Intelligence artificielle : Macron lève le voile sur la stratégie française

Par Pierre Manière  |   |  1006  mots
Emmanuel Macron veut donner un coup d'accélérateur au développement de l'IA dans la santé. Un secteur où l’Hexagone possède, selon lui, un avantage lié à la centralisation de ses bases de données. (Crédits : Benoit Tessier)
Coup de fouet à la recherche, ouverture des données de santé, cadre réglementaire incitatif… le président de la République a dévoilé jeudi sa politique en matière d’intelligence artificielle, que l'État soutiendra à hauteur de 1,5 milliard d’euros jusqu’à 2022. Si la France espère ne pas rater cette révolution technologique, comme elle est passée à côté d’Internet ou de la robotique, rien ne dit, toutefois, que ces efforts seront suffisants au regard des investissements colossaux des États-Unis ou de la Chine.

La France n'a ni Google, ni Baidu, ni Facebook, ni Samsung, et, de surcroît, n'a que peu de moyens financiers. Pourtant, aux dires du gouvernement, l'Hexagone a les moyens de bien figurer dans la féroce compétition mondiale en matière d'intelligence artificielle (IA). Voilà, en clair, le message qu'Emmanuel Macron a essayé de faire passer, ce jeudi au Collège de France, en présentant la stratégie française en la matière. Pour la définir le locataire de l'Elysée s'est largement appuyé sur les conclusions du rapport présenté mercredi par le député et mathématicien LREM Cédric Villani.

Aux yeux d'Emmanuel Macron, la bataille pour l'intelligence artificielle est d'abord une bataille pour « l'intelligence humaine et l'attraction des meilleurs chercheurs ». A ce sujet, le président de la République constate que la France forme déjà, depuis années, de nombreux talents. Nombre d'entre eux travaillent d'ailleurs, depuis des années, pour le compte des Gafa (Google, Amazon, Facebook et Amazon) américains. A l'instar, par exemple de Yann Le Cun, qui n'est autre que le directeur de la recherche en IA de Facebook. Emmanuel Macron souhaite ainsi renforcer l'écosystème de la recherche française. D'une part pour faire en sorte que les meilleurs éléments restent dans l'Hexagone. D'autre part en incitant les chercheurs étrangers à y travailler. Pour y arriver, il souhaite constituer un « hub de recherche de niveau mondial en IA ». Concrètement, un réseau de d'instituts dédiés à l'IA va voir le jour. Celui-ci sera coordonné par l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA). Outre un « doublement des capacités de formations en IA », un programme de chaires individuelles va voir le jour. Il doit permettre d'attirer davantage de pointures étrangères, issus de labos universitaires comme du privé.

De nouveaux centres de recherche privés

Emmanuel Macron compte aussi « augmenter la porosité entre la recherche publique et le monde industriel ». Ainsi, les chercheurs français pourront à terme consacrer 50% de leur temps à un groupe privé, contre les 20% auxquels ils ont droit aujourd'hui. Une mesure qui pourrait notamment permettre d'augmenter un peu les rémunérations des chercheurs dans le public. Comme l'a indiqué Yann Le Cun jeudi matin lors d'un colloque sur l'IA, « on ne les paye pas assez en France, surtout en début de carrière ». Et c'est l'une des raisons - outre parfois, le manque de moyens - pour lesquelles ils sont si nombreux à mettre les voiles à l'étranger, notamment dans la Silicon Valley.

Emmanuel macron s'est par ailleurs félicité que plusieurs grands groupes aient opportunément annoncé ce jeudi les ouvertures de centres de recherche en IA en France, à l'instar de Samsung, de Fujitsu ou de DeepMind (Google). Ils rejoignent ainsi d'autres cadors comme Facebook, qui a choisi Paris pour implanter son centre de recherche européen dédié à l'IA en 2015.

Sur le front des données, Emmanuel Macron ne le sait que trop bien : la France, qui ne possède pas de géant du Net, part avec un handicap certain. Or les algorithmes des chercheurs ont besoin de bases de données aussi grandes que possible pour être vraiment efficace. Sur ce créneau, le président souhaite que la France ne se disperse pas, et concentre ses forces dans les domaines où elle dispose déjà de beaucoup de datas, comme l'automobile, l'énergie, la cybersécurité ou l'aéronautique. Voilà pourquoi le président a mis l'accent sur la santé, où l'Hexagone possède, selon lui, un avantage lié à la centralisation de ses bases de données.

Création d'un « Health Data Hub »

Ainsi, « la base de données de l'assurance-maladie ou encore celle des hôpitaux comptent parmi les plus larges du monde », souligne l'Elysée, qui a annoncé la création d'un « Health Data Hub ». Ainsi, cette « structure partenariale entre producteurs et utilisateurs des données pilotera l'enrichissement continu et la valorisation du système national des données de santé, pour y inclure à terme l'ensemble des données remboursées par l'assurance-maladie, les données cliniques des hôpitaux, des données de la médecine de ville et des données scientifiques issues de cohortes », nous précise-t-on. En ouvrant ces données aux acteurs de l'IA dans un cadre sécurisé et garantissant la confidentialité, Emmanuel Macron espère développer des « innovations majeures », comme l'amélioration du traitement des tumeurs cancéreuses, ou la détection des arythmies cardiaques. Dans ce domaine, l'IA pourrait notamment permettre à l'Etat de faire d'importantes économies.

Côté financements, l'Etat va débourser 1,5 milliard d'euros d'ici 2022 pour son plan pour l'IA. Selon l'Elysée, « l'Intelligence Artificielle sera le premier champ d'application du fonds pour l'innovation et l'industrie de 10 milliards d'euros mis en place en début d'année » :

« Sur les revenus de ce fonds, [...] une enveloppe de 100 millions d'euros sera isolée dès cette année pour contribuer à l'amorçage et la croissance de nos start-ups en intelligence artificielle. Plus globalement, il consacrera via Bpifrance 70 millions d'euros par an à l'émergence de start-ups dites 'deep technology' dans notre pays. »

Une réflexion sur « le contrôle » des algorithmes

Si l'effort est louable, reste que cette enveloppe de 1,5 milliard d'euros paraît bien faible, au regard, par exemple, des plus de 13 milliards d'euros débloqués par la Chine pour l'IA entre 2016 et 2019. Ou des milliards de dollars investis chaque année par les Gafa américains.

Emmanuel Macron a enfin insisté sur les enjeux sociaux, éthiques et démocratiques liés à l'essor de l'IA. Pour lui, les états doivent se demander quelles valeurs l'IA doit servir, afin de tracer des lignes rouges. Il souhaite notamment lancer une réflexion mondiale sur « le contrôle et la certification » des algorithmes. Il a ainsi appelé à la création d'un groupe d'experts intergouvernemental (sur le modèle du GIEC sur l'évolution du climat), en charge de mener une réflexion prospective sur les impacts éthiques de l'IA.