Ce que l'IA change dans la construction : les murs ont des oreilles

Brièvement cités dans le rapport Villani, les secteurs du BTP et de l'immobilier n'ont pas attendu le député mathématicien pour prendre le chemin de l'intelligence artificielle.
César Armand
Les algorithmes sont appelés à jouer un rôle croissant dans la vie des immeubles et donc des habitants.
Les algorithmes sont appelés à jouer un rôle croissant dans la vie des immeubles et donc des habitants. (Crédits : © Jean-Paul Pelissier / Reuters)

Très axé sur les labos, rien sur la décentralisation, des moyens jugés encore trop maigres au regard des ambitions de la France de ce domaine... Les travaux du député (LREM) de l'Essonne, Cédric Villani, sur l'intelligence artificielle, dévoilés le 28 mars dernier et repris dans la foulée par le président de la République, satisfont à moitié les acteurs de la construction, qui ne l'ont pas attendu pour avancer dans ce domaine.

Ainsi, Emmanuel Olivier, président d'Ubiant, spécialisé dans le bâti intelligent depuis 2001, salue « un rapport positif car volontariste » mais où « des questions n'ont pas été posées » :

« 1,5 milliard d'euros, ce n'est rien d'autre que 300 millions d'euros par an. Pour la recherche, c'est bien ; pour l'industrie, ça paraît insuffisant. Or, le bâtiment consomme déjà 44% de l'énergie planétaire. On est donc obligé de faire du confort adaptatif ! »

En effet, à y regarder de plus près, l'acronyme BTP est absent du document du premier vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Les rares mentions renvoyant à cet univers se résument en quelques lignes : « La libération de ces données doit permettre l'émergence de champions européens, par exemple des plateformes de services autour du bâtiment et de la rénovation de l'habitat [...] Il s'agit de favoriser leur ouverture dans le cadre de défis sectoriels précis. » Des belles intentions alors que des startups travaillent déjà avec l'industrie des travaux publics :

« On sait déjà utiliser l'IA pour savoir ce qui se passe et recommander les opérations à effectuer, comme détecter une anomalie, à savoir une surconsommation d'énergie ou une fuite d'eau ou d'air », explique Benjamin de Buttet, vice-président de DCbrain issu de l'univers des data centers.

Sur les chantiers, quels qu'ils soient, l'intelligence artificielle s'avère déjà omniprésente : contrôle des positions de travail, des zones interdites, des ports de casques et même des échafaudages, suivis en temps réel et personnalisé des entrées et sorties des outils, reconnaissance faciale du personnel... « 70% des alarmes d'intrusion se révèlent erronées. Quand un chat passe, à quoi ça sert d'envoyer un vigile et son chien ? », ironise le président-fondateur de XXII, William Eldin, qui travaille sur la protection et la sécurité des travailleurs sur site.

"Un bâtiment sera capable de s'autodiagnostiquer et de lancer une maintenance"

Même les protagonistes les plus inattendus, comme les professionnels de la chimie de la construction, se lancent dans l'IA. Le Suisse Sika, leader mondial de l'étanchéité pour sols et toitures, mise beaucoup sur l'imprimante 3D, à l'image de son responsable de l'innovation Olivier Herr :

« Ça concrétise des objets conçus en intelligence artificielle, du mobilier urbain type banc à la petite maison. On peut même revoir la forme du bâtiment et imaginer des édifices en bulle par exemple. Les architectes aussi en sont très friands depuis qu'ils peuvent imprimer leur maquette telle qu'ils l'ont dessinée sur l'ordinateur. »

Autre filière liée qui s'y intéresse de plus en plus : le monde de l'immobilier. Le plan Bâtiment durable, impulsé en 2009 sous la tutelle du ministère de l'Écologie et l'Aménagement du territoire, a lancé, entre le 20 mars et le 20 avril dernier, un appel à contributions intitulé « Bâtiment responsable et intelligence artificielle ». Objectif : « contribuer à une exploitation rationalisée et performante du bâtiment et de ses divers systèmes techniques ».

