Orange résiste à la vague Free mais va baisser son dividende

Par Delphine Cuny  |   |  1376  mots
Stéphane Richard, le PDG de France Télécom Orange, a dressé un premier bilan de l'impact de l'arrivée de Free.
L'opérateur historique estime que le marché du mobile est revenu proche de la normale après six semaines de suractivité. Malgré tout, mis sous pression par « le sujet du moment », la tonitruante arrivée de Free sur le marché, il a prévu de diminuer légèrement le dividende qui sera versé en 2013.

France Télécom Orange a ouvert le bal des publications de résultats du secteur. Tout l'état-major était présent ce mercredi en fin de matinée pour les présenter à la presse et dévoiler les perspectives 2012. Revue de détails de ce qu'il faut retenir.

Seulement 40% des clients partis sont allés chez Free

Sur « le sujet du moment », à savoir l'arrivée en fanfare de Free Mobile, Stéphane Richard, le PDG de France Télécom Orange, a joué la carte de la transparence, en dressant un premier bilan de « l'impact du phénomène pour Orange » : en six semaines, le premier opérateur mobile français a donc perdu en net 201.000 abonnés, au 15 février, soit « environ 0,7% de son parc mobile qui comptait plus de 27 millions d'abonnés en France au 31 décembre 2011. » En réalité, il a essuyé 1,038 million de résiliations vers la concurrence, « dont 40% chez Free », ce qui représente « 15% à 20% de plus que d'habitude », tandis qu'il a conquis 837.000 nouveaux clients au cours de la période. Les clients partis chez Free sont « à 75% des Freenautes », des abonnés à l'offre ADSL Freebox, a précisé Delphine Ernotte, la patronne d'Orange France. « Il y a eu une vague bien normale, un flux de demandes très fort : quand vous offrez des cartes SIM à zéro euro, ce n'est pas très étonnant » a commenté le PDG d'Orange. Après un pic de demandes de portabilité (de RIO), « ce qui est un indicateur avancé de la volatilité du marché », à plus de 150.000 par jour dans les 48 heures qui ont suivi le lancement de Free Mobile, le 10 janvier, « le flux a été divisé par dix, on est retombé à 15.000 demandes par jour, c'est un peu supérieur à ce que l'on observe d'habitude. » Au total, Orange s'attend à une perte de 1% de part de marché au premier trimestre (elle était à 39,9% à fin décembre contre 41,7% un an plus tôt).

Sosh, Open, Origami... une riposte sur tous les fronts

L'opérateur a mené « une riposte sur tous les fronts, vers tous les clients », en utilisant en priorité à la fois Sosh, sa marque en ligne low-cost, et Open, son offre quadruple-play (combinant abonnements mobile et haut débit triple-play), comme « outils de défense. » En six semaines, Sosh a triplé son parc de clients (sans engagement), passant de 28.000 à fin décembre à 90.000 au 15 février, tandis qu'Open a agrandi le sien de 219.000 clients, à 1,4 million. Sur le c?ur de gamme, les forfaits Origami, l'accent est mis sur la « rétention » (ristournes, offres de changement de terminal, etc, au cas par cas).

Le contrat d'itinérance ne sera pas renégocié

Par ailleurs, le fameux contrat d'itinérance, par lequel il loue son réseau à Free Mobile, le temps que ce dernier complète sa couverture, devrait générer « un trafic substantiellement plus élevé que prévu, sans que cela nuise à la qualité du réseau d'Orange. » L'opérateur « assume » ce contrat, que SFR accuse d'être trop avantageux : « contrairement aux fantasmes de certains, ce sont des prix de marché tout à fait cohérents avec ceux pratiqués avec les autres MVNO. » Au sujet de la polémique sur la couverture effective du réseau en propre de Free, le secrétaire général Pierre Louette « s'attend à ce que l'enquête de l'Arcep [le régulateur des télécoms NDLR] prouve que Free couvre plus de 27% de la population. Mais il faut distinguer la question de la couverture théorique de celle des usages et du trafic, qui relève de l'exécution du contrat. » Pour autant, « il n'y a pas de renégociation de ce contrat, qui n'a pas vocation à être public, mais est connu de l'Arcep. Ce contrat fonctionne. Techniquement, on fait face. Financièrement, les revenus seront plus importants que prévu » a conclu Stéphane Richard.

