Startups : pourquoi Paris n'est pas dans le Top 10 mondial

Par Maxime Hanssen  |   |  1275  mots
La Numa est le lieu emblématique de l'écosystème des startups parisiennes.
Dans son rapport 2015, la société Compass classe l'écosystème parisien des startups à la 11e place mondiale. Il pointe un manque de main-d’œuvre qualifiée, des problèmes de financement, mais loue la capacité d'internationalisation des jeunes pousses françaises. Ces faiblesses sont connues du gouvernement et des acteurs, qui travaillent à les combler.

Dans la compétition acharnée que se livrent les métropoles mondiales pour attirer les startups, Paris n'est pas (encore) dans le gratin mondial.

Selon le troisième opus de l'étude "Startup Ecosystem Ranking  2015" publié par la société américaine Compass, et réalisé grâce à une consultation auprès de 11 000 startups et 200 entretiens, l'écosystème de la capitale française se classe au 11e rang.

Il se situe derrière des villes européennes comme Londres (6e) ou Berlin (9e), que Paris souhaite concurrencer. Les territoires américains, Silicon Valley en tête, trustent 6 des 10 premières positions, tandis que des "petits nouveaux" percent, à l'instar de la ville indienne de Bangalore (15e), nouveau paradis des startups.

Limite de l'étude, les écosystèmes chinois (notamment celui, foisonnant, de Shenzhen), taiwanais, japonais et coréen du sud ne sont pas pris en compte.

Crise des talents

Le document estime qu'il existe entre 2.400 et 3.200 startups dans l'écosystème tech parisien. Parmi leurs faiblesses identifiées, le rapport met en avant une carence connue des acteurs du secteur : celle de la crise des talents. L'étude place l'écosystème francilien à la 16ème place. Elle estime que "les ingénieurs les plus doués de la ville ont tendance à favoriser les grandes entreprises, les employeurs stables, plutôt que les startups naissantes ou même celles établies". Les salaires parisiens peuvent donner une piste d'explication. En moyenne, un ingénieur d'une startup parisienne touche 53.000 dollars par an, contre 53.500 en Europe et 118.000 à la Silicon Valley. Des montants qui peuvent favoriser l'expatriation des talents outre-Atlantique.

La pénurie des compétences ne touche pas que les ingénieurs. Les développeurs et codeurs sont des denrées rares et fortement demandées. Le gouvernement a conscience de ce problème et a ainsi lancé un plan de 1 milliard d'euros pour une "école du numérique". Il soutient par ailleurs des initiatives privées, à l'image de la fabrique sociale de codeurs Simplon.co.

Outre le manque de main-d'œuvre disponible, Compass souligne un déficit d'expérience chez les fondateurs des jeunes pousses tech. Les créateurs -en moyenne âgés de 33 ans et principalement ingénieur-  qui ont une expérience dans une startup en "hyper croissance" ne sont que 5 %. Ce ratio est de 35 % dans la Silicon Valley et 13 % en moyenne en Europe. Cependant, les collaborateurs des jeunes entreprises parisiennes ont une bonne connaissance de cet environnement professionnel puisque 40 % d'entre eux ont déjà travaillé dans ce genre de structure, un taux proche de la terre promise de l'Ouest américain (48 %).

Des levées de fonds en général plus faibles

Non sans surprise, la question du financement est également épinglée. L'enquête souligne "une réduction surprise de 7 % des investissements en capital- risque », à 1 milliard d'euros. Le cabinet américain estime qu'en moyenne, un tour de table se fixe entre 650 000 et 700 000 dollars, pour une levée de fonds globale, en phase A, entre 4,4 et 5 millions de dollars, derrière les 7 millions de dollars en moyenne pour les jeunes entreprises californiennes. Selon le document,  les acteurs français accusent un manque important dans le financement au stade de développement « later stage ».

Mais l'étude ne semble pas prendre en compte les dernières tendances en termes d'investissements. Celles-ci sont marquées par une forte accélération du financement dans les startups françaises, et notamment parisiennes. Selon le cabinet Clipperton, sur le début de l'année 2015, la France a concentré en Europe le plus grand nombre de levées de fonds de plus de 500 000 dollars : avec 159 opérations, l'Hexagone se place devant le Royaume-Uni (154).

