Pratiques commerciales abusives : pourquoi l'Etat s'énerve contre Apple et Google

Par Sylvain Rolland  |   |  736  mots
Le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire.
Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé ce matin sur RTL que l'Etat va assigner en justice Google et Apple pour "pratiques commerciales abusives" envers les startups françaises. Explications.

Le ton monte entre l'Etat et les GAFA. Dans une interview ce mercredi sur l'antenne de RTL, le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé que l'Etat compte assigner en justice Google et Apple devant le tribunal de commerce de Paris. L'objectif : faire cesser les "pratiques commerciales abusives" envers les startups françaises, obligées de se plier au bon vouloir des deux géants du numérique sur leurs magasins applicatifs, le Google Play Store et l'App Store.

Droit de vie et de mort sur les applications

La situation dénoncée par Bruno Le Maire pourrait aussi relever de l'abus de position dominante sur le mobile. Effectivement, Google (avec son système d'exploitation Android) et Apple (avec iOS), équipent plus de 99% des smartphones dans le monde (chiffres 2017). Par conséquent, les développeurs doivent absolument passer par leurs magasins applicatifs (Google Play Store et Apple Store) s'ils veulent que les utilisateurs puissent télécharger ou acheter leurs applications.

Or, une enquête menée entre 2015 et 2017 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), a mis en lumière que les startups françaises sont forcées d'accepter les contrats proposés par Google et Apple, sans marge de négociation sur leur contenu, sous peine de voir leur application refusée. Plus grave selon Bruno Le Maire, "tous deux peuvent modifier unilatéralement les contrats". Effectivement, Google et Apple peuvent proposer des modifications du contrat, mais les développeurs sont forcés de les accepter sous peine de voir leur application retirée du magasin applicatif.

"Cette situation est inacceptable. Je considère que Google et Apple, aussi puissants soient-ils, n'ont pas à traiter nos startups et nos développeurs de la manière dont ils le font aujourd'hui", estime Bruno Le Maire.

Le ministre de l'Economie dénonce aussi que Google et Apple puissent "imposer" les tarifs des applications et "récupérer les données" comme bon leur semble. En effet, les deux géants ont mis en place une grille de prix (49 centimes, 99 centimes, 1,99€, 2,99€, 3,99€...) pour davantage de clarté et éviter une guerre entre des applications concurrentes qui proposeraient leur service à quelques centimes de moins.

Une attaque plus symbolique qu'autre chose ?

L'annonce de Bruno Le Maire se situe dans le contexte d'un rapport de force plus tendu entre l'Etat -et l'Europe en général- et les géants du Net, autant sur le front des pratiques commerciales que de la fiscalité ou de la protection des données.

Mais il n'est pas certain que l'initiative du ministre de l'Economie effraie ou fasse bouger de manière significative les pratiques des deux géants. Effectivement, Bercy réclame à Google et Apple une sanction de... deux millions d'euros, ce qui représente vraiment une goutte d'eau pour les deux premières capitalisations mondiales, dont le chiffre d'affaires trimestriel se compte en dizaines de milliards.

Sur le front des pratiques commerciales, Bercy a attaqué Amazon en justice à l'automne, pour dénoncer des pratiques jugées déloyales vis-à-vis des vendeurs, soumis au bon vouloir de la firme de Jeff Bezos quant à leur présence sur le site et aux commissions prélevées. Sans effets pour l'instant.

En réalité, les coups de pression médiatiques du gouvernement contre les GAFA visent surtout à entretenir le rapport de force qui se joue à l'échelle européenne ou internationale. La question de la fiscalité des géants du Net en est un excellent exemple. L'été dernier, Bruno Le Maire avait dénoncé les pratiques d'optimisation fiscale des géants du numérique, et avait menacé de les imposer sur leur chiffre d'affaires en France de manière unilatérale.

Mais ce chantier est extrêmement complexe d'un point de vue juridique et Bruno Le Maire voulait plutôt peser sur le débat à l'échelle européenne. La Commission européenne compte d'ailleurs présenter à Bruxelles le 21 mars ses premières propositions sur la fiscalité du numérique, qui doivent être évoquées par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE lors d'un sommet les 22 et 23 mars dans la capitale belge. Les ministres des Finances des cinq pays de l'UE membres du G20, dont Bruno Le Maire, ont aussi exhorté la semaine dernière le G20 à avancer sur la taxation des géants du numérique.