Télécoms : « Un passage à trois opérateurs permettrait de stabiliser les prix »

Par Pierre Manière  |   |  653  mots
"En cas de consolidation, et en l'absence de monopole ou duopole, je pense que les investissements repartiront à la hausse", estime Sylvain Chevallier.
Associé spécialiste des télécoms chez BearingPoint, Sylvain Chevallier revient sur les implications d'un très probable passage de quatre à trois opérateurs en cas de mariage entre Numericable-SFR et Bouygues Telecom.

L'offre de 10 milliards d'euros de Patrick Drahi (patron d'Altice, la maison-mère de Numericable-SFR) pour Bouygues Telecom constitue, semble-t-il, un tournant pour le secteur des télécoms. En Bourse, les opérateurs flambent, signe que les marchés approuvent la manœuvre... La probabilité de retrouver un marché à trois opérateurs n'a jamais été aussi forte. Est-ce irrémédiable ?

Je suis persuadé que sur le marché français, il n'y a pas forcément de place pour quatre opérateurs avec les niveaux de prix qu'on a. La priorité, dans l'Hexagone, est de disposer de niveaux d'investissements suffisamment élevés, ce qui suppose des revenus conséquents. Or avec quatre opérateurs, leur part du gâteau est moindre qu'à trois. Il a deux effets évidents : d'un part, il faut monter quatre réseaux, ce qui implique des investissements plus lourds pour chacun des acteurs.

D'autre part, le marché est extrêmement compétitif, ce qui s'est caractérisé par un effondrement des prix. Résultat, les revenus des opérateurs ne sont pas du tout à la hauteur des investissements qu'on pourrait attendre sur le marché français.

Aujourd'hui, on sait que la France a pris du retard dans le déploiement de la fibre par rapport à bon nombre de pays européens. Il en va de même pour la 4G, dont le déploiement est apparu bien plus tard qu'aux Etats-Unis. Je pense qu'il est irrémédiable qu'on aille vers un marché à trois opérateurs pour qu'on retrouve de bons niveaux d'investissements.

Avec trois opérateurs, les prix vont-ils monter dans le mobile et dans le fixe ? Si oui, dans quelles proportions ?

Je ne crois pas à une remontée forte des prix. Pourquoi ? Parce qu'il ne faut pas oublier qu'un marché à trois acteurs reste un marché réputé très concurrentiel. C'est ce qu'on observe partout dans le monde. Cela voudrait dire, par exemple, que Free monte ses tarifs. Et cela, je n'y crois pas. Ce n'est pas dans l'ADN du groupe. Et je le vois plutôt miser sur un élargissement de sa base d'abonnés.

En revanche, je crois qu'un passage à trois opérateurs permettrait de stabiliser les prix, et l'arrêt de la baisse effrénée qu'on a connue dans le mobile - avec l'arrivée de Free Mobile en 2012 -, mais aussi sur l'Internet. Sur ce créneau, Bouygues Telecom s'est montré très agressif, avec des offres à 19,99 euros (pour son offre Triple-play ADSL, ou à 25,99 euros pour la fibre, Ndlr).

Ces offres pourraient cesser, d'autant qu'elles ne sont guère compatibles avec la stratégie tarifaire de Numericable-SFR. Dans ce sillage, on pourrait voir s'éteindre la stratégie d'offres promotionnelles, de dégriffes et de ventes privées quasi-permanentes des autres opérateurs. Lesquelles viennent sensiblement rogner leurs revenus.

Outre des craintes liées à l'emploi, Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie, s'inquiète pourtant d'un impact sur les investissements dans le cadre d'un marché à trois opérateurs. Il brandit notamment le fait qu'en 2014, année du mariage entre entre SFR et Numericable, ceux-ci ont chuté de 300 millions d'euros. Est-ce justifié ?

Au contraire, encore une fois, j'ai plutôt le sentiment que si on redonne de l'espace économique aux opérateurs, ils auront une plus grande capacité d'investissement. Regardez le marché américain : les prix sont beaucoup plus hauts qu'en France à la fois sur le mobile et sur l'internet. Mais en parallèle, ils ont eu la 4G des années avant nous. Quand cette technologie est arrivée en France, fin 2012, 80% à 90% de la population américaine était déjà couverte ! Concrètement, les opérateurs américains ont investi beaucoup plus massivement et rapidement que les opérateurs français, surtout parce qu'ils disposaient de davantage de marge financière pour le faire. En cas de consolidation, et en l'absence de monopole ou duopole, je pense que les investissements repartiront à la hausse.