"Il faut mettre les bouchées doubles dans le très haut débit" Jacques de Heere, Acome

Par Pierre Manière  |   |  821  mots
Jacques de Heer
A la tête d’Acome, un des leaders européens de la fibre optique, Jacques de Heere revient sur le déploiement massif de cette technologie dans l’Hexagone via le plan France THD qui vise à offrir le très haut débit à tous d'ici à 2022. Mais le patron prévient que le gouvernement, les opérateurs télécoms et les collectivités territoriales devront davantage s'impliquer pour que le calendrier soit respecté.

Acome est peu connu du grand public. Mais dans le monde des télécoms françaises, cette société née en 1932 constitue un des fers de lance du secteur. Spécialiste de la conception de fils et de câbles pour le bâtiment et l'automobile, Acome est aussi le premier fabricant français de solutions de câblage pour les télécommunications. Dans ses usines de Mortain, dans la Manche, cette société coopérative et participative (Scop) de 1.500 personnes façonne notamment un bien des plus recherchés : la fibre optique. Grâce à des tubes en verre flexibles et ultra-fins, cette technologie de pointe permet de transmettre des monceaux de données via des signaux lumineux. Un créneau où Acome compte parmi les leaders européens.

Or il y a deux ans, le gouvernement a mis le déploiement de la fibre optique au cœur de sa stratégie pour offrir le très haut débit pour tous à horizon 2022, à travers un grand plan d'envergure nationale. Au terme de cet immense et coûteux chantier - mêlant les pouvoir publics, les opérateurs et les collectivités locales -, ces tubes lumineux ont vocation à remplacer le vieux réseau cuivré, où transite encore l'ADSL chez la très grande majorité des Français. Acome, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 405 millions d'euros en 2014 (dont 58% à l'international), constitue un acteur majeur de cet énorme déploiement de fibre optique. Son PDG, Jacques de Heere, fait le point.

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LA TRIBUNE - Comment se porte votre activité fibre optique ?

Jacques de Heere - Elle s'affiche en très forte croissance, de plus de 30% par an depuis 2013. En prenant du recul, on a donc bien tenu le cap, puisque cela n'a pas toujours été facile. Il ne faut pas oublier que pendant de nombreuses années, nous avons perdu de l'argent tout en maintenant nos investissements. L'avantage d'être une Scop, c'est qu'on est très tourné vers une stratégie de moyen-long terme. Malgré les difficultés, nous savions bien que la fibre était la technologie d'avenir dans les télécoms. Et qu'elle finirait bien, tôt ou tard, par remplacer le réseau cuivre.

Quelles difficultés avez-vous connu ces dernières années ?

Il faut rappeler qu'Acome a investi dans cette technologie très tôt, dès les années 1980, et que nous possédons une tour de fibrage [pour tirer la fibre à partir de barreaux de verre, Ndlr] depuis les années 1990. Or cette activité a connu des hauts et des bas. Au début des années 2000 par exemple, c'était l'euphorie. On construisait les réseaux paneuropéens, la fibre avait une cote incroyable. Mais en 2002, la bulle Internet a explosé, et plus personne ne voulait investir dans cette technologie. De 2004 à 2009-2010, il a donc fallu remonter progressivement la pente. Avant d'essuyer la crise financière, qui a une fois encore plombé les investissements. Depuis le secteur a redémarré, avec notamment le catalyseur du déploiement du très haut débit sur tout le territoire.

Justement, de votre point de vue, où en est-on côté déploiements ?

Parmi les acteurs qui investissent dans le plan très haut débit, il y a d'abord les opérateurs que nous fournissons. Orange a franchement démarré, et a confirmé cette année sa volonté d'accélérer très fort dans la fibre. Et ce, tout en nous donnant de la visibilité sur leurs besoins. Pour nous, il s'agit d'un point extrêmement important pour calibrer nos investissements. Quant aux autres opérateurs, Numericable-SFR et Free se mettent dans la roue d'Orange. Bouygues Telecom un peu moins...

Qu'en est-il des réseaux d'initiative publique, qui sont chapeautés par les collectivités territoriales dans les zones rurales et moins denses, où les opérateurs ne vont pas spontanément ?

Certains, comme dans la Manche, sont très en avance. Les autres raccrochent progressivement les wagons. Plusieurs territoires ont décidé de s'équiper, ont lancé des projets. Certains sont en passe d'être validés, d'autres cherchent des financements. A ce jour, 90% du territoire national est engagé dans le déploiement du très haut débit. Pour autant cela ne se traduit pas immédiatement par des commandes auprès des industriels. Mais ce qu'on sait, c'est que d'ici un an à 15 mois, on verra probablement un vrai décollage de ce deuxième vecteur d'investissements que sont les collectivités territoriales. Reste que pour l'heure, on n'assiste pas encore dans une éclosion massive...

Dans ce contexte, l'objectif d'offrir le très haut débit pour tous d'ici à 2022 est-il tenable ?

Pour le volet fibre optique, qui constitue le principal moteur du plan très haut débit, il est clair qu'il faudra mettre les bouchées doubles si l'on veut garder le cap.