« Sans le crédit d’impôt recherche, j’aurais peut-être choisi Londres ou Luxembourg » (PDG de Rakuten)

Par Propos recueillis par Delphine Cuny  |   |  704  mots
« Il ne faut pas démotiver les créateurs d'entreprises » insiste Hiroshi Mikitani, le fondateur et PDG de Rakuten.
Hiroshi Mikitani, le PDG du groupe japonais Rakuten, faisait partie de la trentaine de grands patrons conviés au Conseil stratégique de l’attractivité ce lundi. Le fondateur du numéro deux mondial de l’e-commerce, maison-mère de PriceMinister en France, qui a été décoré chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur par Laurent Fabius, a également annoncé la création dans la capitale de son premier centre de recherche en Europe. Interview.

Vous avez participé ce matin à l'Elysée au Conseil stratégique de l'attractivité et aviez deux minutes pour vous exprimer. Qu'avez-vous déclaré ?

Hiroshi Mikitani: Tout d'abord, je salue la volonté d'ouverture du Premier ministre et du Président. Ils n'ont pas eu peur d'affronter des personnes aux opinions très fortes sur l'environnement fiscal, sur la flexibilité de la législation du travail ou la simplification des procédures administratives. Mon principal message a été de dire que la France doit encourager les entrepreneurs. J'ai aussi demandé de diminuer la taxation sur les plus-values car elle risque de démotiver les créateurs d'entreprises ou les inciter à déménager rapidement vers un autre pays. Lorsque j'entends parler de la taxe à 75% (sur les très hauts revenus pour la fraction de rémunération supérieure à 1 million d'euros), je trouve cela vraiment décourageant, même pour moi. Il faut descendre sous les 50% si l'on veut soutenir l'écosystème des entrepreneurs et adopter des dispositions fiscales plus comparables à celles des autres pays d'Europe. Sinon les gens vont déménager.

Pourquoi avez-vous choisi Paris pour installer votre premier centre de R&D européen ?

Nous avons regardé d'autres villes en Europe. Mais les ingénieurs aiment vivre à Paris. Et nous avons eu une bonne surprise : le nombre d'ingénieurs de grand talent en France est plus important que ce que nous pensions. Je ne parle pas seulement de développeurs, mais de scientifiques de haut niveau, des spécialistes des données et du Big Data (« data scientists ») des scientifiques du langage, etc. D'habitude, nous avons toujours du mal à recruter, même au Japon, et nous nous trouvons en compétition avec Google, Facebook, LinkedIn ou Twitter. Ici, nous n'avons eu aucune difficulté et nous avons déjà embauché 8 personnes.

Est-ce que le crédit d'impôt recherche a constitué un élément déterminant ?

Nous recrutons des gens très intelligents mais notre centre de R&D ne sera pas énorme, comme celui d'un constructeur auto par exemple : le Rakuten Institute of Technology de Paris accueillera plus de 20 ingénieurs d'ici à la fin de l'année. L'effet du crédit d'impôt recherche sera graduel, nous ne réalisons pas encore assez de bénéfices pour que cela joue. Ceci dit, s'il n'y avait pas eu le crédit d'impôt recherche, j'aurais hésité et j'aurais peut-être choisi une autre ville, peut-être Londres ou Luxembourg.

Êtes-vous satisfait de l'évolution de PriceMinister, que vous avez acquis en 2010 ?

Nous avons progressivement fait évoluer son modèle économique. C'était une place de marché uniquement entre particuliers, aujourd'hui le site réalise plus de 50% dans le « BtoBtoC », la vente de professionnels aux particuliers, et devient une sorte de grande galerie marchande, un lieu de shopping. Notre prochaine étape sera de mieux combiner, dans un package pour l'utilisateur, tous nos services, qui vont de la liseuse Kobo au service de vidéo Viki (considéré comme le « Hulu » du reste du monde).

Pourquoi avez-vous racheté l'application de messagerie Internet Viber ? L'acquisition ne semble pas avoir plu aux investisseurs, l'action Rakuten a chuté de 9,5%...

C'est une acquisition audacieuse, les investisseurs ont peut-être besoin de plusieurs jours pour bien comprendre. Nous pensons que l'évolution naturelle de l'e-commerce est d'être plus interactif, plus attirant, plus humain. Avec Viber, nos utilisateurs vont pouvoir communiquer avec les vendeurs, partager leur avis sur un contenu lu sur Kobo. Le prix de 900 millions de dollars est très raisonnable si l'on regarde la valorisation d'autres services de messagerie comme Line [la rumeur évoque près de 30 milliards de dollars NDLR] ou WeChat. La différence est que Viber n'a pas encore réussi à monétiser sa base d'utilisateurs. C'est précisément notre expertise, la monétisation. Nous pourrons par exemple faire la promotion des contenus vidéo de Viki, qui existent déjà dans plusieurs langues, auprès des utilisateurs de Viber, et cela dans le monde entier. Avant, pour atteindre la masse critique, il fallait se lancer dans chaque pays. Nous appelons cela le projet « aigle » car Viber va nous permettre de déployer nos ailes dans le monde entier.