Patriotisme économique : Free répond « non merci » à Montebourg et à Alcatel

Par Delphine Cuny  |   |  735  mots
Michel Combes, le directeur général d'Alcatel-Lucent, avait signé une tribune à charge contre Free il y a un an. Aujourd'hui, le fournisseur d'accès ne compte pas lui tendre la main... | REUTERS
Alors que le ministre appelle les opérateurs français à passer des commandes à l’équipementier télécoms en difficulté, le directeur général d’Iliad/Free a fait valoir qu’il n’était pas question de changer de technologie donc de fournisseur.

Le patriotisme économique sauvera-t-il Alcatel-Lucent ? C'est l'un des débats qui animent le secteur des télécoms depuis que le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a appelé les opérateurs français à soutenir l'équipementier en difficulté. Cependant, Michel Combes, le directeur général d'Alcatel-Lucent, a reconnu lui-même, jeudi, lors du colloque organisé par le gendarme du secteur, l'Arcep, que le groupe réalise « plus de 95% de son chiffre d'affaires à l'international » et qu'il « paie au prix fort les erreurs du passé, notamment des virages technologiques manqués. »

Dressant un tableau plutôt noir de l'avenir, dans lequel l'Europe risque de devenir « le continent oublié des télécoms » du fait d'un sous-investissement, il n'a pas explicitement demandé aux opérateurs de venir à son secours mais souligné « le rôle crucial » que le régulateur et les pouvoirs publics avaient à jouer.

« On ne change pas d'équipementier en cours de route à la demande d'un ministre »

Un discours guère apprécié par le dirigeant de Free présent également au colloque, Maxime Lombardini, le directeur général d'Iliad, la maison-mère. Il a d'abord contesté cette « caricature permanente » d'une Europe qui serait « à la préhistoire des télécoms », une vision qui oublie le consommateur : « le modèle américain est peut-être formidable, mais le forfait mobile est à 120 dollars et l'accès fixe à 150-200 $. Si c'est ce que l'on veut, il faut un référendum et il n'est pas gagné d'avance. »

Sur le patriotisme économique, il a fait valoir que « Free est le seul des 4 opérateurs mobiles à ne pas être client d'un équipementier chinois, à la demande du gouvernement précédent et de l'actuel. » Le Chinois Huawei, numéro deux mondial dans le mobile, est en effet l'un des deux équipementiers de Bouygues Telecom et de SFR, il est aussi fournisseur d'Orange dans d'autres pays, mais également de Free dans le fixe.

D'ailleurs, « les équipements des chinois ne sont pas les plus chers mais sont parmi les plus performants. Le choix est d'abord conduit par la technologie », a-t-il expliqué, disant tout haut ce que murmurent en coulisses tous les opérateurs.

 

« Free a choisi Nokia Siemens [devenu Nokia Solutions Networks] au lancement. On ne change pas d'équipementier en cours de route. Ceux qui pensent qu'on peut changer comme ça du jour au lendemain, parce qu'un ministre nous sollicite, ne connaissent rien aux réseaux télécoms. Ce sont des architectures spécifiques que l'on construit dans la durée. »

 

La rancune de Free contre Michel Combes

Quant au cas précis d'Alcatel-Lucent, « quand j'entends Michel Combes et sa critique en règle contre le quatrième opérateur et la concurrence, cela ne me donne pas spécialement envie de lui mettre des contrats dans les mains » a observé le DG d'Iliad, qui a rappelé la tribune à charge (visiblement mal digérée chez Free où l'on a la rancune tenace) signée par le patron d'Alcatel lorsqu'il était encore à la tête de Vodafone Europe, en février 2012. Evoquant « le cataclysme provoqué par l'arrivée de Free », Michel Combes avait notamment écrit « pourquoi soutenir à bout de bras des opérateurs sous-dimensionnés, au modèle économique improbable, qui faussent en fait la concurrence et obèrent la capacité des autres à investir ? »

Etre patriote c'est travailler avec l'écosystème

Quelques heures plus tôt, à l'ouverture du colloque, le directeur de cabinet de la ministre à l'Economie numérique, Fleur Pellerin, avait tenté d'expliciter et de tempérer le message sur le patriotisme économique.

« Bien sûr, nous souhaiterions que les opérateurs soient le plus patriote possible dans leurs achats. Il y aura de nouveaux marchés prochainement. Nous voulons inviter les opérateurs à faire les bons choix », a déclaré Sébastien Soriano, tout en convenant que « on ne peut changer de choix technologique du jour au lendemain. » Le patriotisme économique c'est aussi « avoir une politique d'innovation ouverte, travailler avec d'autres entreprises, leur écosystème : les télécoms ont été trop concentrés sur leur secteur. L'Europe a raté le virage de l'Internet 2.0. Il faut se donner les moyens de résoudre ce bug et construire les champions numériques de demain. »

Pour faire d'Alcatel-Lucent un champion, la route sera encore longue et passera peut-être par un mariage avec un autre européen...

 

>> Revoir le colloque de l'Arcep en vidéo