Free Mobile : 10 questions à Xavier Niel

Par Delphine Cuny  |   |  1761  mots
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Deux mois après le lancement tonitruant de son offre mobile, Xavier Niel, le fondateur de Free, reprend la parole jeudi à l'occasion de la présentation des résultats annuels 2011 de la maison-mère Iliad, cotée en Bourse.

Après des semaines de rumeurs, d'accusations, d'intox à coups de « off » (des propos tenus « off the record » - hors micro - sous couvert d'anonymat) et de mutisme du côté de Free, Iliad, la maison-mère de l'opérateur, cotée en Bourse, tient jeudi matin une conférence de presse puis une présentation aux analystes et investisseurs au siège social, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Deux mois après le lancement tonitruant de son offre mobile, Xavier Niel, le fondateur de Free, reprend la parole. Mais « seuls les résultats annuels seront présentés » précise l'invitation. Pas sûre donc que cela soit l'heure de vérité tant espérée. Les dirigeants devraient tout de même distiller quelques informations. Revue de détail de dix questions que vous avez sans doute, vous aussi, envie de poser à Xavier Niel jeudi.

Combien de clients à l'offre Free Mobile ?
Plus de 1,5 million selon les estimations de Stéphane Richard, le PDG de France Télécom, qui loue son réseau à Free. Ce qui semble un minimum. Quel est le nombre de demandes de portabilité en souffrance ? Certains sites communautaires comme freemobile.toosurtoo qui répertorie les demandes d'activation de cartes SIM Free, évoquent déjà le chiffre astronomique de 2,9 millions d'abonnements traités ou en cours de traitement. Mais surtout question cruciale : quelle est la part des abonnés à l'offre « illimitée » (appels et SMS, 3 Go de données) à 19,99 euros ? Les analystes financiers sont à l'affût de ce chiffre très important qui orientera leurs prévisions d'ARPU (le revenu moyen par abonné), de chiffre d'affaires, de rentabilité. Car le forfait à 2 euros « n'est pas d'une rentabilité extraordinaire mais il améliore notre image commerciale et d'entreprise citoyenne » a déclaré lui-même Xavier Niel, le fondateur de Free, lors de son audition par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 25 janvier : c'est une offre « tueuse d'ARPU » a-t-il même indiqué. Une rumeur persistante fait état d'une part de 60% à 70% de forfaits illimités. « Cela voudrait dire que c'est un formidable succès et ce ratio n'est pas intégré dans les cours » selon un analyste.

A qui Free Mobile a-t-il pris ses clients ?
A plusieurs reprises, Xavier Niel a indiqué que les abonnés ADSL à la Freebox étaient plus nombreux chez Bouygues Telecom et SFR que chez Orange. Proportionnellement, il semble en effet que la filiale de Bouygues ait perdu plus de clients que les deux autres, 134.000 abonnés pour une base de 11,3 millions soit 1,4% de son parc. De son côté, Orange a essuyé en cinq semaines à mi-février plus de 1 million de résiliations (sans déduire les venets brutes additionnelles) dont 40% vers Free soit 400.000 environ. SFR, qui a livré le chiffre de 208.000 départs nets, aurait enregistré autour de 350.000 résiliations vers le nouvel entrant. De sources concordantes, on estime à 500.000 le nombre de lignes additionnelles, c'est-à-dire d'abonnements créés et non captés à la concurrence : principalement des forfaits à 2 euros. Le solde viendrait des MVNO, aux clients souvent en quête du meilleur prix.

Quid du seuil des 3 millions d'abonnés ?
L'offre présentée le 10 janvier est « réservée aux 3 premiers millions de clients. » Simple limite marketing, comme l'a affirmé le directeur général Maxime Lombardini, ou vraie clause de rendez-vous pour une remise à plat des tarifs ? « Nous avons limité l'offre Free Mobile à 3 millions d'abonnés pour nous réserver la possibilité de dresser un premier bilan sur nos hypothèses de consommation » a déclaré Xavier Niel, le fondateur de Free, lors de son audition le 25 janvier. Or ce cap des 3 millions a des chances d'être atteint très prochainement, bien avant la fin de l'année. « Le modèle économique n'est pas tenable » accusent des concurrents. Les offres de Free Mobile étant sans engagement, l'opérateur pourrait même théoriquement décider de remonter les prix pour tout le monde, et pas seulement les nouveaux clients. Risqué sur le plan commercial : il lui faut maintenir les meilleurs prix pour garder ses abonnés.

Bientôt une offre prépayée ?
La question est sans doute annexe, mais Xavier Niel avait abordé le sujet devant la commission de l'Assemblée. Reconnaissant qu'il y avait « un problème de bancarisation des personnes les moins aisées ou surendettées » qui ne pouvaient avoir accès au forfait à 2 euros présenté comme « social », il avait estimé qu'il « convient de répondre à leurs besoins par des offres prépayées agressives. » Tout en précisant que « lorsque le flux d'abonnements aura baissé et que le problème de portabilité aura été réglé, nous nous attaquerons aux terminaux et travaillerons sur le prépayé, qui fait l'objet de nombreux abus. » Pour l'instant, il faut impérativement un relevé d'identité bancaire (RIB) pour s'inscrire en ligne sur le site de Free et le paiement s'effectue par prélèvement direct ou par carte bancaire. Les cartes prépayées concernent 19,4 millions de lignes sur 68,5 millions en France à fin décembre 2011 selon l'Arcep, un marché qui a connu ces derniers mois un regain sous l'impulsion des MVNO ethniques (Lebara, Lycamobile, Ortel).

