Free Mobile aux abonnés absents

Par Delphine Cuny  |   |  1123  mots
AFP - Free Mobile est-il dépassé par son succès ?
Le nouvel opérateur ne donne aucune explication sur les problèmes rencontrés par ses clients qui peinent à téléphoner, voire sont injoignables « presque tous les soirs » entre 18h et 20 heures.

Sur Twitter, presque tous les soirs, à partir de 18 heures, c'est une avalanche de messages agacés, blasés ou ironiques avec le hashtag, le mot-clé #FreeMobile : la complainte de clients rencontrant des problèmes de connexion au réseau du nouvel opérateur. La nouvelle plaisanterie à la mode : « Je n'ai pas eu ton message, je suis chez Free Mobile». L'excuse imparable.  La prudence s'impose sur la fiabilité de ces commentaires sur Twitter ou les forums. Mais qui n'en a pas entendu dans son entourage depuis le début du mois ? « Impossible de téléphoner entre 17 et 19h. Mon BlackBerry compose le numéro puis affiche « déconnecté. » Et c'est quasiment tous les soirs. Seuls les SMS fonctionnent » raconte, excédée, Sophie, journaliste à La Tribune, et cliente de Free Mobile depuis six semaines, au bord de la résiliation. Ne pas pouvoir utiliser son téléphone, souvent un outil de travail, est tout simplement inconcevable et insupportable en 2012.

Avec des situations réellement problématiques comme cette infirmière coordinatrice des greffes d'organes dans un hôpital parisien : « j'ai d'abord cru que ça ne captait pas près de la gare quand je rentrais chez moi à Villiers-sur-Marne. Puis je me suis rendue compte que j'étais injoignable et que je ne pouvais pas téléphoner. Je suis d'astreinte, j'ai des responsabilités, comment puis-je faire ? C'est honteux. Je vais retourner chez Bouygues Telecom » lance Géraldine, très remontée. Tous les témoignages se recoupent.

Les problèmes, qui ont commencé « fin février, début mars », varient toutefois d'un jour à l'autre, en nature et en intensité, et d'une région à l'autre. A Paris et à Lyon c'est visiblement quasi quotidien, mais aussi dans des villes moyennes, en région parisienne, à Angers et à Chambéry par exemple. Deux incidents d'ampleur nationale sont survenus le 2 et le 20 mars. Mardi soir c'était « la catastrophe, le réseau complètement indisponible » rapportent de nombreux clients, de 17 h jusqu'à 21h voire 22 heures pour certains malchanceux à Paris.

« Rajouter de la capacité »
Silence radio chez Iliad, la maison-mère de Free qui fait bizarrement « l'autruche » face à ces problèmes avérés, répétés, et un risque client qui devient grandissant. Les dirigeants et le service de relations avec la presse sont aux abonnés absents. Le succès de Free Mobile a été fulgurant : pas de chiffre officiel mais Free a, au minimum, conquis plus de 1,5 million de clients depuis son lancement le 10 janvier, voire plus de 2 millions aujourd'hui selon les estimations de plusieurs analystes financiers.

La semaine dernière, l'opérateur a affirmé à nos confrères du site PC InPact qu'il s'appliquait à « rajouter partout de la capacité », sans préciser davantage d'où vient le problème. Lors de la présentation des résultats 2011, le 8 mars dernier, Xavier Niel, le fondateur de Free, a démenti qu'il y ait eu « une panne nationale » le 2 mars et menacé d'attaquer « toute personne dénigrant la réalité de sa couverture. » Son réseau en propre couvre officiellement plus de 27% de la population, mais « pas les zones à fort trafic, du fait des difficultés de déploiement d'antennes sur les zones les plus denses » a-t-il expliqué: du coup, les abonnés « sont souvent en itinérance » sur le réseau de France Télécom Orange, avec lequel il a conclu un accord commercial de six ans pour compléter sa couverture.

Un problème lié à des équipements Free, selon Orange
« Tout va bien de notre côté. C'est une crise grave liée à des équipements Free » affirme de son côté l'opérateur historique. Des rumeurs ont circulé sur une saturation ayant affecté aussi ses propres abonnés et ceux de Virgin Mobile, lequel a démenti « toute défaillance de son service sur le réseau Orange » dans la journée de mardi. A Paris, Free ne possède que 10 antennes actives : le trafic des clients de Free Mobile passe donc quasi exclusivement sur le réseau d'Orange.

Bien que son réseau ne soit pas menacé de saturation avec 2 millions d'abonnés supplémentaires venus de Free, l'opérateur historique est pointé du doigt. Les abonnés Free les plus fidèles l'accusent même de provoquer volontairement ces problèmes de réseau pour décrédibiliser le nouvel entrant qu'ils dédouanent totalement d'éventuels problèmes. Certains fantasment sur un complot des trois opérateurs historiques qui « bloqueraient le réseau ».

L'interconnexion des réseaux en question
Les problèmes restent donc une énigme. « Réseau indisponible » affiche le plus souvent l'écran du téléphone en soirée. Impossible d'appeler, de recevoir des appels, de surfer. « Je réessaie dix fois de suite et ça marche, ça ne m'a jamais empêché de passer des appels », raconte Léonard, un utilisateur lyonnais très compréhensif. « Il faut éteindre et rallumer le portable, là on arrive à attraper le réseau » explique un technophile débrouillard. Parfois le réseau apparaît, avec une ou plusieurs barres de puissance, mais les appels ne passent pas. « Echec appel » ou « réseau occupé » indique le téléphone après avoir composé un numéro sans succès.

Tous les appels entrants sont automatiquement transférés vers la messagerie vocale, les SMS fonctionnent, pas l'Internet. Plus rarement, « seule la 3 G fonctionne, je peux surfer avec mon iPhone mais pas appeler » rapporte un utilisateur parisien. Il y a aussi « le black-out complet, même pas de SMS », comme mardi soir. Les problèmes ne viennent sans doute pas des antennes-relais de Free ou d'Orange mais de la communication, de l'interconnexion entre les deux réseaux.

Un mauvais "dialogue" entre Free et Orange

Dans un courrier du 8 février adressé à Iliad, la responsable de l'activité de vente aux opérateurs chez Orange avait prévenu qu'un « problème de capacité » se poserait « à la fin février », faute de pouvoir tenir le rythme pour installer des équipements de passerelles entre les deux réseaux (les « BPN »). Ces équipements « qui assurent la liaison entre les c?urs de réseau, ne se livrent pas en une journée, il y a aussi une histoire de sous », explique un proche du dossier. Un simple sous-dimensionnement de tuyaux temporaire, auquel il est facile de remédier ? Peut-être. Orange met en cause des « équipements de signalisation de c?ur de réseau de Free » qui « dialoguent mal » avec les siens et estime qu'il y a « un problème de collecte, car le backhaul de Free [le réseau de collecte radio-cellulaire, NDLR] n'est pas tout en fibre optique. » Malheureusement, face à ces accusations et ces critiques, Free reste désespérément sourd aux appels.