Netflix en France : tout ce qu'il faut savoir pour son lancement

Par Delphine Cuny  |   |  1456  mots
« Nous voulons être aimés en France et par les consommateurs français » a déclaré Reed Hastings, le cofondateur et directeur général de Netflix.
L’entreprise américaine qui a révolutionné les modes de consommation de la TV vient de débarquer dans l’Hexagone ce lundi, en annonçant un accord avec Bouygues Telecom. Revue de détail des forces et handicaps de ce disrupteur, cauchemar du PAF (le paysage audiovisuel français), dépeint comme un méchant loup venant bousculer les acteurs français, Canal Plus en tête.

Netflix c'est quoi ?

Un service de vidéo à la demande par abonnement (dit « SVOD »), donnant accès en illimité à un catalogue de films et de séries, à regarder sur son téléviseur, son ordinateur ou sa tablette en « streaming » (sans téléchargement). Selon les tarifs dévoilés cette nuit à minuit lors de la mise en ligne du site français, l'abonnement coûte entre 7,99 euros, 8,99 euros et 11,99 euros par mois (pour un seul écran en définition standard, deux écrans à la fois en HD ou 4 écrans en HD et Ultra HD), il est sans engagement de durée mais reconduit tacitement. Netflix propose un mois d'essai gratuit aux nouveaux abonnés. Il pourrait donc y avoir une ruée de curieux au lancement.

Au départ, Netflix s'est lancé comme un service en ligne de location de DVD par abonnement et par voie postale en 1999, une activité qui existe toujours aux Etats-Unis (6,3 millions d'abonnés) et largement profitable. La société installée à Los Gatos dans la Silicon Valley a développé un service de streaming sur PC à partir de 2007 qui a connu un succès fulgurant : plus de 53 millions d'abonnés payants dans 40 pays, dont 36 millions aux Etats-Unis à fin juin. Netflix Inc réalise environ 5 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel et pèse 29 milliards de dollars à Wall Street : c'est moins qu'Orange ou Vivendi, mais c'est l'équivalent de la capitalisation cumulée de Publicis et Free (Iliad) par exemple.

Quelle est la différence avec la VOD ?

Les services de vidéo à la demande classiques, à l'acte, disponibles sur les Box ADSL, proposent des programmes à la location pour 48 heures en format numérique, généralement au prix de 4,99 euros le film ou 1,99 euro l'épisode. L'abonné à Netflix ne paie qu'une fois et consomme autant de films ou séries qu'il le souhaite.
Des services de vidéo à la demande par abonnement existent déjà en France, le principal étant Canal Play de Canal Plus (7,99 euros sur ordinateur et tablette ou 9,99 euros pour y accéder aussi depuis sa télévision), qui revendique 520.000 abonnés trois ans après sa création. Il y a aussi Jook (AB Groupe), Videofutur (Netgem) FilmoTV et bientôt Series-flix chez Numericable.
En France, le marché de la SVOD n'aurait représenté que 27 millions d'euros en 2013, à peine 10% du marché de la vidéo à la demande (245 millions d'euros), selon les estimations de GfK et NPA Conseil. C'est moins que le chiffre d'affaires réalisé par Netflix en Europe l'an passé (295 millions d'euros selon L'Express).

Comment ça marche ?

Il suffit de surfer sur le site Internet de Netflix sur un ordinateur ou de télécharger l'application gratuite sur tablette et de s'inscrire. A la différence de son concurrent Canal Play, Netflix ne sera pas accessible directement sur son téléviseur ou depuis sa Box en France au lancement, car il n'a pas trouvé pour l'instant d'accord avec les fournisseurs d'accès à Internet (Orange, Free, etc, voir ci-dessous dans ses points faibles), à l'exception de Bouygues Telecom (voir le communiqué annonçant le partenariat). Cependant, il est possible de faire basculer le contenu du PC ou de la tablette sur la télévision et Netflix sera aussi accessible depuis des boîtiers connectés comme des consoles de jeu vidéo, l'Apple TV ou la clé Chromecast de Google.

Quels sont les attraits de Netflix ?

La liberté de choix. Plus besoin d'attendre la diffusion de son film ou de sa série préférée sur une chaîne : Netflix c'est la télévision « délinéarisée » et à volonté, autrement dit quand je veux, où je veux, autant que je veux; la possibilité de regarder l'intégralité de la saison d'une série en un week-end sans attendre un nouvel épisode chaque semaine et sans coupure publicitaire. Netflix produit aussi ses propres contenus exclusifs, comme la série primée « House of Cards » sur les arcanes de la Maison-Blanche et du Congrès, diffusée en France par Canal Plus puis sur D8 en clair.

