Numérique : le rapport qui prépare la loi Macron 2

Par Ivan Best  |   |  1383  mots
Emmanuel Macron prépare une loi intitulée « les nouvelles opportunités économiques » (Photo: Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, le 8 octobre 2015, en visite dans les bureaux du géant des réseaux Cisco à Issy-les-Moulineaux)
Pour favoriser le développement du numérique en France, il faut largement déréglementer l'économie, estime le Conseil d'analyse économique (CAE) dans une note rendue publique cette semaine. En amont de la prochaine loi Macron sur les "Nouvelles opportunités économiques", le CAE propose d'encourager le développement du statut d'autoentrepreneur, mais en apportant de nouvelles sécurités aux travailleurs indépendants.

Comment prendre en compte la révolution numérique que nous vivons ? Et surtout, en tirer le meilleur parti, en la favorisant, au bénéfice de l'économie? Emmanuel Macron, qui prépare une loi sur le sujet, intitulée « les nouvelles opportunités économiques », pourra tirer quelques idées de la note publiée ce jeudi par le Conseil d'analyse économique (CAE), un organisme créé sous Lionel Jospin et qui conseille le gouvernement. Un texte co-signé par quelques-uns des meilleurs spécialistes du secteur, comme Nicolas Colin (TheFamily), auteur d'un rapport officiel sur la question du numérique et de la fiscalité, mais aussi Augustin Landier, Pierre Mohnen et Anne Perrot (1).

Par-delà le constat du dynamisme -incontestable- des startups françaises, dont certains fleurons quasiment mondialement connus comme Blablacar, Deezer ou Criteo font le buzz, le CAE fait le constat d'un retard du développement du numérique en France. Les Français sont très digitalisé, mais les entreprises, notamment les PME, le sont moins.

La high-tech française nettement sous la moyenne des pays de l'OCDE

Certes, « même si elle part de très loin, la France n'est pas dépourvue de culture entrepreneuriale », soulignent les auteurs.

« Selon France Digitale et EY, les effectifs des startups françaises ont augmenté de 22% entre 2012 et 2014, et leur chiffre d'affaires de 43 %. La crise éloigne un certain nombre de personnes, en particulier les jeunes, des entreprises traditionnelles. Les écoles d'ingénieurs et de commerce encouragent leurs jeunes diplômés à créer des startups. »

Quels sont alors les blocages qui freinent le développement du numérique et font que le secteur des hautes technologies ne représente en France que 4,3% du PIB, contre 5,5% en moyenne dans les pays de l'OCDE ?

La question du financement est essentielle. Le mode de financement de ces entreprises le plus adapté n'est évidemment pas le crédit bancaire, mais le capital-risque. Les petites entreprises trouvent un soutien auprès de fonds d'investissement qui se développent en France. Mais dès qu'elles montent en puissance, elles se trouvent bloquées, faute d'acteurs de taille suffisante. « Aux Etats-Unis, des fonds de très grande taille peuvent absorber le risque lié au développement exponentiel des entreprises numériques », souligne le CAE. Ce n'est pas le cas en France.

Mais surtout, et c'est le thème central de la note, les réglementations sont beaucoup trop lourdes et complexes pour favoriser le développement de l'économie numérique. Il faudrait donc déréglementer largement et laisser le champ libre aux acteurs. Autrement dit, par exemple, éviter les contraintes qui ont freiné la croissance d'Uber. Dans le conflit entre Uber et les taxis, les auteurs de la note ont choisi leur camp... Et d'insister :

« Une politique de développement de l'économie numérique en France doit viser avant tout à aplanir les difficultés rencontrées par les entreprises du numérique : complexité réglementaire, barrières à l'entrée sur les marchés, difficultés rencontrées par le développement des nouvelles formes d'emploi. »

Revoir l'ensemble des réglementations sectorielles

« Parce qu'ils sont innovants, les modèles d'affaires issus de l'économie numérique rentrent difficilement dans les cases prévues par les réglementations transversales et sectorielles, d'autant que celles-ci sont foisonnantes » estime le CAE. « En témoigne, le brouillage de la frontière entre les professionnels et les amateurs sur les marchés de la mobilité (partage de trajets avec BlaBlaCar), de l'hospitalité (location d'appartements via AirBnB) ou de l'apprentissage de la conduite (apparition d'auto-écoles 2.0 mettant les candidats en relation avec des moniteurs indépendants).» Les règles existantes « sont farouchement défendues » par les opérateurs traditionnels « sans que les startups aient nécessairement les moyens de répliquer ».

