L’Université de Nantes décroche une chaire Unesco pour inculquer la pensée informatique aux enseignants

Première de ce type en France, la chaire de l’Unesco permettra la formation des enseignants nantais par les ressources éducatives libres. Objectif : favoriser la création d’outils d’enseignement pour accélérer la formation des enseignants au numérique, afin qu’ils puissent s’approprier une véritable pensée informatique et ainsi, à leur tour, mieux former les jeunes générations.
"Les craintes sont nombreuses envers le numérique. Les uns ont peur des ondes, les autres de perdre leurs données ou d'être engloutis par des lignes de codes...», explique Colin de la Higuera (photo), ex-président de la SIF (Société d'Informatique de France) à l'origine du programme national Class Code qui va constituer l'objet central des recherches qui seront engagées par la chaire. La chaire devrait accueillir quatre chercheurs, et un ou deux étudiants en master pour leur thèse.

À l'heure de la transition numérique, l'enseignement n'a plus droit aux bidouillages ! "Les progrès technologiques vont si vite que si l'on veut que l'éducation permette à toutes et à tous d'y accéder, il faut que les enseignants acquièrent des compétences, et pas simplement celles d'utilisateurs de technologie. La formation initiale des enseignants ne peut pas suffire", explique Colin de la Higuera, professeur en informatique à l'Université de Nantes, qui vient de se voir attribuer une chaire Unesco en technologies pour la formation des enseignants par les ressources éducatives libres (OER en anglais, pour Open Educational Resources).

Nouvelles méthodes d'enseignement, nouveaux outils...

C'est la première chaire de ce type en France et la huitième au niveau international (Canada, Niger, Mexique, Pays-Bas, Tanzanie...).  Et c'est une nouvelle reconnaissance pour l'université nantaise qui, il y a trois mois, décrochait le label I-Site Next pour dynamiser ses projets autour de la santé et l'usine du futur. Si cette chaire n'ouvre aucun financement direct, elle offre, en revanche, une vraie visibilité à l'université nantaise et lui accorde une crédibilité non négligeable pour aller convaincre de grandes entreprises de la rejoindre dans cette mission d'évangélisation. L'objectif est d'approfondir la recherche, le développement de nouvelles méthodes d'enseignement et d'outils, et de disséminer des technologies éducatives le plus largement possible.

Un premier pas avec Class Code

« Il y en a besoin. On estime qu'au niveau national 300.000 personnes sont à former. Le hic, c'est que les gens doivent avoir envie. Il ne suffit pas de leur donner de l'eau, il faut qu'ils aient envie de boire... Les craintes sont nombreuses envers le numérique. Les uns ont peur des ondes, les autres de perdre leurs données ou d'être engloutis par des lignes de codes...», explique Colin de la Higuera, ex-président de la SIF (Société d'informatique de France) à l'origine du programme national Class Code qui va constituer l'objet central des recherches qui seront engagées par la chaire.

Lancée en octobre dernier pour offrir, en ligne, aux professionnels de l'éducation et de l'informatique les moyens d'initier à la pensée informatique les jeunes de 8 à 14 ans, ce dispositif innovant a, en quelques mois, attiré 15.000 personnes sur le site. On estime que 3.200 d'entre-elles se sont formées, grâce au cinq modules de formation thématiques (programmation créative, manipuler l'information, diriger les robots, connecter le réseau et le processus de création de A à Z) mis en ligne. Chaque module de 10 à 20 heures, réparti sur 3 à 4 semaines, permet de pouvoir animer des ateliers auprès d'un jeune public.

« Pour débloquer l'Education nationale »

« Tout est parti de là », explique Colin de la Higuera.

