Internet des objets : qui seront les gagnants et les perdants ?

Par Pierre Manière  |   |  879  mots
En achetant Nest l'an dernier pour 3,2 milliards de dollars, Google poursuit son offensive dans la maison connectée.
Des compteurs électriques aux voitures, en passant par les montres… les capteurs envahissent notre quotidien. Les données récoltées offrent à certaines sociétés une position de choix pour proposer de nouveaux services, aux dépens d’acteurs traditionnels. Dans une étude, le cabinet Oliver Wyman a imaginé comment les entreprises pourraient être bousculées par l’Internet des objets.

De nombreuses entreprises craignent aujourd'hui de « se faire uberiser ». Mais ce n'est rien comparé à la prochaine déferlante de l'Internet des objets. Dans une étude dévoilée mardi, le cabinet Oliver Wyman, spécialiste en stratégie et en transformation des organisations, a tenté d'imaginer comment les myriades de capteurs - qui ont déjà commencé à envahir notre quotidien - vont créer des opportunités de nouveaux services. De la distribution aux télécoms, en passant par la santé ou l'agriculture, ils pourraient bien, selon les consultants, obliger les entreprises à changer de cœur de métier. Rien de moins !

A l'origine de cette analyse, un constat : grâce aux capteurs, les sociétés collectent des monceaux de données sur les individus, leurs habitudes, leurs usages, leurs profils, leur consommation ou leur santé. Ce faisant, ces acteurs disposent d'informations de premier choix pour révolutionner des services dans des domaines qui leurs étaient jusqu'alors totalement étranger. Un exemple ? Pour Emmanuel Amiot, associé chez Oliver Wyman, l'assurance constitue un secteur en passe d'être « disrupté » par « cette vague de données ».

Des assurances « pay how you drive »

D'après lui, dans le monde de l'assurance auto, la probabilité est forte de voir les constructeurs prendre la main grâce aux informations collectées via les systèmes de capteurs embarqués. Les Peugeot ou Renault pourraient ainsi inclure des offres de type « pay how you drive » (paiement selon la conduite) dans un « bouquet de services de mobilité ». Ici, « le modèle de prix serait basé non seulement sur l'usage du véhicule, le nombre de kilomètres parcourus. Mais aussi - et surtout - sur « le comportement de conduite du conducteur, son niveau d'accélération, sa vitesse dans les virages, etc. », détaille Emmanuel Amiot.

Dans ce cas, le client ne paierait que « son juste risque ». Quant aux assureurs comme Axa ou Allianz, ils seraient relégués au simple rôle de « porteur de risque ». Pour Emmanuel Amiot, un tel scénario n'a rien d'utopique à court ou moyen terme. D'après lui, grâce aux capteurs, les constructeurs ont potentiellement la main haute sur des jeux de données bien plus pointus, précis et étoffés que ceux des assureurs. Pourquoi donc se priveraient-ils de leur damer le pion avec des offres plus adaptées ?

« Nous sommes à un point d'inflexion »

D'autres secteurs devraient aussi être chambardés par l'Internet des objets. Parmi eux, l'énergie figure en bonne place. En se projetant, Oliver Wyman n'y va pas avec le dos de la cuiller : « Google deviendra-t-il votre fournisseur de services énergétiques ? », se demande le cabinet. Concrètement, le colosse de Mountain View pourrait se positionner demain en « un distributeur d'énergie capable d'optimiser en temps réel l'équilibre entre la demande et la production ». Comment ? En tirant profit de ses capteurs, qui se multiplient au sein de la maison. « Ce n'est pas de la science-fiction, insiste Emmanuel Amiot. Leur thermostat connecté Nest communique déjà avec les lave-linge et sèche-linge Whirlpool pour qu'ils se mettent en route lorsque l'électricité est la moins chère », souligne Emmanuel Amiot.

Pour les spécialistes d'Oliver Wyman, ces chambardements sont à nos portes. « Nous sommes à un point d'inflexion », jugent-ils dans leur rapport. Ils en veulent pour preuve le développement du cloud, la miniaturisation des éléments et « la forte diminution du coût des capteurs », dont le coût moyen « est de 0,5 euros aujourd'hui, soit moitié moins qu'il y a dix ans ». Ou encore « l'explosion de la connectivité », via la démocratisation de la 3G et de la 4G. Mais aussi les progrès du WiFi, du Bluetooth ou des réseaux bas débit de type LoRa ou Sigfox.

IBM et Apple s'allient dans la santé

Surtout, ils soulignent que jamais les investissements de capital-risque dans les startups de l'Internet des objets n'ont été aussi importants. D'après eux, ceux-ci se sont élevés à 341 millions s'euros en 2014, contre 34 millions en 2010. En outre, « les grands acteurs technologiques ont eux aussi accéléré leurs investissements », constate le cabinet. De fait, l'an passé, Google a avalé Nest - le leader mondial du thermostat connecté - pour 3,2 milliards de dollars. Facebook a lui déboursé 2 milliards de dollars pour Oculus, le fabricant de casques de réalité virtuelle.

En mars dernier, IBM a annoncé des investissements à hauteur de 3 milliards de dollars dans l'Internet des objets d'ici à 2017. Le groupe informatique américain a aussi choisi de s'allier avec Apple pour analyser les données de santé des individus. La marque à la pomme a ainsi accès à son supercalculateur Watson pour analyser les informations transmises par les applis HealthKit et ResearchKit. « IBM est aujourd'hui un acteur B2B, mais on peut imaginer qu'ils adoptent demain un positionnement B2C. Ils pourraient convaincre les assurés d'ouvrir leurs dossiers médicaux chez eux, et prendre en main l'optimisation de la santé des individus », avancent les experts d'Oliver Wyman. Avec ce scénario, on peut imaginer que les prochaines innovations en matière de santé émaneront moins des grands laboratoires, des hôpitaux, que des spécialistes en informatique et en nouvelles technologies ! A n'en point douter, la révolution de l'Internet des objets réservera bien des surprises.