« Il faut fluidifier l'accès aux données de santé »

Par Pierre Manière  |   |  979  mots
Le député En Marche Eric Bothorel. (Crédits : DR)
Aux yeux du député En Marche Eric Bothorel, l'épidémie de coronavirus révèle les faiblesses des systèmes d'information des professionnels et services de santé.

LA TRIBUNE - Alors qu'Emmanuel Macron appelle à un débat au Parlement sur l'utilisation du « tracking » pour lutter contre le coronavirus, vous estimez qu'il est aussi urgent que les informations de santé circulent mieux dans le monde médical et hospitalier. Vous militez pour la généralisation du carnet de santé numérique, l'amélioration de l'intéropérabilité des systèmes d'information des professionnels de santé, et la mise en place d'outils pour faciliter la remontée des données.

ERIC BOTHOREL - Le débat que nous avons aujourd'hui sur l'utilisation du « tracking » doit être l'opportunité de nous interroger la manière dont les données de santé circulent. Il faut améliorer les systèmes d'information des hôpitaux, la manière dont ils dialoguent entre eux, et faciliter la remontée aux agences régionales de santé. Nous devons également nous demander comment les Français, de leur côté, abondent leur carnet de santé numérique, ou dossier médical partagé (DMP). Récemment, l'AP-HP et l'AP-HM ont chacun sorti leur appli pour suivre les malades du Covid-19 à domicile. Mais ces initiatives sont-elles intéropérables ? Sont-elles fondées sur des standards communs ? Cela ne me semble pas être le cas. Le système est en tout cas très perfectible.

Est-ce essentiel pour vaincre le virus ?

Au regard de l'urgence dans laquelle nous nous trouvons, nous serions bien passés de certaines lourdeurs administratives ou culturelles qui nuisent à la circulation des données de santé. Si nous avons un temps été incapable de savoir quel était le nombre de décès dans les Ehpad, c'est parce que les fichiers contenant ces informations étaient, au final, remontés par mail ou par texto... Nous ne bénéficions pas, à ce stade, d'un système d'information permettant d'y accéder tout de suite. Contrairement aux Etats-Unis, notre système de santé a l'avantage d'être centralisé. Mais il s'appuie parfois sur des architectures numériques décentralisées et peu communicantes les unes avec les autres. C'est un vrai sujet.

Vous allez profiter du débat sur le « tracking » à l'Assemblée pour l'évoquer ?

Bien évidemment. Dans la santé, nous ne pouvons pas faire l'économie des progrès en matière de standardisation et de normalisation des données, comme de l'intéropérabilité des outils numériques. L'objectif est de bâtir un système d'information associant les patients, la médecine de ville et l'hôpital. Il faut aller au bout de cette logique qui a conduit à la création du « Health Data Hub » [une plateforme de recherche sur les données de santé, Ndlr] l'an dernier. Demain, celui-ci doit être opérationnel dans ses différentes briques, qu'il s'agisse de l'espace numérique de santé ou du DMP. Cela permettrait d'éviter certains problèmes, comme ceux liés aux transferts d'informations de patients testés positifs au Covid-19 entre les médecins traitants et les hôpitaux. Nous avons tout à gagner à fluidifier l'accès aux données de santé.

La plupart des Français n'ont pas encore de DMP...

Environ 8 millions de Français l'ont adopté. C'est bien qu'il y ait une logique d'« opt-out » à ce sujet [en janvier 2022, chaque Français disposera d'un DMP, sauf s'il le refuse, Ndlr]. Au mois de mars, le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique a été examiné en première lecture au Sénat. Les sénateurs ont voté un amendement visant à élargir l'accès au DMP à tout professionnel de santé participant à la prise en charge d'un patient et, surtout, à l'intégrer par défaut à l'espace numérique de santé à partir de 2022. Je souhaiterais que nous allions plus loin, en prévoyant sa généralisation de manière automatique à toute la population. Sachant que ceux qui le souhaitent pourront toujours décider de ne pas l'alimenter.

Que pensez-vous de la possibilité de recourir à une appli de « tracking » pour avertir ceux qui ont croisé des personnes contaminées par le Covid-19 ?

Nous sommes face à une crise sanitaire. La réponse sera sanitaire. Elle ne viendra pas uniquement de la technologie. Il est aujourd'hui difficile d'évaluer l'efficacité des solutions de « tracking » dans les pays qui en ont mis en œuvre. Je comprends tout à fait que le gouvernement réfléchisse à de tels outils. C'est légitime. Mais rien n'indique, à ce jour, qu'ils nous permettront de mieux gérer la crise ou le déconfinement. Les comparaisons internationales ont leurs limites. Il existe, par exemple, des biais liés aux différences institutionnelles, technologiques ou culturelles. Singapour, qui utilise une appli de « tracking », a longtemps été érigé en modèle de lutte contre le virus. Mais la cité-Etat est depuis peu confrontée à une deuxième vague d'épidémie. Idem pour la Chine, où de nouveaux foyers sont apparus. En parallèle de leurs applis, ces deux pays ont recouru au dépistage massif. Mais nous savons que ces tests ne sont pas totalement fiables, puisqu'il existe des « faux négatifs ».

Apple et Google ont annoncé qu'ils allaient travailler ensemble pour permettre le suivi numérique des individus ayant côtoyé des personnes infectées par le coronavirus. Craignez-vous qu'ils concurrencent, à terme, une éventuelle appli française ?

Si Apple et Google nous permettent, à partir de leurs données, de bâtir une solution souveraine, cela me va très bien. Cela dit, rien ne les empêche de travailler à des applications concurrentes de la démarche portée par l'Etat. Reste que la seule façon, pour la France, d'exercer sa souveraineté, est d'avoir sa propre application. Voilà pourquoi l'Etat doit dès maintenant travailler à une solution maison. Même si, encore une fois, son utilité pour combattre le virus reste à démontrer.