Crise au Conseil national du numérique : la présidente Marie Ekeland démissionne

Par Sylvain Rolland  |   |  852  mots
Marie Ekeland démissionne du Conseil national du numérique (CNNum) (Crédits : DR)
Une semaine après avoir annoncé la composition de son collège d'experts, Marie Ekeland, la nouvelle présidente du Conseil national du numérique (CNNum), démissionne. En cause : les pressions du gouvernement pour écarter la militante féministe et antiraciste Rokhaya Diallo.

Après une semaine de crise, Marie Ekeland claque la porte. La nouvelle présidente du Conseil national du numérique (CNNum), a refusé de revoir sa copie et de remplacer au moins une de ses 29 nominations, la militante féministe Rokhaya Diallo, dans le collège de l'organe consultatif, suite à la polémique de la semaine dernière.

Dans un texte posté sur le site du Conseil national du numérique, l'entrepreneure et investisseuse explique ne pas être parvenue à trouver un terrain d'entente avec le gouvernement.

"L'enseignement de cette semaine est clair : le projet que j'ai porté d'ouverture, d'indépendance de pensée et de diversité, a été mis à l'épreuve dès le démarrage. Je ne vois pas aujourd'hui, comment continuer à le porter en maintenant son essence et de bonnes chances de réussite".

Indépendance de façade du CNNum

Tout avait pourtant si bien commencé. Lors de l'annonce de la composition du nouveau collège, le secrétaire d'Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, s'était glorifié de l'indépendance totale de l'organe consultatif, y compris pour la nomination de ses membres. L'objectif était de mettre fin aux critiques qui ont régulièrement pollué le CNNum sur l'indépendance de ses avis, en grande partie motivées par le fait qu'il est écrit dans ses statuts que ses membres sont nommés par le Premier ministre.

"La présidente du Conseil a pu -ce qui est inédit- composer son équipe, en intégrant des points de vue dont certains peuvent être différents de ceux du gouvernement", soulignait avec fierté Mounir Mahjoubi.

Mais l'opération de communication s'est retournée contre le ministre. En réalité, les 29 noms proposés par Marie Ekeland avaient bien été soumis à un circuit de validation au gouvernement, comme nous l'expliquions. Mais celui-ci est ensuite revenu sur sa position suite à la polémique concernant les déclarations controversées de la nouvelle membre Rokhaya Diallo sur le "racisme d'Etat", et sur certains propos, dans ses chansons, du rappeur et entrepreneur Axiom. La polémique a été alimentée par la députée LR Valérie Boyer, mais de nombreuses personnes se sont plaintes auprès du gouvernement et de Marie Ekeland, à commencer par certains acteurs de l'écosystème du numérique et par certains membres du nouveau collège eux-mêmes.

Retour à la case départ

Le 13 décembre, Mounir Mahjoubi avait donc demandé à Marie Ekeland de revoir sa copie. Six jours plus tard, Marie Ekeland lui adresse une fin de non-recevoir, préférant se ranger du côté de Rokhaya Diallo:

"Nous avons beaucoup travaillé de concert cette dernière semaine avec Mounir Mahjoubi et les membres du CNNum à trouver une solution qui permette d'en conserver son intégrité et son entièreté. Nous n'y sommes pas arrivés. J'ai donc présenté aujourd'hui ma démission à Mounir Mahjoubi afin de laisser la place à une autre vision au CNNum", explique-t-elle.

La cofondatrice du fonds d'investissement Daphni indique également avoir été "choquée par les caricatures auxquels Rokhaya Diallo et Axiom ont été réduits" car "elles n'ont rien à voir avec ce qu'ils sont vraiment". "La nomination de certains membres, alors que la liste avait été préparée par mes soins, a été interprétée à tort par certains comme une prise de position politique du gouvernement", précise Marie Ekeland. Qui en tire deux enseignements:

"D'une part, il est indispensable que des instances comme le CNNum existent pour protéger des espaces de discussion, d'échanges, longs, complexes et contradictoires, dégagés du jeu médiatique. D'autre part, la forme actuelle de nomination et de fonctionnement du CNNum portent à confusion et ne peuvent pas garantir son indépendance."

Contacté par La Tribune, le secrétariat d'Etat au Numérique indique qu'un nouveau président, chargé de composer un nouveau collège, sera nommé "le plus tôt possible", c'est-à-dire en janvier. Il devra comporter davantage de membres issus des quartiers populaires et de la ruralité et sera composé uniquement d'experts.

Le chantier s'annonce complexe, tant l'affaire Diallo a mis en lumière le paradoxe entre l'indépendance dont a souvent fait preuve le CNNum dans ses rapports, et ses liens avec le gouvernement quant à sa composition. Une position délicate, que le gouvernement semble ne pas vouloir toucher. Dans une réaction publiée par Le Figaro, Mounir Mahjoubi a déclaré : "Le CNNum doit être proche du gouvernement pour nous orienter. Ce n'est pas une force d'opposition, même si conseiller peut signifier dire quand ça ne va pas", a-t-il expliqué. Un "équilibre subtil" qu'il a jugé "cassé" par le collège composé par Marie Ekeland... qu'il avait pourtant validé.