Pourquoi il y a plus de locataires en France que chez nos voisins

Par Diane Lacaze  |   |  1366  mots
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Aujourd'hui, 42% des ménages français sont locataires. Une situation souvent plus subie que voulue. Du coup, l'UFC Que Choisir fustige la dévalorisation du statut locatif, fustigeant les agences immobilières. Mais les causes sont plus profondes.

Les Français rêvent-ils tous d'accéder à la propriété ? Les enquêtes et les discours politiques pourraient le laisser penser. Pourtant, aujourd'hui, 42% des ménages sont locataires de leur logement, un chiffre largement supérieur à celui de la moyenne des 27 pays de l'Union Européenne (35%), selon l'UFC-Que Choisir.

La conséquence ? Une dévalorisation du statut locatif.

Pour l'UFC, "les agences immobilières ne jouent pas le jeu de l'accès au logement et, au vu de l'inflation des litiges en matière de location, appelle les pouvoirs publics à mettre fin à ces pratiques bien peu louables". En effet, selon l'Union fédérale des consommateurs, plusieurs pratiques abusives sont aujourd'hui monnaie courante.

Tout d'abord, la transparence de l'information : "bien qu'obligatoires, de nombreuses informations ne sont pas affichées par les agences. Ainsi, dans 21% cas, les honoraires n'étaient ni affichés en vitrine, ni visibles de l'extérieur contrairement à une obligation légale vieille de 20 ans. De même, près de 4 mois après l'entrée en vigueur de l'obligation d'affichage de l'étiquette énergétique, seules 72% des agences respectent la loi ".

Ensuite vient le problème des dossiers. L'enquête montre que dans 62% des cas, les agences n'ont pas hésité à demander des documents interdits tels que l'attestation de l'employeur (46%), l'attestation du précédent bailleur (10%), photographie d'identité (10%),...

Et enfin, l'UFC Que-Choisir dénonce les tarifs démesurés des honoraires. "Les honoraires acquittés par les locataires sont prohibitifs : en moyenne 93% du loyer mensuel hors charge".

De son coté, l'IEIF note un autre problème pour les locataires. Les loyers augmentent selon un rythme proche des revenus des ménages. Mais "les revenus des locataires n'augmentent pas aussi vite que ceux de la moyenne des ménages (17% depuis 1993 contre 31% pour la moyenne) et donc leur effort budgétaire ne peut que s'accroître.

De son coté, la Fnaim tient à se défendre. Concernant l'étiquette énergétique, la Fédération Nationale de l?Immobilier rappelle que 72% des agences l'affichaient au moment de l'enquête, soit seulement 3 mois après l'entrée en vigueur de la loi. De plus "l?enquête pointe aussi des pratiques discriminatoires de certains professionnels. Pas plus d?excuses pour ces contrevenants : la FNAIM et ses adhérents sont engagés aux côtés de la HALDE pour garantir des conditions d?accès au logement et lutter contre toute discrimination. Toutefois, si on observe une quête excessive de garanties de la part des professionnels, il faut rappeler que ce n?est pas par excès de zèle mais bien pour préserver l?intérêt légitime des bailleurs".

Les causes du mal : le niveau des prix avant tout

Pourquoi les locataires ne parviennent plus à devenir propriétaires ? Bien évidemment, les prix qui ont augmenté de 120% depuis 1998 en France y sont pour beaucoup. A Paris, la barre des 8.000 euros le mètre carré a été officiellement franchie. Du coup, seuls les propriétaires peuvent à nouveau acheter puisque leur bien s'est également réévalué au fil des ans.

Ce qui chasse, peu à peu les primos accédants. De nombreux courtiers en crédit ont ainsi vu la disparition progressive des primo accédants depuis le début de l'année, en particulier dans Paris intra muros. « Ils représentent 66 % de nos clients, contre 73 % l'an passé à la même période », s'inquiètait en avril dernier Sandrine Allonier, responsable des études chez Meilleurtaux.com. À la Fnaim, leur part ne dépassait pas au printemps 20 % dans une agence sur deux. C'est à Paris et en Île-de-France que la situation est la plus dramatique. Selon plusieurs professionnels, les accédants à la propriété ont « disparu de la circulation ».

La situation est telle que le FMI s'inquiète à présent des prix de l'immobilier en France.

