L'enseignement supérieur français à la traîne de la révolution numérique

Par Sylvain Rolland  |   |  999  mots
L'enjeu est le suivant : former davantage d'étudiants aux métiers du numérique et adapter les filières existantes aux réalités d'une société et d'une économie numérisées.
Autonomie renforcée, davantage de collaboration public-privé, formation tout au long de la vie... Dans un rapport, l'Institut Montaigne appelle à une réforme en profondeur de l'enseignement supérieur pour l'adapter à l'évolution des métiers et mieux intégrer les outils numériques dans les formations. Un enjeu stratégique pour la France.

En 2020, la révolution numérique, qui frappe tous les secteurs d'activités, aura détruit 7,1 millions d'emplois devenus inutiles et créé 2 millions de nouveaux postes, dont une partie dans des métiers qui n'existent pas encore, indique le Forum économique mondial. Le solde est donc négatif, de 5 millions d'emplois.

Parallèlement -et paradoxalement-, la Commission européenne estime à 800.000 le nombre d'emplois non-pourvus, toujours en 2020, dans le seul secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC). Les difficultés que rencontrent déjà de nombreuses entreprises pour recruter et fidéliser les "experts" des nouvelles technologies, notamment les ingénieurs, devraient donc s'aggraver dans les années à venir.

Former aux nouveaux métiers et adapter les autres filières aux enjeux du numérique

Face à ces prévisions, l'institut Montaigne, un think tank libéral fondé en 2000, s'alarme. Dans un nouveau rapport publié la semaine dernière et intitulé "Numérique et enseignement supérieur : connectez-vous!", le cercle de réflexion dénonce l'impréparation de l'enseignement supérieur français aux défis de la révolution numérique. Et encourage une réforme "en profondeur".

L'enjeu est le suivant : d'une part, former davantage d'étudiants aux métiers du numérique, notamment aux nouveaux liés à la généralisation du big data, du cloud et à l'essor de technologies comme l'intelligence artificielle et la blockchain. D'autre part, adapter les filières existantes aux réalités d'une société et d'une économie numérisées.

Car non seulement l'automatisation des tâches répétitives manuelles, amorcée depuis les années 1970, continue à progresser, mais on assiste désormais à une automatisation des tâches répétitives intellectuelles, qui amorce une mutation profonde du travail et donc des compétences.

Pour l'entrepreneur Gilles Babinet, également « digital champion » (expert du numérique) de la France auprès de la Commission européenne, l'université a besoin d'un "modèle nouveau", comme il l'explique dans une tribune publiée sur le site Le Journal du Net:

La digitalisation progressive de tous les secteurs d'activité demande de plus en plus de "têtes bien faites", capables de penser la complexité. De la formation aux compétences strictement "numériques" la réflexion doit donc s'étendre aux compétences "de l'ère numérique", que sont, par exemple, les capacités d'anticipation, l'esprit critique ou la créativité.

Pédagogie numérique et développement des "learning analytics"

Pour le think tank, le système éducatif actuel est "décorrélé" des besoins induits par la révolution numérique. "Dans l'économie de la créativité qui émerge, les étudiants ne doivent plus tant apprendre qu'apprendre à apprendre et être prêts à compléter leur formation tout au long de leur cursus professionnel", pointe l'étude menée par gilles Babinet et par l'historien Edouard Husson, également vice-président de la communauté d'établissements Paris Sciences et Lettres.

Parmi les dix mesures phares du rapport figure ainsi "la formation par le numérique" et la "formation tout au long de la vie aux métiers de l'ère numérique". Dans la première catégorie, les auteurs préconisent une "rénovation pédagogique" grâce aux outils numériques. Aller au-delà des Moocs, les cours ouverts et gratuits en ligne qui se multiplient depuis cinq ans mais qui restent peu utilisés (seulement 14% des étudiants français y ont recours), pour former les professeurs à la "pédagogie numérique" et développer les "learning analytics", c'est-à-dire l'analyse des données d'apprentissage.

L'Université du Michigan est présentée comme la voie à suivre : l'établissement américain propose à ses étudiants de suivre un cours sur un logiciel et d'annoter anonymement des passages. Lors du cours, celui-ci revient sur les notions non-comprises, permettant un enseignement sur-mesure et un cours plus interactif qui se traduit par une baisse du taux de décrochage.

Pour se former en permanence aux métiers du numérique, le rapport préconise notamment d'orienter les formations sur les compétences et de renforcer les collaborations public/privé.

Parachever l'autonomie des universités

Un autre chantier prioritaire serait de "parachever" l'autonomie des universités, effective depuis 2009 mais pas suffisamment efficace pour que la France s'illustre dans les classements internationaux. S'il souligne les progrès réalisés ces dernières années, le rapport propose d'aller plus loin en permettant aux universités de « piloter leur budget et de développer leurs ressources propres ».

Selon les auteurs, une réelle autonomie nécessiterait de mettre en place une "décentralisation complète de la responsabilité de la gestion des ressources humaines aux établissements". En contrepartie, chaque établissement concerné devrait développer un outil d'information partagé avec toutes les parties intéressées : tutelles, organismes de recherche, partenaires locaux, etc.

Des propositions Macron-compatibles

Ces réformes, non-financées dans l'étude mais qui se basent en partie sur une "ré-attribution des ressources", visent autant à moderniser le fonctionnement des universités qu'à leur donner les moyens de mieux se connecter à leur écosystème local.

Les auteurs espèrent ainsi influencer le débat public. Ils ont de bonnes chances d'être entendus : renforcer l'autonomie des universités fait partie des propositions du candidat Macron, qui déclarait "diversifier" les sources de financement des universités, leur donner une liberté dans l'élaboration de leur offre de formations et dans le recrutement de leurs enseignants chercheurs. Tout comme le développement de nouvelles "pédagogies" grâce aux outils numériques, ou encore le renforcement de la connexion entre les universités et le bassin d'emploi local.

Il se pourrait même que l'Institut Montaigne ait l'oreille du président, qui y a puisé une partie de ses propositions en matière d'éducation. Claude Bébéar, son directeur, a soutenu Emmanuel Macron et a hébergé le siège d'En Marche à son domicile pendant la campagne.

L'intégralité du rapport est à consulter ici.