Free Mobile : les raisons des ratés du réseau

Par Delphine Cuny  |   |  1169  mots
Le réseau de Free, présidé par Xavier Niel, se devait de couvrir 27% de la population au moment du lancement de son offre. Photo : Reuters
La polémique enfle sur la qualité du réseau de Free Mobile, accusé de ne pas tenir ses engagements de couverture. Enquête sur les difficultés techniques du nouvel opérateur à assurer un service continu à ses 1,5 million d'abonnés recrutés en un mois

Free déploie-t-il un vrai réseau mobile selon les règles de l'art ? « C'est du bricolage » affirme un concurrent, « c'est le grand bluff ! » dénonce un autre. A peine Free Mobile avait-il lancé ses offres, le 10 janvier, que les autres opérateurs ont laissé entendre que le réseau en cours de déploiement du nouvel entrant n'était pas totalement actif voire carrément éteint selon certains ! L'Agence nationale des fréquences (ANFR), qui délivre les autorisations d'implantation d'antennes, « dément avoir constaté qu'aucun relais de Free Mobile n'était allumé », contrairement à ce qu'il a pu être suggéré dans la presse.

Une vérification sur le terrain est en cours

Selon nos informations, Eric Besson, le ministre de l'Industrie et de l'économie numérique, a confié à l'ANFR une mission de mesures de terrain des relais de Free, en complément et en parallèle des mesures menées par l'Arcep, le régulateur des télécoms. En effet, « dans un souci de transparence et de sérénité », en clair pour calmer la polémique, l'Arcep a décidé le 27 janvier de mener une vérification sur le terrain de l'état du réseau de Free Mobile, tenu de couvrir 27% de la population au moment du lancement. Cette couverture a déjà été vérifiée et certifiée par l'Arcep en décembre.

"Les toits de Paris sont pleins"

Free, qui a obtenu sa licence en janvier 2010, se devait de couvrir ces 27% en un temps très court : deux ans. Or, « les trois autres opérateurs ont déployé leur réseau en partant d'une page blanche.  Ils ont donc pu procéder avec méthode et occupent tous les sites où l'on peut installer des antennes », explique un expert du secteur. En particulier, « les toits de Paris sont pleins et les inquiétudes sur les ondes rendent l'installation de nouvelles antennes très difficile » relève-t-il.

« Dans Paris intra muros, nous avons très peu d'antennes, car les procédures sont extrêmement longues » et « une couverture exécrable », a déclaré lui-même Xavier Niel, le fondateur et premier actionnaire de Free, le 25 janvier, lors d'une audition à l'Assemblée nationale. Selon nos informations, Free Mobile aurait une vingtaine d'autorisations d'implantations à Paris mais seulement une poignée d'antennes actives (à la  Gare de l'Est, près du Musée d'Orsay, près de Nation).

Le réseau de Free Mobile est en « taches de léopard »

Sur l'ensemble du territoire, l'opérateur possède environ 1.600 autorisations et un peu plus d'un millier d'antennes en service, contre plus de 15.000 pour chacun des trois opérateurs, et pour l'essentiel dans les villes moyennes. Free a procédé à un déploiement opportuniste, signant un accord avec le télédiffuseur TDF et de grands bailleurs. « S'ils avaient pu, ils auraient commencé par le c?ur des grandes villes, là où il y a du trafic », explique un proche du dossier. Résultat : son réseau est « en taches de léopard », selon l'expression employée dans le secteur, c'est-à-dire laissant d'importantes zones non couvertes.

Les résultats de l'enquête connus début mars

« Il s'agit d'un réseau à construire de zéro et pas seulement de l'upgrade d'un réseau 2G en 3G qui passe souvent inaperçu pour les habitants » rappelle un professionnel du secteur. Free ne communique pas sur l'état de son réseau, mais un site communautaire, non officiel, « Couverture 3G Free » (le plan ici), effectue un relevé empirique des antennes et publie une carte des zones où le réseau est détectable (sous le code 208-15 ou 208-14 sur votre téléphone), ce qui ne correspond pas forcément aux antennes-relais. Les questions auxquelles devront répondre les relevés de l'ANFR et de l'Arcep sont notamment de « savoir si les antennes en service de Free sont effectivement capables d'écouler suffisamment de communications ou de flux de données par rapport aux standards d'un opérateur mobile » décrypte un proche du dossier. Les résultats devraient être connus début mars.

Les problèmes liés à l'accord d'itinérance avec Orange

Il y a un an, Free a signé avec France Télécom un contrat commercial d'itinérance nationale 2G et 3G qui « nous permet de couvrir quasiment l'ensemble de la population en ajoutant la couverture d'Orange à celle qui nous est propre » a expliqué Xavier Niel devant l'Assemblée nationale. Orange a récemment protesté contre la part trop importante du trafic des abonnés Free Mobile transitant par son réseau, près de 97% selon lui. « Il y a toujours une décote importante entre le pourcentage de couverture officiel et le trafic : même si un réseau affiche 98% de couverture en 3G, on le constate tous chaque jour, tous les appels ne passent pas en 3G, quel que soit l'opérateur » relève un expert qui assure que « c'était entièrement prévisible que la part du trafic passant par le réseau soit très inférieure à son taux de couverture. »

Free et Orange ont encore des points à arranger entre eux

Car Free ne dispose que de fréquences 3G (2,1 Ghz) pour l'instant dans les grandes villes (les zones denses), il ne récupérera de fréquences GSM (900 Mhz) qu'en janvier prochain : tous les appels effectués à l'intérieur des bâtiments, où la 3G passe souvent mal, transitent donc automatiquement sur le réseau d'Orange. D'autres raisons sont possibles : tous les téléphones en circulation ne sont pas 3G et les appareils ne vont chercher que de temps en temps les autres réseaux, pour éviter de vider la batterie. A ceci s'ajoutent les inévitables soucis de démarrage. Free et Orange ont encore visiblement beaucoup de points à ajuster entre eux, notamment sur le terrain de l'interconnexion entre leurs c?ur de réseaux : par exemple, le nouvel entrant est accusé de ne pas appliquer le « fair use » de 3Go, le plafond d'usage raisonnable au-delà duquel le débit est réduit. Il s'agirait d'un « problème technique », d'un équipement ayant mal « dialogué » entre les deux réseaux, entraînant des cas de surconsommation anormale (le fameux 55Go en trois jours).

1,5 million d'abonnés en un mois

In fine, du fait succès rencontré (plus de 1,5 million d'abonnés en un mois) et du trafic plus important que prévu, « Free va avoir un surcoût important, de plusieurs dizaines de millions d'euros » confie un proche du dossier. Orange a déjà indiqué que ce contrat devrait lui rapporter 1,5 milliard plutôt que 1 milliard d'euros cumulés sur cinq ans. « Si louer le réseau d'Orange ouvre des possibilités fantastiques, il ne s'agit pas d'un modèle viable », a insisté Xavier Niel devant l'Assemblée fin janvier, réaffirmant sa « volonté de couvrir le plus tôt possible plus de 90% de la population parce que c'est ainsi que nous gagnerons de l'argent. »