"Les maîtres de demain seront les compagnies d'assurance et les agrégateurs de données" (Attali)

Par Jean-Yves Paillé  |   |  719  mots
Internet "invente autrement le capitalisme", assure Jacque Attali.
Face au discours de prospective décliniste de l'essayiste Jéremy Rifkin sur les effets d'Internet sur le capitalisme, Jacques Attali; Jean-Marc Daniel et la présidente de GE France y voient plutôt un vecteur de croissance pour les entreprises, positif ou... négatif.

Un scénario de science-fiction, une vision exagérée. L'économiste et écrivain Jacques Attali, le professeur de l'ESCP Jean-Marc Daniel et la Présidente de General Electric France Clara Gaymard étaient tous d'accord pour qualifier ainsi la théorie de l'essayiste américain Jeremy Rifkin à propos de l'impact d'Internet sur les entreprises et le capitalisme en général dans le futur.

En visio-conférence, mardi 25 novembre, lors d'une conférence sur le thème "Internet va-t-il tuer le capitalisme ?" organisée par l'institut G9+, Jeremy Rifkin a prédit l'avènement d'une troisième révolution industrielle due notamment au développement exponentiel de l'Internet des objets, vers la fin du capitalisme. Combiné à de nouvelles formes d'énergie, de transport et de logistique, il ferait passer l'économie de marché à une économie du partage et de la mutualisation, rendant le coût marginal des services proche de zéro. Pour illustrer ses propos, il met en avant l'Internet de l'énergie aidant à l'exploitation des ressources inépuisables du soleil "qui n'envoie pas sa facture".

Une valeur qui dépend des informations et de l'intelligence

Les trois Français, quant à eux, voient un système capitaliste qui s'adaptera et jouira de nouvelles opportunités avec l'Internet des objets. Clara Gaymard, timorée lorsqu'il s'agit de parler de l'avenir "dont on ne sait rien", se focalise sur le présent, avec un discours empreint de ses expériences vécues dans GE: "Aujourd'hui, la valeur ajoutée ne dépend pas seulement de la production mais de plus en plus des informations et de l'intelligence qu'il y a autour. On est passé à une économie de partage des connaissances".

Ainsi, avec le développement du big data, ceux "qui contrôleront les données et sauront les utiliser détiendront la valeur ajoutée". Une référence aux Gafa, les quatre géants du web: Google, Apple, Facebook et Amazon. Concrètement, pour Clara Gaymard, "la combinaison du big data avec l'imprimante 3D et la robotique conduit à des accélérations au sein des entreprises industrielles".

Vecteur de forte concurrence

Clara Gaymard appelle par ailleurs à renverser la tendance d'une "information qui part dans la Silicon Valley avec des bénéfices énormes à la clé, et quitte parallèlement l'Europe, qui perd ainsi un vecteur de valeur ajoutée. Et de positiver toutefois, laissant présager d'un avenir plus rose:

"On a su conserver des clusters (concentration d'entreprises indépendantes) avec des ingénieurs qu'on nous envie dans le monde entier. [...} Dans les salons dédiés au digital comme celui de Seattle, les Etat-Unis sont les plus présents. La France arrive 2e largement devant Allemagne."

Pour Jean-Marc Daniel, l'Internet et l'accès au Big Data sont des portes ouvertes à la concurrence dans l'éducation par exemple (avec les moocs, cours en ligne). A condition notamment que le monopole de Google soit brisé. Cela permettrait le développement d'"une concurrence saine" nécessaire au bon fonctionnement des rouages capitalistes, selon lui. D'après le directeur de l'ESCP, la santé pourrait également être soumise à une concurrence accrue offrant de nombreuses opportunités. Par exemple, "avec le développement Internet combiné à celui de l'automatisation,'on pourra opérer de New York quelqu'un situé à Paris'."

L'Internet des objets, nouvelle forme de "dictature"

Internet "invente autrement le capitalisme", assure Jacques Attali, au cours d'un discours bref mais dense. S'il pourfend la vision décliniste de Jéremy Rifkin annonçant la fin du capitalisme et l'Internet de objets comme pilier de l'économie, l'économiste porte également une vision sombre. Il voit dans l'Internet des objets, une "tentative de prise de contrôle de nos vies".

"Les maîtres de demain seront les agrégateurs de données et les compagnies d'assurance. Nous offrons nos données gratuitement, en échange on accède à Google. On donne à ceux qui vont agréger nos propres données pour nous les revendre sous forme de prime d'assurance."

Et d'ajouter: "On va nous amener à nous surveiller nous-mêmes, notamment dans la santé. Avec les capteurs associés à nos données, on nous dira si l'on adopte les bons comportements pour perdre du poids, etc."

Dans un élan lyrique, il n'hésite pas à conclure en comparant cette mainmise sur le bigdata à une nouvelle "forme de dictature".