Une baisse du dividende l'an prochain

« Compte tenu du contexte macro-économique et concurrentiel incertain », le conseil d'administration de France Télécom a décidé « une légère révision de notre politique de rémunération des actionnaires » a expliqué Stéphane Richard. Mais pour l'an prochain, car il avait promis de maintenir le dividende à 1,40 euro par action en 2010, 2011 et 2012. Or « les résultats de 2011 sont bons et le permettent.» Cette décision, que certains investisseurs appelaient de leurs v?ux et jugeaient inéluctable, vise à « préserver la priorité absolue, la solidité financière du groupe. Or France Télécom est bien placé pour savoir combien c'est important. Elle a dû affronter un mur de dettes il y a quelques années, s'est retrouvée en situation très périlleuse au point de menacer la pérennité de l'entreprise. » Le dividende versé représentera un montant total de l'ordre de 40% à 45% du cash flow opérationnel, attendu proche de 8 milliards d'euros l'an prochain, et serait abaissé entre 1,21 et 1,35 euro par titre (entre 3,5% et 13,5% de réduction). Soit une somme reversée de plus de 3,2 milliards d'euros. Cela resterait « un dividende extrêmement attractif et un des rendements les plus élevés du marché » a fait valoir le PDG, plaidant une attitude « raisonnée et raisonnable. » La CFDT a dit approuver cette « première inflexion » En revanche, c'est « une baisse trop tardive et insuffisante » pour le syndicat CFE-CGC Unsa. « Ce renoncement est dû en partie au désintérêt des marchés pour l'action France Télécom » analyse de son côté Sud PTT. Autre point discrètement évoqué par le patron, la modération salariale : « il a été décidé un gel des cent premiers salaires, y compris des mandataires sociaux, en 2012, car l'exemple doit venir de l'équipe dirigeante. »

Les investissements dans la fibre et la 4G en « priorité absolue »

« Nous ne sacrifierons jamais nos investissements car la qualité du réseau est la clé dans la compétition acharnée qui se joue sur nos marchés » a martelé Stéphane Richard. Par exemple, dans la fibre optique, l'opérateur historique a investi 151 millions d'euros en 2011, contre 59 millions en 2010, et prévoit de doubler ce montant cette année, à plus de 300 millions. France Télécom a dépassé les 100.000 abonnés à la fibre début 2012 et devrait atteindre « très vite » le million de logements éligibles (866.000 au 31 décembre). Dans la 4G, France Télécom se targue d'avoir obtenu « la plus grande largeur de spectre au meilleur prix », soit deux blocs de 20Mhz de fréquences 2,6 Ghz et deux blocs de 10 Mhz en 800 Mhz "sans obligation de partage" (à la différence de SFR), pour un montant total de 1,178 milliard d'euros « soit une prime de 18% par rapport au prix de réserve contre 60% pour d'autres » (en l'occurrence Bouygues Telecom 66% et SFR 62%, contre 36% pour Iliad/Free). Le PDG laisse planer le mystère sur la date de lancement commercial des services de très haut débit mobile : il avait parlé de début 2013 mais il se dit que le groupe se dépêcherait de déployer pour sortir ses premières offres à Noël.

« Cloud à la française » : Dassault Systèmes jugé « pas très élégant »

Interrogé par La Tribune sur l'évolution du projet de « cloud computing » (l'informatique dématérialisée) à la française, le PDG de France Télécom a étrillé son ancien partenaire Dassault Systèmes qui devait faire partie du consortium Andromède, aux côtés de Thales et de la Caisse des Dépôts. « On a travaillé à la FT, en besogneux, pendant six mois. Et à la fin de l'année 2011, on a assisté à une espèce de crise de nerfs qui a abouti à un claquement de porte de Dassault Systèmes. Je n'ai toujours pas compris pourquoi » a raconté Stéphane Richard. Et de qualifier de « pas très élégante et un peu limite sur le plan déontologique » l'attitude de l'éditeur de logiciels qui a « déboulé quelques semaines plus tard avec un nouvel ami, SFR » pour un projet mobilisant de l'argent public, puisque l'Etat devait injecter 135 millions d'euros. « On aurait pu faire l'économie d'un psychodrame » a-t-il estimé, faisant état de « discussions avancées » avec d'autres partenaires potentiels qui viendraient « bientôt en renfort » de ce projet : «nous croyons à sa pertinence».