Capacité d'internationalisation

L'augmentation des opérations est notamment due , selon Clipperton Finance, au "très bon tissu de financement en France". Celui-ci est composé de business angels, de capital-risqueurs français dynamiques, d'un soutien important de Bpifrance, et aux grandes entreprises qui n'hésitent plus à prendre des tickets dans les startups. Mais surtout, les investisseurs étrangers ont davantage confiance dans les jeunes startups françaises. Ils sont de plus en plus nombreux à parier sur elles. Ainsi, le chiffre avancé par le rapport américain - 73 % des investisseurs sont d'origine locale -, pourrait être en baisse l'an prochain. Et pour illustrer cette nouvelle tendance, on peut citer le premier investissement de l'américain Fred Wilson de Union Ventures dans la startup La Ruche Qui Dit Oui.

Parmi les points forts franciliens évoqués par Compass, les analystes soulignent la bonne performance des startups locales dans le domaine du "Market Reach", c'est-à-dire, la possibilité pour la startup de toucher ses marchés cibles. Outre un marché local fort - le 4ème le plus important en fonction du PIB sur les 20 de l'étude-, les jeunes pousses franciliennes sont dynamiques à l'export, avec 42 % des clients étrangers, principalement aux Etats-Unis et en Chine. Cette internationalisation est possible par des produits développés quasiment en trois langues (moyenne de 2.8, contre 2.2 pour la Silicon Valley, 2,4 pour l'Europe).

Un changement de mentalité soulignée dans l'étude

Mais si Paris enregistre le deuxième plus faible taux de progression des indicateurs du classement (1,3), le rapport souligne un profond changement de mentalité. Il note que le gouvernement a commencé "à reconnaître l'importance de startups technologiques", engendrant une "hausse de la disponibilité des subventions publiques et des prêts".

L'initiative gouvernementale French Tech, qui vise à fédérer, accélérer et faire rayonner les jeunes pousses, traduit cette mutation. Produit marketing pour certains, élément structurant ou coquille vide pour d'autres, la French Tech possède une enveloppe de financement de 200 millions d'euros.

Les ministres s'activent, à l'image de la secrétaire d'Etat chargée du Numérique Axelle Lemaire. Ou de Manuel Valls lors de son déplacement à Lyon en mai dernier, où il lançait son "J'aime les entreprises du digital". Mais dans les écosystèmes, certains acteurs s'interrogent sur l'efficience de cette action.

Ainsi, plus que les discours, ce sont les actions concrètes qui demeurent le moteur du numérique. A Paris, les structures privées et publiques se multiplient. Peu nombreux en 2008, les incubateurs ou autres accélérateurs de startups sont aujourd'hui une cinquantaine dans la Capitale. Certains, à l'instar du Numa, se structurent en profondeur pour augmenter leur force de frappe.

"Mouvement entrepreneurial vaste"

Le changement de braquet est en cours, comme le démontre les importantes levées de fonds de startups françaises ces derniers mois. En tête de gondole, le site de covoiturage Blablacar et l'opérateur de réseau bas débit pour l'Internet des objets Sigfox, qui ont levé 100 millions de dollars. "Les licornes comme Criteo et Blablacar sont toujours une exception pour la scène tech parisienne, mais ils représentent un mouvement entrepreneurial vaste qui se diffuse dans toute la société française", avance Erika Batista, responsable des partenariats au sein de TheFamily, une structure qui mène des actions multiples pour permettre l'essor des jeunes entreprises.

Cependant, pour devenir une vraie startup nation, il reste certaines barrières à lever. Les deux lois sur le numérique, l'une portée par Axelle Lemaire, l'autre par Emmanuel Macron dans le cadre de la loi Macron II, ont l'ambition d'y contribuer. Les deux textes pourraient être examinés d'ici à la fin de l'année.

Parmi les pistes avancées : une ouverture plus généralisée aux données publiques pour les entrepreneurs, une simplification pour la création numérique, la neutralité du réseau, la loyauté des plateformes...En somme, des premières esquisses avant de voir, peut-être, de multiples licornes se désaltérer dans la Seine.