Ce que l'IA change dans le social et l'écologie : au service des grandes causes

Par Dominique Pialot  |   |  1225  mots
L'association Singa propose une appli mettant en relation les réfugiés avec des particuliers prêts à les loger. (Crédits : Reuters)
De l'aide aux réfugiés à la lutte contre la piraterie maritime, en passant par la distribution de repas à de petits Indiens, la prévision d'événements climatiques extrêmes ou l'amélioration des rendements agricoles, les champs d'application de l'intelligence artificielle pour construire un monde plus juste sur une terre mieux préservée sont légion. Et ce n'est qu'un début.

Dans la foulée du rapport rédigé par le député (LRM) et lauréat de la médaille Fields, Cédric Villani, et des déclarations du président français, qui promet d'allouer une enveloppe de 1,5 milliard d'euros, l'intelligence artificielle séduit. Mais elle effraie tout autant. Certains de ses promoteurs s'emploient donc à ériger des règles destinées à garantir d'entrée de jeu une IA éthique. Ce qui exige avant tout des données fiables et non biaisées, insiste Marc Carrel-Billiard, directeur général monde de la R&D technologique d'Accenture, basé dans la Silicon Valley et de passage à Paris.

Damien Gromier, président de "France is AI" (une initiative soutenue par France digitale qui rassemble 270 startups, une centaine de laboratoires publics et privés, 50.000 data scientists et quelques grands groupes tels que Malakoff Médéric), s'est donné pour vocation de faire travailler ensemble data scientists et ONG de tout poil. Objectif : démontrer au travers d'applications concrètes au bénéfice des réfugiés, des malades ou des plus pauvres, ou encore de solutions de préservation de l'environnement, qu'il est possible de donner du sens à l'IA. Et que toute artificielle qu'elle soit, elle peut rendre le monde plus humain.

C'est dans cet esprit que s'est déroulé, début avril, sous les ors de l'Assemblée nationale l'événement "IA for good", accueilli par son président François de Rugy, et Cédric Villani en personne.

« Il s'agit de rassembler deux mondes - celui des ONG et celui des data scientists - qui ne se parlent pas assez », a rappelé Damien Gromier à l'ouverture de cette conférence, évoquant l'organisation de hackathons rassemblant ces communautés.

Plusieurs structures et événements ont vu le jour ces dernières années pour mettre la technologie au service de grandes causes. Le salon E-Tonomy, le rendez-vous annuel de l'innovation dans les secteurs des services à la personne, de la santé et du médico-social, promeut des projets innovants qui font se rencontrer les métiers de la technologie et du care. L'organisation à but non-lucratif Techfugees vise à créer un espace de dialogue entre les entreprises technologiques et les réfugiés. Grâce à l'IA, l'association d'aide aux réfugiés Singa, qui a développé une application mettant à leur disposition toutes les informations qui peuvent leur être utiles, optimise la rencontre entre réfugiés et particuliers susceptibles de les héberger.

Optimiser les rendements agricoles

Data for Good, une communauté de data scientists bénévoles mettant leurs compétences au profit de la résolution de problèmes sociaux, fournit aux associations les outils à la pointe de la technologie pour démultiplier leur impact sur la société.

Elle soutient notamment l'association Bibliothèques sans frontières, qui va à la rencontre de citoyens peu habitués à la fréquentation les livres en s'installant dans des stades de foot ou des supermarchés afin de faire tomber des barrières symboliques, et mise sur l'IA pour développer un "librarian bot" capable de reproduire le comportement d'un libraire mais dans un environnement de quelque 25.000 références.

