Faut-il inscrire la neutralité du Net dans la Constitution ?

Par Pierre Manière  |   |  828  mots
François de Rugy, le président de l'Assemblée nationale. (Crédits : © POOL New / Reuters)
François de Rugy, le président de l’Assemblée nationale, a indiqué que faire entrer la neutralité du Net dans la Constitution « donnerait une force particulière à ce principe », rapporte Le Monde. Selon lui, cela permettrait, en quelque sorte, de le sacraliser, alors que les États-Unis viennent d’y mettre fin.

La décision récente des États-Unis de mettre un terme à la neutralité du Net a relancé le débat, en France, sur ce principe qui garantit la non-discrimination des contenus sur la Toile. Lors de ses vœux à la presse, ce jeudi, François de Rugy s'est ainsi dit favorable à son inscription... dans la Constitution ! Comme le rapporte Le Monde, le président de l'Assemblée nationale milite pour la reconnaissance « du numérique comme un droit fondamental, en promouvant un accès libre, égal et universel aux réseaux numériques ». D'où l'idée de « constitutionnaliser » la neutralité du Net. Pourquoi ? Toujours selon le quotidien du soir, parce que cela « donnerait une force particulière à ce principe, a poursuivi François de Rugy, dont on voit qu'il peut être attaqué dans de grandes démocraties, comme les États-Unis ». Pour y arriver, une fenêtre de tir existe, puisque le gouvernement souhaite boucler sa révision de la Constitution, à laquelle il travaille en ce moment, d'ici la fin du mois de juillet.

Cette volonté de sacraliser, en quelque sorte, la neutralité du Net, intervient alors que les débats sur ce principe ont repris de plus belle depuis que les États-Unis l'ont balayé en décembre dernier. Pour rappel, sous l'impulsion de Donald Trump, la Commission fédérale des communications (FCC), le régulateur américain des télécoms, a abrogé cette règle mise en place sous l'ère Obama. Cette décision a suscité un fort émoi au pays de l'Oncle Sam, les défenseurs de la neutralité du Net craignant le développement, à terme, d'un « Internet à plusieurs vitesses ». Car, sur le papier, la disparition de ce principe pourrait permettre aux opérateurs télécoms - qui ont mené un important lobbying pour l'évincer - d'avoir la pleine maîtrise du trafic circulant dans leurs tuyaux. Et ainsi d'en tirer profit. Ils seraient, par exemple, en mesure de discriminer certains services et contenus - liés au streaming vidéo, à la musique... - pour favoriser les leurs.

« Des usages nécessiteront des Internets particuliers »

En France, certains opérateurs télécoms ont profité de la décision de la FCC pour, une énième fois, tirer à boulets rouges sur la neutralité du Net. Juste avant l'enterrement de ce principe aux États-Unis, Stéphane Richard, le PDG d'Orange, a jugé sur BFM-TV que l'émergence d'un Internet à plusieurs vitesses constituait « une obligation ».

« Mais en même temps, ce débat est pollué par des considérations politiques, a canardé le chef de file du leader français des télécoms. Parce que quand on dit 'neutralité du Net', on voit tout de suite la main des opérateurs qui viendraient fouiller les contenus et en faire le tri. Ce n'est pas du tout ça le sujet. Le sujet, c'est qu'effectivement, certains usages futurs de l'Internet - je pense notamment à l'Internet des objets ou à la voiture autonome - vont nécessiter des Internets particuliers en termes de latence et de vitesse. Il faudra alors qu'on soit capable de proposer des Internets avec des fonctionnalités et des puissances différentes. Ou en clair, des Internets avec des qualités de service différentes. [...] Il faut qu'on nous laisse le faire. »

« La neutralité du Net garantit le vrai Internet »

Au même moment, plusieurs personnalités ont pris la parole pour défendre la neutralité du Net. Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, le régulateur français des télécoms, est monté au créneau. Dans un entretien à Méta-Média, un blog de France Télévisions, il a estimé que « la neutralité du Net, c'est avoir accès au vrai Internet » :

« La neutralité du Net, c'est la liberté de circulation dans le monde numérique », a-t-il insisté. De même que dans le monde physique nous avons la liberté d'aller et de venir, sur Internet, c'est la liberté d'innover, de poster des contenus, de consulter ce que l'on veut sur tous les sites, les applications que l'on veut, sans avoir des biais qui soient introduits par des intermédiaires. »

Un revirement en Europe est-il possible ?

Quoi qu'il en soit, la neutralité du Net est déjà la règle en France, puisque l'Union européenne a adopté, en août 2016, des règles strictes en la matière. Mais un revirement aussi brusque qu'aux États-Unis peut-il intervenir ? Si oui, alors l'inscription de ce principe dans la Constitution, comme le souhaite François de Rugy, peut véritablement faire sens pour ses défenseurs. Interrogé à ce sujet par Méta-Média, Sébastien Soriano affirme que « les règles de la neutralité du net en Europe s'appuient sur un consensus politique très fort, qui a émergé en 2015 ». « Pour les renverser, poursuit le chef de file de l'Arcep, il faudrait que le Parlement, la Commission et le Conseil s'accordent, ce qui paraît extrêmement peu probable. »