Combien d'antennes ?
« Nous disposons déjà de 1.000 antennes actives » avait assuré fin janvier Xavier Niel. De son côté, Jean-Ludovic Silicani, le président de l'Arcep, a indiqué le 28 février devant la même commission de l'Assemblée que Free avait « 735 stations allumées » courant février sur 950 installées. Plus généralement quel est l'état du réseau, son taux de couverture de la population est-il bien de 27% ou plus ? Pourquoi le déploiement semble-t-il au point mort, d'après les relevés de l'Agence nationale des fréquences ? Il sera intéressant de savoir ce que la direction d'Iliad veut répondre aux critiques de toutes parts sur les antennes éteintes, leur dissémination sur le territoire. A quand une démonstration en direct, une visite de terrain pour montrer que tout fonctionne bien ?

Quel surcoût à verser à Orange pour le contrat d'itinérance ?
Le contrat conclu avec Orange pour louer son réseau afin de compléter s a couverture rapportera « significativement plus que prévu » a indiqué Stéphane Richard, le Pdg de l'opérateur historique, lors de la présentation des résultats annuels. L'estimation initiale était que ce contrat devait rapporter 1 milliard d'euros sur six ans. Or le trafic et le nombre d'abonnés étant beaucoup plus élevés que prévu, ce sera « des dizaines de millions d'euros de plus » : 1,5 milliard selon certains analystes. Un surcoût pour Iliad que la communauté financière aimerait bien voir précisé.

Quid du traitement des MVNO ?
Les opérateurs mobiles virtuels (Virgin, NRJ, etc), qui n'ont pas leur propre réseau mais achètent des minutes en gros, sont furieux contre Free. Et pas seulement parce que ce dernier leur prend des clients. Ils ont même écrit au régulateur des télécoms, l'Arcep, pour lui demander d'ouvrir une procédure de sanction contre l'opérateur pour non-respect de ses engagements pris dans la licence. Car « les tarifs des offres de gros » publiées par Free le 8 février dernier « sont supérieurs au prix de détail de Free Mobile » s'emportent les MVNO regroupés au sein de l'association Alternative Mobile, dans un courrier adressé à l'Arcep le 28 février. Ils dénoncent une « mascarade » et estiment que Free Mobile a « volontairement vidé de sa substance ses offres MVNO en les rendant financièrement inintéressantes. » Or l'Arcep avait attribué une excellente note 54/60 à Free dans son dossier de candidature à la quatrième licence sur l'accueil des MVNO. Pour autant, Free ne peut proposer d'héberger les MVNO que sur son réseau en propre, qui couvre 27% de la population, et ne peut « sous-louer » le réseau d'Orange : l'intérêt est donc de toute façon limité pendant au moins deux ans pour les opérateurs virtuels.

Pourquoi toujours pas d'iPhone 4S ?
Le 10 janvier, lors de son grand raout de présentation de Free Mobile et de l'ouverture commerciale de ses services mobiles, Xavier Niel s'était vanté d'être « le premier opérateur mobile au monde à avoir signé avec Apple avant son lancement. » Il avait assuré que le dernier modèle d'Apple, l'iPhone 4S serait disponible le 27 janvier et « à un euro ». Six semaines après la date prévue, toujours rien : « bientôt disponible » indique encore le site aujourd'hui. « Patientez encore un peu » dit-on chez Iliad, la maison-mère, sans fournir aucune explication sur ce retard. Silence radio également chez Apple. Un raté symbolique : Free a -t-il parlé trop vite, vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué ? Apple a-t-il posé des conditions sur la qualité et le déploiement du réseau ? L'offre de téléphones de Free, à prix coûtant sans subvention, reste peu attractive : seul le Galaxy SII de Samsung fait partie des téléphones recherchés (à 399 euros sans possibilité d'étaler le paiement), les six autres (2 ZTE, 1 Huawei, le BlackBerry Curve et les Galaxy Ace et Y Samsung) ne sont pas vraiment des modèles dernier cri.

Quel effet sur les ventes ADSL ?
On appelle cela « l'effet de halo », bien connu des spécialistes d'Apple : un produit qui cartonne stimule les ventes des autres produits de la marque. Or les abonnés ADSL à la Freebox bénéficient d'une remise importante sur les offres mobiles, dans la limite d'un abonnement mobile par foyer : 5 euros pour l'offre à 19,99 euros et 2 euros pour celle à 2 euros qui devient donc de fait gratuite. « Les ventes se portent bien » se contente de dire Iliad. Le numéro trois français du haut débit, derrière Orange et SFR, avait à fin septembre 4,79 millions d'abonnés ADSL dont 432.000 chez Alice, et sa part de conquête des nouveaux abonnés était de 34%.


Combien de boutiques Free Center ?
Free a publié des offres d'emploi pour un Free Center dans Paris et Xavier Niel a indiqué, lors de son audition du 25 janvier, qu'il allait en ouvrir « une très grande à Paris au cours du premier semestre. ». Ira-t-il se frotter aux « flagships » de SFR et d'Orange près de la Madeleine, à deux pas de son siège social ? Ou sur les Champs-Elysées ? Le premier actionnaire d'Iliad (plus de 60% du capitl) avait aussi indiqué qu'il y avait à cette date quatre boutiques Free en France - en réalité trois, à Rouen, Troyes, Angers et incessamment Le Havre ainsi que Laval et Mulhouse, l'objectif étant une centaine de points de vente en tout.