Data for Good travaille également avec la Croix-Rouge. Appliquée aux données détenues par ses 650 établissements, l'IA peut aider la Croix-Rouge à mieux comprendre les usages et les besoins sociaux, à développer des jeux de sensibilisation aux droits humanitaires, des formations aux gestes qui sauvent, à mieux dépister l'autisme... En Inde, Accenture Labs et Akshaya Patra, le plus grand programme mené par une ONG pour distribuer des déjeuners aux enfants, ont utilisé l'intelligence artificielle, l'Internet des objets et la blockchain pour optimiser l'efficacité des opérations, depuis la récolte des denrées alimentaires jusqu'à la cuisson en passant par l'établissement des documents administratifs. À la clé, une augmentation de 20% du nombre de repas servis, une meilleure qualité de la nourriture, et une solution duplicable à d'autres programmes similaires.

Appliquée à l'agriculture, l'IA permet d'anticiper les rendements d'une parcelle en fonction du sol et du climat, et de doser précisément les apports nécessaires en eau et éventuellement en intrants. C'est ce que proposent à quelque 50.000 fermes américaines les logiciels de FarmLogs. « Or la production alimentaire est l'un des principaux défis des prochaines décennies », observe Rachel Delacour, coprésidente de France Digitale, la plus grande organisation de startups en Europe qui regroupe 800 startups et investisseurs du numérique.

« À périmètre constant de ressources, une association peut démultiplier son impact grâce à l'IA - une vague de fond encore embryonnaire mais qui va très vite. »

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[L'association Hackers Against Natural Disasters travaille sur la modélisation des feux de forêts dans le Sud de la France. Ici, un avion bombardier d'eau tente d'éteindre un feu de forêt à Castagniers près de Nice, le 17 juillet 2017. Photo : Reuters / Eric Gaillard.]

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Données inaccessibles ou non labellisées

Autre secteur auquel l'IA peut apporter beaucoup : la prévision des événements climatiques extrêmes. L'association Hand (Hackers Against Natural Disasters) rassemble une bande de geeks qui cherche à mettre ses compétences techniques au service de la prévention des catastrophes naturelles en élaborant des codes open source. Après les tsunamis aux Antilles, Hand planche sur la modélisation des feux de forêts dans le Sud de la France.

« Les obstacles les plus à craindre se trouvent à l'intérieur de nous-mêmes », affirme Cédric Villani. Mais en matière d'intelligence artificielle, un frein de taille réside dans les données, encore trop souvent inaccessibles ou non labellisées, donc impossibles à exploiter par des algorithmes... La politique d'open data menée par l'actuel gouvernement devrait permettre de faire avancer les choses. Cependant, aujourd'hui, « la donnée ne fait pas sens », regrette Nicolas Imbert, directeur exécutif de Green Cross France et Territoires.

« Face au transhumanisme, il est souhaitable de proposer une autre vision de la place de l'homme dans la nature, estime-t-il. Il y a une forte volonté des collectivités locales et des ONG, de redonner du sens, d'insuffler de la conscience. »

L'océan, l'un des chevaux de bataille de cette ONG fondée par Gorbatchev après le sommet de la Terre de 1992, a tout à gagner de l'utilisation des ressources de l'IA : faiblement réglementé à l'exception des bandes littorales, il produit des données en masse. Grâce à l'IA, toute anomalie repérée sur une côte pourrait être immédiatement qualifiée, permettant de lutter de façon efficace contre la pêche prédatrice, mais aussi la piraterie.

Un hackaton baptisé "IA for the planet" sera organisé juste avant la COP24 de décembre prochain en Pologne, regroupant ONG, startups et scientifiques pour qu'ils explorent ensemble toutes les pistes où l'IA pourrait aider à préserver la planète.

Il y a beaucoup à faire dans le secteur de l'énergie et la maîtrise de la consommation, et l'on peut espérer voir apparaître des solutions permettant de limiter les impacts du big data, notamment la multiplication de data centers géants, véritables gouffres énergétiques. « Les plus grands problèmes présentent également les plus grandes opportunités, assure Rachel Delacour.

« Le premier pays qui jouera la carte de l'IA appliquée à ces enjeux climatiques ou sociaux marquera un grand coup. »