Le mal logement, victime collatérale de la rente foncière

Par Mathias Thépot  |   |  634  mots
3,5 millions de personnes mal logées ou sans abri en France
3,5 millions de personnes sont toujours mal logées ou sans abri. Le résultat de plus de 40 ans de déconnexion croissante entre les prix de l'immobilier et les revenus des ménages.

Ce samedi 1er février, les 60 ans de l'appel de l'Abbé Pierre en faveur des sans abris sont célébrés. 60 ans et toujours 3,5 millions de personnes mal logées ou sans abri et près de 10 millions concernées par la crise du logement. La situation atteint un tel point de non-retour, que les politiques économiques semblent s'être totalement détournées de ces problèmes.

Une politique du logement basée sur la défiscalisation

"On sépare le débat de fond sur la politique de l'immobilier et la politique du logement", regrette la sénatrice et ancienne secrétaire d'État au logement Marie-Noëlle Lienemann. "C'est Bercy qui maitrise désormais la plus grande partie de la politique du logement en France par une stratégie de défiscalisation qui a pourtant coûté une ruine au pays !", ajoute-t-elle. Ce, de surcroît "pour produire des logements inadaptés aux besoins de la population", s'atterre la sénatrice. "Cette politique de gaspillage de l'argent public a favorisé la rente foncière depuis les lois Barre des années 1970. Cette rente a été captée par une partie de la population au détriment des plus démunis", déplore-t-elle encore.

Décalage structurel entre les prix de l'immobilier et les revenus des ménages

En laissant majoritairement le pouvoir du logement au marché, l'État a en fait laissé les prix du foncier croître de manière vertigineuse. "Le foncier a augmenté de plus de 500% depuis les années 70, soit beaucoup plus que les salaires et le PIB. Ce qui a entrainé un décalage structurel entre les prix de l'immobilier et les revenus des français ; et a par ailleurs perturbé la capacité du pays à construire des logements", explique Marie-Noëlle Lienemann.

"Avec l'emballement des prix de l'immobilier, et notamment du foncier, certains ménages ne peuvent plus se loger, ou déménager pour se loger dans des appartements qui correspondent à leurs besoins", constate pour sa part Christine Rifflart, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Le développement de telles situations "montre que les efforts des gouvernements au fil des années n'ont pas été à la mesure de ce qu'il fallait faire", ajoute-t-elle.

Impuissance de l'État planificateur

La crise économique de 2008 n'a fait qu'empirer la situation avec la multiplication des situations de chômage.
Remettre une politique de régulation des prix au centre des préoccupations paraît donc indispensable, tout en remédiant en parallèle à l'impuissance de l'Etat planificateur.

"Il faut prévoir où l'on doit construire dans les 5 à 10 ans, et quantifier le nombre de logements à produire", propose Maire-Noëlle Lienemann. "L'État doit être plus volontaire sur le foncier pour produire massivement des logements variés, en concentrant les aides sur les logements à bas coût", ajoute-elle.

Le logement social, meilleure arme publique pour maitriser les prix

C'est à dire brandir l'arme du logement social, "le principal contrepoids de l'État pour contrôler les prix", selon Christine Rifflart. "Avant l'adoption de la loi SRU, qui a imposé 20 puis 25% de logements sociaux dans les communes, il y avait clairement une absence de mobilisation de l'État dans ce domaine", se souvient l'économiste. Depuis, la situation s'est de ce côté améliorée même si certaines communes préfèrent toujours payer des pénalités plutôt que de respecter les quotas de la loi SRU.

Mais la situation du mal logement "ne pourra pas se régler uniquement avec la politique du logement", juge Marie-Noëlle Lienemann. Il faudra en plus "que l'État investisse massivement dans l'accompagnement social pour suivre humainement les gens et leur apporter des réponses diverses à leurs problèmes", ajoute la sénatrice. Reste à savoir si Bercy l'entend ainsi...