Les éditeurs de logiciels vent debout contre le rapport Co (l) lin... et toute forme de taxe sur le numérique

Par Sandrine Cassini  |   |  797  mots
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L'AFDEL, qui s'insurge contre la « diabolisation » de l'économie numérique, publie un livre blanc remettant en cause le bien-fondé d'une taxe sur les données personnelles. Elle appelle le gouvernement à suspendre tout projet de fiscalisation sectorielle, qui pénaliserait un secteur fortement créateur d'emplois.

Taxes sur la publicité, le commerce en ligne, la bande passante, et maintenant les données personnelles avec le rapport Colin et Collin, les industriels commencent à sortir du bois pour dire tout le mal qu'ils pensent de ces tentatives pour fiscaliser un secteur d'avenir. L'Association Française des Editeurs de Logiciels et Solutions Internet (AFDEL), qui réunit 330 entreprises du numérique dont Dassault Systèmes, Cegid ou Salesforce, a décidé de tirer la première. D'autres pourraient suivre. Dans un « livre blanc » dont la Tribune a eu connaissance, l'AFDEL s'insurge contre la « diabolisation » de l'économie numérique, qui n'est pas « sans rappeler celle dont l'électricité faisait l'objet » à son apparition.

L'AFDEL rappelle que le numérique « revendique plus d'un million d'emplois directs en France, et a permis la création de 700.000 emplois en 15 ans ». Ainsi, d'après l'association, si les géants du Net réussissent, ce n'est pas uniquement parce qu'ils ne paient pas d'impôts mais aussi parce qu'ils sont très innovants.

Moratoire fiscal
Plutôt que de voter une fiscalité sectorielle, l'AFDEL demande au gouvernement de « développer l'attractivité du territoire ». Comment ? Par exemple, en favorisant « l'implantation de datacenters », comme en Islande ou en Chine, un pays qui « prévoit même le financement de grandes citées cloud ». Elle supplie aussi les autorités d'attendre « l'adoption de règles harmonisées au niveau de l'OCDE » et appelle « à suspendre toute mesure nationale ».

Double peine
Les divers projets de taxe, qui ont émergé ces deux dernières années, n'ont qu'un objectif : celui de fiscaliser les fameux GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) qui échappent à l'impôt sur les sociétés, voire à la TVA. Problème : si ces dispositifs aboutissaient, ils retomberaient aussi sur des entreprises françaises, qui paient déjà des impôts. Une double-peine en quelque sorte. Ainsi, la taxe sur la publicité en ligne, que le sénateur Philippe Marini (UMP) devrait bientôt représenter au Sénat, toucherait peut-être Google mais surtout d'autres régies publicitaires comme PagesJaunes; la taxe sur les données du rapport Col(l)in concernerait d'autres d'entreprises comme les banques ou des sites de commerce en ligne; celle sur la bande passante frapperait YouTube (mais aussi Dailymotion) qui réalise un chiffre d'affaires 10 fois moins élevé. L'AFDEL rappelle ainsi que l'optimisation fiscale n'est pas « l'apanage exclusif de l'économie numérique », mais que ces pratiques sont aussi « le fait de grands groupes ». Au Royaume Uni, les cafés Starbucks ont fait scandale, tandis qu'en France, les magasins Ikéa ont des dispositifs de contournement très évolués.

Le rapport Co(l)in émet un « jugement de valeur »
L'Association conteste notamment le rapport Colin et Collin, qui propose de taxer les sur-exploiteurs de données personnelles en s'appuyant sur le « principe du polleur-payeur ». Pour les Col(l)in, Google, Facebook et Amazon s'enrichissent sur le dos des internautes, qui leur livrent des informations personnelles, dont la valeur est bien supérieure à celles des outils mis à leur disposition gratuitement (moteur de recherche, réseau social...). De ce constat, a émergé le concept de « travail gratuit ». L'AFDEL remet en cause ce principe en arguant que les outils et les applications utilisées ont « pu demander des années de recherche et développement » et reposent « souvent sur des infrastructures réseaux coûteuses ». Affirmer que l'internaute donne plus qu'il ne reçoit est un donc « jugement de valeur ». De fait, le modèle publicitaire est très répandu dans les médias - journaux, télévision, radio - qui ne se privent pas de faire de nombreuses études sur les lecteurs, téléspectateurs, auditeurs.

Le transfert de la valeur en question
L'AFDEL revient aussi sur la question du « transfert de la valeur », l'argument phare des éditeurs de presse, du monde de la musique, et des opérateurs télécoms lorsqu'ils demandent de l'argent à Google. Le moteur de recherche capterait l'essentiel des revenus du Web, en dépensant un minimum, dans la mesure où il ne produit pas de contenus et participe peu au financement des réseaux. Ayants droit et opérateurs subiraient donc une forme de spoliation. L'AFDEL conteste aussi cette analyse. Selon l'Association, le Web a créé de nouveaux usages, qui bouleversent les habitudes des utilisateurs et remettent en cause les modèles économiques traditionnels. Ainsi, l'internaute préfère avoir accès à une multitude de contenus, sans les posséder. En matière de biens culturels, la location est  en train de prendre le pas sur la propriété. Une fois ce constat dressé, les entreprises doivent trouver les modèles économiques adéquats. Mais, pour l'AFDEL, il s'agit d'une affaire entre acteurs privés, qui ne relève pas du législateur.