La bannière Real Estech Europe, née le 23 janvier 2018, sous le haut patronage du secrétaire d'État Julien Denormandie (La Tribune du 25 janvier), entend, elle, sans attendre les conclusions de cette étude, rassembler toutes les parties prenantes, d'après son président Bernard Michel, ex-patron de Gecina et toujours à la tête de Viparis :

« Selon une étude KPMG, réalisée pour notre association, 60% des promoteurs et des constructeurs travaillent déjà avec dix startups différentes, mais séparément. Il s'agit de créer un écosystème et un label qui fédère tous les acteurs sur le thème de l'innovation. L'ambition : bâtir la French Tech de l'immobilier. »

Là encore, les perspectives sont immenses : réversibilité, mixité, coworking, télétravail... bref tout ce qui constitue la ville intelligente. Comme le dit encore l'investisseur Bernard Michel : « Un bâtiment sera capable de s'autodiagnostiquer et, grâce à l'interconnexion avec d'autres données, de générer une maintenance prédictive dans l'immeuble. [...] Il ne s'agit donc pas avant tout de commercialiser les données mais de les utiliser au mieux pour optimiser notre offre, au bénéfice du propriétaire comme du locataire. Elles doivent être mises au service des individus, respecter leur vie privée et faciliter leur quotidien. »

Son homologue Xavier Lépine, président du directoire de La Française, cite, pour sa part, l'exemple des États-Unis où toutes les grandes villes sont entièrement numérisées avec un accès à des pépites impensables en France :

« À New York, par exemple, vous avez en ligne, en cliquant sur un immeuble, accès à l'information sur le propriétaire, les conditions des baux commerciaux ainsi que les droits à construire. Vous pouvez comprendre où il est possible de construire, de surélever ou de démolir, ainsi que l'environnement concurrentiel existant. »

De la détection à la prédiction

Suite logique, la vie de l'habitant comme celle de l'immeuble sont directement impactées:

« L'IA repère le senior qui n'a pas bougé, qui n'a pas ouvert le frigo ou qui n'a pas tiré sa chasse d'eau. Au lieu d'avoir un bouton d'alarme autour du cou, la chute va être repérée et interprétée par les capteurs. [...] Idem avec la circulation des fluides. Les algorithmes, sachant identifier les problèmes et dérouler des process,signalent quand il y a une situation anormale, se reconfigurent et se préparent au prochain événement perturbateur. »

En attendant une législation adéquate pour les logements, DCbrain s'attaque déjà aux flux d'eau et d'air comprimé dans les hôpitaux : « Il faut une taille pertinente pour que ce soit pertinent mais bien sûr, nous envisageons de travailler avec des foncières. »

Chez Ubiant, qui considère déjà les interrupteurs comme des capteurs pour utilisateurs voulant de la lumière, la prédiction deviendra demain la clé : « Il existe des complémentarités d'équilibre entre les bureaux la journée et la semaine, et les logements le soir et le week-end ».

Du côté de Bouygues Immobilier, organisateur d'un débat sur "l'intelligence artificielle au service du bâtiment de demain" au Mipim 2018, Éric Mazoyer, directeur général délégué, résume bien les défis auxquels font face tous ces majors :

« Est-ce qu'on ne pas devenir des hôteliers d'entreprise en ne leur vendant que des postes de travail ? L'ensemble de nos métiers est dans le questionnement. »

César Armand

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Commentaires 2
à écrit le 26/04/2018 à 9:31
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"Est-ce qu'on ne pas devenir des hôteliers d'entreprise en ne leur vendant que des postes de travail ? L'ensemble de nos métiers est dans le questionnement." Bah si vous gagnez beaucoup d'argent grâce à ça les questionnements vont vite s'arrêter.

à écrit le 26/04/2018 à 7:39
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euh, le frigo qui recommande tout seul du beurre alors que finalement je veux de la margarine, le batiment qui autocommande une maintenance pour renouveler l'etancheite du toit, et tout le reste, le consommateur n'en veut pas.......... d'ailleurs per...

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