Hausse de la TVA sur la facture télécom : SFR jette un pavé dans la mare

Par Delphine Cuny et Jamal Henni  |   |  1121  mots
Infographie La Tribune
La loi oblige les opérateurs à prendre à leur charge cette hausse dès janvier, mais leur interdit de la répercuter à leurs clients avant février. SFR envisage de déposer une réclamation fiscale, voire un recours auprès du Conseil d'État si cette dernière était rejetée.

L'affaire est suffisamment importante pour que Frank Esser, le PDG de SFR, ait soulevé la question lors d'un entretien avec Éric Besson à Bercy le 3 janvier. Il était reçu au ministère en tant que président de la Fédération française des télécoms (FFT), le lobby du secteur. Selon plusieurs sources concordantes, le patron du numéro deux français des télécoms a fait savoir qu'il était très mécontent de devoir prendre à sa charge une partie non négligeable de la hausse de la TVA. Au point que SFR envisage de déposer une réclamation fiscale, voire un recours auprès du Conseil d'État si cette dernière était rejetée.

Télescopage

« Le problème tient au télescopage du Code de la consommation et de la loi de finances », explique le juriste d'un opérateur. En effet, la loi de finances 2011, promulguée le 29 décembre 2010, a fixé au 1er janvier la suppression du taux réduit à 5,5 % sur les « abonnements composites » comprenant de la télévision, qu'ils s'agissent d'un accès à Internet fixe ou d'un forfait mobile. Or les opérateurs sont tenus d'informer leurs clients « au moins un mois avant l'entrée en vigueur » d'une modification des conditions contractuelles. Ils sont donc contraints de verser la TVA à taux plein à l'État dès le 1er janvier alors qu'ils ne pourront la répercuter à leurs abonnés, totalement ou partiellement, qu'au 1er février.

La somme sur le seul mois de janvier approcherait les 90 millions d'euros pour l'ensemble du secteur. Sur l'année, Bercy avait en effet évalué autour de 1,1 milliard d'euros le montant qu'il espérait récupérer de cette mesure. Pour Orange, « le surplus de TVA à verser représente 316 millions d'euros » sur l'année, avant répercussion partielle sur les clients, et la charge sur le mois de janvier s'élève à 23,8 millions d'euros. Chez SFR, l'impact serait de plus de 200 millions sur l'année (avant répercussion) et de 20 millions en janvier.

« Il y une rupture d'équité. Nous, les télécoms, sommes le seul secteur concerné par cette contrainte d'informer le client un mois avant », fait valoir un opérateur. Avec, de surcroît, le risque de voir les clients résilier sans frais dans les quatre mois qui suivent la hausse de tarifs, comme le prévoit le Code de la consommation. Il n'est pourtant pas sûr que les autres opérateurs suivent SFR dans cette réclamation. Bouygues Telecom a pris le parti de ne pas répercuter la hausse de la TVA sur les forfaits mobiles et va même attendre le 1er mars pour la répercuter sur les abonnements ADSL. Il lui serait dès lors plus difficile de formuler un recours sur le motif des contraintes du Code de la consommation. « Les opérateurs n'étaient pas obligés de modifier leurs tarifs. L'objectif initial de Bercy était qu'ils absorbent le surcoût », relève un fin observateur du secteur.

Qui sont les opérateurs qui profitent de la hausse de la TVA ?

Tous les fournisseurs d'accès ?à Internet (FAI) ont juré qu'ils ne profiteraient pas de la hausse de la TVA pour arrondir leur marge, assurant même qu'ils allaient supporter une partie de cette hausse?: Orange parle de 45 millions d'euros, SFR de 80 millions, et Free de «quelques dizaines de millions» ? et cela sans compter la non-application de la hausse de la TVA durant le mois de janvier. Mais, en examinant de plus près les nouveaux tarifs, la réalité est un peu différente des discours officiels.

- Orange : les tarifs augmentent pour tous les clients ADSL, et pour 3 millions des 18,6 millions d'abonnés à des forfaits mobiles. L'opérateur répercute la hausse de la TVA en arrondissant à l'euro le plus proche. Cet arrondi se fait quasiment toujours au bénéfice du client, à de rares exceptions près.

- SFR : dans l'ADSL, le prix augmente de 2 euros pour les tarifs supérieurs à 20 euros. Dans le mobile, 5 millions des 16 millions de clients forfaits subiront une hausse. Le relèvement de la TVA est répercuté quasiment au centime près sur les forfaits en dessous de 100 euros environ. Au-delà, la hausse n'est pas intégralement impactée, SFR en prenant à sa charge environ la moitié. Quant aux tarifs qui n'augmentent pas, l'opérateur assure qu'il y en a 300. Mais, ces 300 tarifs semblent constitués essentiellement d'offres qui n'étaient de toute façon pas concernées par la hausse de la TVA ! Après enquête, on ne trouve qu'une poignée de tarifs impactés par la hausse de la TVA, et qui n'augmentent pas?: un forfait MTV à 19,90 euros, deux Illymithics (à 29,90 et 199 euros), ainsi que les clés 3G+ et les offres pour tablettes.

- Bouygues Télécom : dans l'ADSL, la filiale de Bouygues répercute la hausse de la TVA au centime près. Dans le mobile, les tarifs restent inchangés.

- Free : un client qui renonce à la télévision reste à 29,90 euros. Dans ce cas, Free paye de sa poche toute la hausse de la TVA (1,77 euro), mais toutefois ne paye plus les taxes audiovisuelles (1,35 euro). Si le client prend l'option TV à 1,99 euro, alors l'addition devient favorable à Free, qui empoche 1,30 euro.

- Numericable : 70% des clients subiront en août une hausse de tarifs, de 3 euros dans la majorité des cas. Pourtant, le câblo-opérateur a lui-même indiqué que la majorité de ses offres n'est pas impactée par la hausse de TVA. En outre, il paye déjà jusqu'à présent moins de TVA que les autres FAI, car il utilise un système différent?: il découpe ses forfaits en plusieurs morceaux en leur appliquant des TVA différentes. Ainsi, la TVA à taux plein (19,60%) est appliquée uniquement au téléphone (facturé 10 euros) et l'accès Internet (facturé 10 euros voire zéro dans les offres d'entrée de gamme). Sur ses offres d'entrée de gamme, le câblo-opérateur ne paye donc aujourd'hui que 1,64 euro de TVA à taux plein, soit 1 euro de moins que les FAI.

Mieux : Numericable pourrait payer encore moins de TVA après la réforme?! En effet, une disposition du budget 2011 (adoptée ? dit-on ? suite à son lobbying) lui permettra de continuer à bénéficier de la TVA réduite sur une large partie de ses forfaits («La Tribune» du 30décembre). Dans son rapport sur le budget 2010, le rapporteur Gilles Carrez (UMP) calcule que, sur une offre à 29,90 euros, le câblo-opérateur paiera désormais la TVA à taux plein sur seulement 5 euros, soit une TVA de 0,98 euro... C'est-à-dire encore moins que dans l'ancien régime !