrage est désormais possible juridiquement. Cet été, le Tribunal de Grande Instance de Paris a ordonné aux opérateurs télécoms de barrer la route à un opérateur de jeux d'argent sur Internet illicite. En outre, la future loi sur la police (la LOPPSI 2) devrait consacrer le filtrage des sites pédopornographiques sans l'autorisation du juge. Mais pour le tout nouveau ministre de l'Economie numérique, une telle démarche s'apparenterait à une déclaration de guerre auprès des opérateurs télécoms.