L'appétit des Français pour la pierre entretient la hausse des prix

Bien sûr, les prix ont également monté ailleurs en Europe et dans le monde. Mais, et il s'agit là d'une explication plus sociologique, les Français sont viscéralement attachés à la pierre. Les craintes qui pèsent sur la réforme de la fiscalité en cette année présidentielle et sur les rendements des fonds en euros incitent également les Français à délaisser l'assurance-vie (dont la collecte nette chute depuis janvier). Et comme ils ont soif de sécurité, la pierre reste le placement par excellence. « Les épargnants se dépêchent de profiter de la fiscalité attractive pour se désengager et investir dans l'immobilier. Au risque de favoriser une bulle », regrettait Philippe Crevel, secrétaire général du Cercle des épargnants.

Les aides se retournent contre l'Etat

Facteur aggravant, qui n'intervient pas chez nos voisins : le gouvernement entretient, grâce à ses aides, la hausse des prix. L'intention est louable puisqu'il s'agit d'aider à accéder à la propriété. Mais chaque nouvelle mesure a permis pour l'instant aux propriétaires de vendre plus cher. C'est le cas de la mise en place au 1er janvier dernier par l'État d'un prêt à taux zéro amélioré (PTZ+). « 9% de ses bénéficiaires n'auraient pas pu obtenir l'ancien PTZ », assurait-on au Crédit Foncier. Chez Meilleurtaux.com, un dossier sur deux l'inclut désormais dans son financement. Le PTZ+ est-il efficace ? Oui, à en croire une étude du début d'année du Crédit Foncier qui avait calculé que « le PTZ+ pouvait compenser une hausse des taux d'environ 0,5 point, mais guère plus ». Soit, à peu de chose près, la hausse des taux depuis octobre ! Le PTZ+ a donc soutenu le pouvoir d'achat immobilier des Français et retardé le blocage du marché... jusqu'ici.

La mesure de la réduction d'impôts liée aux intérêts d'emprunt et la loi Scellier, mises en place lors du début de la crise financière, a également joué. Les prix ont moins baissé en France qu'ailleurs. Et, surtout, beaucoup moins longtemps puisque la baisse d'aura duré que 18 mois.

La hausse des taux de crédit a bloqué le marché de l'accession aux locataires

Pour les locataires, qui ne peuvent pas compter sur la revente de leur bien comme apport personnel, la solution passe bien évidemment par le crédit. Sauf que, même si les taux de crédit se sont assagis depuis quelques mois, ils ont grimpé en flèche depuis le début de l'année. En quelques mois, ils ont effacé toute la baisse de 2010. En pleine tourmente financière et face aux nouvelles contraintes réglementaires, les banques ont également dû conforter leur marge sur le crédit.

Et il s'agit là d'une spécificité bien française : pour gagner un nouveau client, une banque français doit compter le plus souvent sur un déménagement ou sur l'octroi d'un crédit immobilier. Car les Français ne sont pas adeptes de la mobilité bancaire. Entre les établissements, la concurrence joue donc à plein et les taux sont tirés vers le bas. Ailleurs, chez les britanniques, par exemple, les usagers bancaires sont beaucoup plus volatils. Ce qui permet de les attirer avec d'autres types d'offres promotionnelles.

Résultat : la hausse des taux de crédit, générale en Europe entre décembre et avril dernier, a eu plus de conséquences pour les emprunteurs français qui bénéficiaient de conditions privilégiées, les banques faisant très peu de marge sur le crédit immobilier.

L'attentisme en période présidentielle

Cette année 2011 voit apparaître une nouvelle catégorie de locataires : ceux qui ont les moyens d'accéder à la propriété mais qui préfèrent différer leur projet d'acquisition.

Les raisons ? D'abord, l'attentisme est traditionnellement de mise à moins d'un an des présidentielles. Peur du changement de fiscalité, attente d'une promesse de campagne, etc. Ensuite, et il s'agit là de la principale raison, les locataires ayant les moyens ne souhaitent pas acheter au plus haut. Ils pensent que les prix vont baisser, ce qui est inévitable à moyen terme, et qu'il vaut mieux attendre l'éclatement de la bulle ou, à tout le moins, une baisse, pour acheter à un prix raisonnable.