« A 55 ans, je cherchais à donner du sens à ma vie professionnelle. Et je suis tombé sur les ressources éducatives libres. De nombreuses solutions existaient gratuitement en ligne. A condition de gérer un certain nombre de problèmes comme les droits d'auteurs, photographiques, les formats, mais aussi les moyens de qualifier le niveau d'une vidéo selon son contenu, les concepts qu'elle présentait. De leur côté, l'Unesco et l'OCDE recommandent ces interventions et ces pratiques pour débloquer l'éducation et qu'elle redevienne créatrice. »

Alors, quand le ministère a annoncé qu'il voulait introduire le code et l'informatique dans l'enseignement, l'enseignant-chercheur est allé le voir avec une solution, gratuite qui évitait aux parents, à l'Éducation nationale et aux collectivités de mettre la main à la poche. « Pour peu qu'on nous donnait les moyens de la mettre en musique», raconte-t-il.

Cette proposition a finalement bénéficié du deuxième programme des Investissements d'Avenir (PIA2) à hauteur de 1 million d'euros (pour un budget global de 2 millions d'euros). L'initiative s'est concrétisée en quelques mois, pilotée par l'INRIA (Institut national de recherche dédié au numérique) de Nice, et réunissant autour de la table une quinzaine de partenaires dont les régions PACA et Pays de la Loire où sont déployées des opérations pilotes.

« La vitesse à laquelle le numérique a révolutionné notre quotidien a été supérieure à celle de l'évolution de la formation des enseignants", explique celui qui est également porteur de la chaire UNESCO. "Le but est que, demain, les élèves aient devant eux des enseignants qui aient des compétences plus établies, de manière à mieux initier, former les jeunes générations.»

Acquérir la pensée informatique

Portée par l'Université de Nantes, et obtenue grâce à une collaboration active entre l'INRIA, la Société informatique de France, et la fondation Knowledge for All (K4A), la chaire doit contribuer à développer un modèle de formation unique. Conclue pour quatre ans, elle aura comme objet d'études ce fameux Class Code. Si le contenu précis reste à définir avec l'Université de Nantes, la chaire repose sur trois missions principales autour de la recherche et de la dissémination.

Il s'agira en premier lieu d'observer le fonctionnement de Class Code et de l'évaluer. Dans un deuxième temps, de mener des programmes de recherche en vue de son amélioration. Ce en quoi pourraient participer de grandes entreprises du numérique désireuses de s'impliquer et de jouer un rôle dans les problématiques d'éducation. Enfin, elle accueillera des programmes de recherche autour de la traduction, de manière à ce que le plus grand nombre puisse s'approprier les programmes de Class Code et la pensée informatique.

 « C'est essentiel car si, lors d'un problème quelconque, l'on continue de penser avec les outils habituels, c'est sûr, ça coince", remarque Colin de la Higuera. "Souvent, penser en termes physiques vous empêche de résoudre un problème. Or, savoir transmettre un fichier ne change pas, quelle que soit sa taille, contrairement au papier."

Un premier projet européen

D'ores et déjà, la chaire vient de décrocher un premier programme de recherche européen, baptisé X5gon, piloté par le University College London, et mené en partenariat avec l'Université de Nantes. Pendant trois ans, les chercheurs vont travailler sur de nouveaux objets permettant de naviguer dans les ressources, sans recommandations humaines, en faisant appel aux techniques de l'intelligence artificielle. Des questions sur lesquelles devrait plancher le Laboratoire des sciences du numérique de Nantes (LS2N), né en janvier dernier de la fusion de l'Institut de recherche en communications et cybernétique (IRCCyN) et du LINA (Laboratoire d'informatique de Nantes Atlantique), dont l'une des spécialités concerne les techniques de traitement automatique de la langue et d'exploration des datas.

La chaire devrait accueillir quatre chercheurs, et un ou deux étudiants en master pour leur thèse. L'ambition du projet est de traverser les langues, les sites (Cloud...), les modes (oral, vidéo...), la culture et les domaines à travers diverses disciplines, de manière à pouvoir être diffusé le plus largement possible.

« Une sauce est en train de prendre. On s'aperçoit que l'éducation, l'enseignement et les sciences de l'informatique forment de jolis sujets de recherche », savoure l'enseignant chercheur nantais.

Par Frédéric Thual, 
correspondant Pays de la Loire pour La Tribune

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