La fluidité de son interface, qui a de quoi donner des complexes à celles des services de VOD classiques souvent peu intuitives, explique aussi le succès de son service, tout comme la puissance de son moteur de recommandations et suggestions, en fonction des goûts de l'utilisateur, à la manière de ce que fait Amazon dans l'e-commerce.

Le prix, par rapport à la VOD à l'acte ou à un bouquet de chaînes payantes comme Canal Plus (entre 20 et 25 euros par mois en promotion) ou OCS d'Orange à 13 euros par mois, même si les contenus de Netflix ne seront pas aussi récents. Pour Gilles Fontaine, expert de l'Idate, « Netflix crée un nouveau marché, celui de la TV payante low-cost. »

Quels sont ses points faibles ?

Un déficit de notoriété certain dans l'Hexagone : un sondage de Médiamétrie cet été indiquait que 76% des Français ne connaissaient pas Netflix ! Mais le battage médiatique des dernières semaines a peut-être en partie corrigé ce handicap, et ce sans campagne de publicité pour l'instant !

Le manque de programmes récents, en particulier les films : Netflix est soumis, comme Canal Play et autres, à la « chronologie des médias », qui régit les fenêtres de diffusion des films depuis la sortie en salles au passage sur les chaînes de télévision qui en ont acheté les droits. Les films français et étrangers accessibles en vidéo à la demande par abonnement arrivent au mieux trois ans après leur sortie ! Le rapport Lescure prônait la refonte de ce système, qui relève d'un accord interprofessionnel, et la précédente ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, s'était prononcée cet été en faveur d'un assouplissement en ramenant à 24 mois le délai après la sortie « mais uniquement pour les services qui participent au financement et à l'exposition des œuvres françaises et européennes. » Mais Netflix a lui-même commandé une série produite en France ("Marseille") et assure vouloir « investir en France et dans les contenus français » et les diffuser à l'étranger.

La qualité de service suspendue au débit Internet de l'opérateur : afin d'assurer à ses abonnés un service irréprochable, avec une qualité en haute définition, sans image qui se fige ou pixellise, Netflix dépend des fournisseurs d'accès à Internet, qui ont pour l'instant refusé de l'intégrer à leur interface de télévision, estimant les commissions proposées par l'Américain trop peu généreuses (par rapport à Canal Plus notamment). Sauf Bouygues Telecom, en phase de conquête commerciale agressive dans le haut débit, qui vient d'annoncer qu'il distribuera Netflix sur ses Box à partir de novembre. Son service de SVOD étant très gourmand en bande passante au point de représenter un tiers du trafic aux heures de pointe aux Etats-Unis selon une étude de Sandvine, Netflix devra peut-être se résoudre à payer pour obtenir un débit garanti, comme il a dû le faire outre-Atlantique, après des mois de bras de fer avec Comcast et Verizon - tout en en déplorant cette atteinte à la « neutralité du Net », la non-discrimination des contenus sur les réseaux. Les problèmes de lenteur de YouTube chez Free montrent que ce débat n'est en effet pas qu'américain.

Son lancement sera-t-il un succès en France ?

« Nous voulons être aimés en France et par les consommateurs français » a déclaré Reed Hastings, le cofondateur et directeur général de Netflix, cet été. Aucun expert ne croit en un échec en France d'un service aussi plébiscité aux Etats-Unis et dans les pays européens où il a été lancé, et qui correspond aux nouveaux modes de consommation des contenus vidéo. Mais peu croient à un raz-de-marée, entraînant une vague de désabonnement massive de Canal Plus et une chute d'audience notable des chaînes de télévision gratuites.

« Il n'y aura pas de grand soir, l'impact sera long et diffus » relativise Ariane Bucaille, associée chez Deloitte. « C'est un sujet de long terme, Canal Plus et les autres acteurs auront le temps de se retourner. La SVOD représente 1,5% du marché de la TV payante en Europe et devrait doubler à 2,7% en 2018. Cela ne mettra pas à terre l'économie de la télévision en Europe. » Aux Etats-Unis, Netflix a dépassé la chaîne payante HBO en nombre d'abonnés. En Europe, il se lance en septembre dans cinq autres pays, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et l'Autriche.

Article mis en ligne samedi à 14h, mis à jour lundi à 7h.