Présidentielle : les candidats parlent culture mais peu du numérique

Par Sandrine Cassini  |   |  1138  mots
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Le sujet d'Hadopi a été largement évoqué par tous les prétendants. Nicolas Sarkozy et François Hollande ont également fait des propositions au monde de la culture. Le numérique attend toujours son tour.

Evoquer la culture, les artistes et le Festival de Cannes est plus porteur qu'entrer dans les arcanes du financement de l'innovation. Depuis le début de la campagne présidentielle, à droite comme à gauche, de Nicolas Sarkozy à Jean-Luc Mélenchon, la plupart des candidats au poste suprême ont réduit les discours sur Internet et le numérique à la seule problématique de la culture. François Hollande s'est exprimé à plusieurs reprises sur le sujet, lors des biennales internationales du spectacle de Nantes en janvier, dans une missive répondant à la SACD, qui représente les auteurs, dans une tribune publiée dans le Monde et plus récemment au cirque d'hiver. Nicolas Sarkozy a exposé ses principales propositions lors d'un entretien au Point, et a également répondu par lettre aux questions de la SACD. D'une manière générale, tous les candidats se sont au moins exprimés sur la loi anti-piratage Hadopi, marqueur fort du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Hadopi, un sujet dont tous les candidats se sont emparés

Sur Hadopi, la position de François Hollande est assez éloignée du programme initial du Parti socialiste porté par Martine Aubry, et qui reposait sur une abrogation pure et simple de la loi en échange d'une licence globale. Le candidat de gauche, qui a entamé il y a plusieurs semaines une stratégie de rabibochage vis-à-vis des artistes visiblement marris des positions anti-Hadopi du PS, a expliqué que l'on ne « pouvait opposer le créateur et son public [et que ] la protection des auteurs est prioritaire ». Ainsi, Hadopi ne doit pas être supprimée, mais transformée en « une loi sur l'exception culturelle », qui renforce « les moyens mis à la disposition des ayants-droits pour lutter contre la contrefaçon commerciale ». En revanche, Hadopi en tant qu'autorité pourrait faire long feu: le candidat a expliqué que le dispositif avait « coûté cher ».

De son côté, Nicolas Sarkozy, dans le Point, a réitéré la nécessité d'étendre Hadopi «à l'ensemble des modes opératoires ; pair-à-pair, sites illégaux de streaming ou de téléchargement direct ». Au-delà du dispositif actuel, le président veut aussi impliquer « les intermédiaires de paiement ». Il s'agirait de demander aux établissements, comme Visa, de bloquer les transactions bancaires vers un site comme MegaUpload par exemple. Difficile à mettre en place, cette mesure devrait passer a minima par un nouveau dispositif législatif

Les autres candidats sont restés, eux, fortement anti-Hadopi, considérée comme une loi anti-populaire. François Bayrou expliquait en novembre à la Tribune « n'avoir jamais cru » en cette loi. Marine Le Pen, au nom de la « liberté d'Internet », Jean-Luc Mélenchon ou Eva Joly ont tous promis son abrogation.

Corollaire d'Hadopi, le développement des offres légales

Il ne suffit pas de lutter contre les pirates, il faut aussi « développer l'offre légale ». Nicolas Sarkozy, et François Hollande ont tout deux fait cette promesse à la SACD. Ce qui passe d'abord par de nouvelles ressources financières qui alimenterait le secteur. Les deux candidats ont donc proposé d'étendre la TVA réduite à l'ensemble des biens culturels.

Autre objectif commun : obliger les géants du Net comme Google, Apple ou Amazon, (voire aussi les véritables industriels du secteur pour François Hollande), qui échappent pour la plupart à la TVA et à l'impôt sur les sociétés en étant installés au Luxembourg ou en Irlande, à participer au financement de la culture, voire des réseaux. Nicolas Sarkozy souhaite que ces multinationales aient les mêmes contraintes fiscales. Par quel moyen ? Au-delà de la « renégociation des conventions fiscales » bilatérales publiquement proposée, l'UMP s'intéresse à la proposition du Conseil national du numérique (CNN), qui consisterait à appliquer à ces multinationales un système peu usité mais existant : le « cycle commercial complet » qui consiste à rattacher à un pays certains des bénéfices d'un groupe même s'il ny dispose pas d'établissement à part entière. Chez François Hollande, Fleur Pellerin, sa conseillère numérique, indique que le moyen le plus efficace serait d'« accorder des crédits d'impôt aux entreprises du numérique qui s'acquittent de la TVA et de l'impôt en France ».

Autre points communs des deux favoris : la nécessaire adaptation au numérique de la chronologie des médias, c'est-à-dire le calendrier de sortie des films sur les différents supports, après leur sortie en salle, appelée de ses v?ux par la SACD, et la réforme du spectacle vivant. Le candidat UMP va même plus loin en appelant à création d'un « compte de soutien » spécifique qui passerait par un prélèvement sur plus gros diffuseurs de spectacles.

Du côté de la musique, Nicolas Sarkozy a gravé dans le marbre de la loi de finances  2012 le financement du Centre national de la musique par une taxe sur les fournisseurs d'accès Internet. François Hollande souhaite étendre ce nouvel organisme « au-delà de la musique enregistrée ».

Le numérique, oublié des débats

En faisant ces propositions, François Hollande et Nicolas Sarkozy se sont adressés au petit monde de la culture, plus qu'au grand public. Le numérique, considéré comme un secteur fortement pourvoyeur d'emplois, finira-t-il par être publiquement évoqué ? L'entourage des candidats l'assure. « Le débat public s'est concentré sur la culture, mais François Hollande a totalement intégré que la néo-industrialisation passait par le numérique », assure Fleur Pellerin, qui travaille sur les réformes qui pourraient être menées en cas de victoire de la gauche, comme le financement du très haut débit, le crédit d'impôt recherche, le développement d'un éco-système plus favorable au start up, et la réforme des investissements d'avenir. Au sein du QG de l'UMP, Nicolas Princen, le conseiller du président, indique aussi que Nicolas Sarkozy allait recevoir certains acteurs, comme le Conseil national du numérique (CNN), l'instance qu'il a créé il y a un an.

Pourtant, ni François Hollande ni Nicolas Sarkozy n'ont encore fixé de rendez-vous au CNN. Le conseil a écrit aux principaux candidats en février dernier à rencontrer les principaux candidats afin « d'échanger sur les enjeux que représentent pour la France sa croissance et ses emplois, la question de l'économie numérique ». Seul François Bayrou, qui a exprimé publiquement de grandes orientations sur « le financement de l'innovation, l'e-learning, les données publiques », rencontrera ses membres le 4 avril prochain. Pourtant, il n'y pas si longtemps, Nicolas Sarkozy, qui a créé le CNN, organisé l'eG8, le grand raout de l'Internet qui s'est tenu à Paris l'an passé, et a inauguré le nouveau siège de Google, semblait avoir mis le numérique au premier rang de ses priorités.