Pour les auteurs de la note, « c'est l'ensemble des réglementations sectorielles qu'il convient donc de rendre plus dynamiques et accueillantes pour l'innovation numérique » et, plus généralement, il y a un « besoin de réduire la complexité administrative pour stimuler l'entrepreneuriat ».

Un exemple, s'agissant des qualifications. Pourquoi ne pas remettre en cause les exigences de qualifications professionnelles et de diplômes et s'en remettre au scoring du numérique ? C'est ce qui est suggéré: « Les données (par exemple, sur Uber, la notation des chauffeurs par leurs clients) représentent aussi une forme de qualification professionnelle qui pourrait alléger les exigences en matière de qualification formelle : au lieu d'un diplôme ou d'un examen, il est possible de faire valoir la satisfaction des utilisateurs. »

Polarisation du marché du travail

Quelles seraient les conséquences de cette déréglementation, notamment sur l'emploi ? Le CAE le souligne, l'emploi dans le numérique, ce n'est pas que des ingénieurs, mais aussi et surtout beaucoup de postes non qualifiés (qu'on songe à tous les salariés d'Amazon dans les centres d'expédition, aux chauffeurs de VTC ou à ceux qui proposent des travaux de réparation en ligne). Il y a donc « polarisation » du marché du travail, c'est-à-dire création d'emplois en haut de l'échelle sociale et en bas.

Quant aux jobs de la classe moyenne, ils tendent à disparaître. « Les métiers routiniers, qui correspondent pour l'essentiel des professions intermédiaires dans la distribution des revenus, se raréfient du fait de l'automatisation » relève la note. « Ces emplois (ouvriers, employés de bureau, etc.) sont exercés par des segments de la main-d'oeuvre particulièrement nombreux et emblématiques : les travailleurs des classes moyennes, pour la plupart salariés - ceux-là mêmes qui sont au cœur de notre modèle social et dominent notre représentation du monde du travail. »

Sécuriser, favoriser, généraliser le régime des autoentrepreneurs

L'économie numérique, c'est aussi, et de plus en plus, des emplois d'indépendants, de non-salariés. Avec des risques associés, compte tenu du faible niveau de protection sociale de ces indépendants, notamment autoentrepreneurs.

Il y a là « des défis pour un modèle social calibré sur la prédominance du salariat », admettent les auteurs de la note.

« L'accès au logement et au marché du crédit est plus difficile pour les travailleurs n'ayant pas un CDI, même lorsque leurs revenus ne sont pas incertains. On peut craindre également que les nouveaux indépendants sous-épargnent par myopie ou manque d'information sur les niveaux de pension auxquels ils ont droit dans le cadre de leur régime de retraite ».

Autrement dit, nombreux sont ceux qui épargnent trop peu aujourd'hui, n'anticipant pas une retraite d'un niveau qui s'annonce en fait ridiculement faible. « Faute d'épargne individuelle, l'arrivée à l'âge de la retraite de cette population pourrait révéler des difficultés économiques inédites », écrivent sobrement les auteurs.

Pour autant, ils ne veulent pas remettre en cause le statut d'autoentrepreneur, mais au contraire le favoriser, et même le généraliser, puisque « l'emploi peu qualifié dans l'économie numérique repose en France sur le statut de l'autoentrepreneur ».

Il faudrait donc revenir sur les modifications récentes encadrant ce régime. « La loi Pinel a érodé la simplicité du dispositif et exposé inutilement l'auto-entrepreneur à des barrières corporatistes (obligation d'immatriculation au Répertoire des métiers ou au Registre du commerce et des sociétés, suppression de la dispense de stage de préparation à l'installation) », estime le CAE.

« Il est au contraire opportun de faciliter l'option pour ce statut (..). Pour supprimer la concurrence avec d'autres formes d'entrepreneuriat individuel, le régime fiscal et social de l'auto-entrepreneur pourrait être rendu accessible à tous pour la partie du chiffre d'affaires située sous le plafond.»

En contrepartie, la distorsion fiscale liée à l'exemption de TVA des autoentrepreneurs serait réduite par la création d'une taxe à taux faible. Face à la précarité de ce statut, des solutions sont esquissées, comme la portabilité des données bancaires pour atténuer les asymétries d'information qui ferment le marché du logement ou du crédit aux non titulaires d'un CDI. Le CAE propose aussi un « dispositif simple d'épargne individuel fiscalement avantageux », un produit d'épargne micro-entrepreneurial.

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(1) « Economie numérique », par Nicolas Colin, Augustin Landier, Pierre Mohnen et Anne Perrot. Note du conseil d'analyse économique, Numéro 26, octobre 2015.