Logement  : les investisseurs institutionnels doivent-ils revenir  ?

Par Mathias Thépot  |   |  1169  mots
Ainsi en 2010, un locataire du parc privé sur deux consacrait au moins 26,9 % de ses revenus pour se loger, selon des statistiques ministérielles.
Les logements locatifs privés en France sont en écrasante majorité la propriété de particuliers, à l'inverse de l'Allemagne où les bailleurs institutionnels sont fortement majoritaires. Cet état de fait est-il responsable du plus haut niveau des loyers résidentiels dans l'Hexagone ?

S'ils revenaient sur le marché du logement français, les investisseurs institutionnels aideraient-ils à faire baisser les loyers du parc privé? C'est en tout cas l'une des solutions qui pourrait faire baisser le poids du logement dans le budget des 6,8 millions de ménages locataires de leur résidence principale dans le secteur privé, et notamment ceux qui vivent dans les zones tendues. La part qu'ils consacrent à leur logement par rapport à leur revenu en est forte hausse depuis 40 ans et devient écrasante. Ainsi en 2010, un locataire du parc privé sur deux consacrait au moins 26,9 % de ses revenus pour se loger, selon des statistiques ministérielles. Ces loyers, les locataires du secteur libre les paient principalement à des propriétaires bailleurs individuels : 96 % des locataires du parc privé louent en effet leur résidence principale à des personnes physiques, selon les Comptes du Logement 2014. Une part qui a progressé de 10 points depuis 1990.

Retrait des investisseurs institutionnels

À l'inverse, la part du locatif privé possédée par des bailleurs ayant le statut juridique de personnes morales est passée de 14 % à 4 % sur la même période. Ceux que l'on peut qualifier de grands investisseurs (assureurs, sociétés d'investissement etc.) ont ainsi délaissé le logement. « Les investisseurs institutionnels, qui détenaient un million de logements dans les zones tendues au début des années 1990 (là où les besoins de logements sont les plus importants ndlr), en possèdent désormais moins de 100.000 », détaillait le Think tank Terra Nova dans une étude de 2014.  Face à la hausse des prix de l'immobilier qui a fait baisser les rendements locatifs, les institutionnels ont en effet préféré se détourner du résidentiel vers d'autres classes d'actifs (hôtels, commercial) souvent au-delà des frontières françaises.

Les particuliers n'ont pas vocation à faire du social

Or, on sait aujourd'hui que dans les grandes villes françaises, la prise en charge de logements à loyers modérés par des bailleurs institutionnels pourrait répondre à une demande non couverte par le secteur du logement social, et encore moins par le secteur privé. Les investisseurs particuliers n'ont en effet pas vocation à louer à des loyers modérés. L'échec du dispositif fiscal « Duflot » (2013-2014) en est la preuve la plus récente. Par ailleurs, dans son enquête logement de 2006, l'Insee expliquait que parmi tous les types de locataires, les locataires de bailleurs ayant le statut de personnes physiques subissaient les hausses de loyers les plus importantes.

C'est en partie pour ces raisons que beaucoup militent en France pour faire revenir les investisseurs institutionnels sur le marché du logement, notamment sur un segment dédié aux classes moyennes, le logement intermédiaire. « Le retour des investisseurs institutionnels est un objectif », indiquait notamment l'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot lorsqu'elle occupait encore son poste rue de Varenne. Elle ajoutait : « Nous avons besoin de ce maillon manquant de la chaîne du logement, qui permet de trouver un logement à un prix accessible pour les ménages et de mettre de la fluidité dans le parc locatif social ».

S'inspirer du modèle allemand ?

Ce serait aussi une manière de s'inspirer du modèle allemand, où les bailleurs institutionnels ont une place prépondérante et qui a su maîtriser le niveau des loyers et des prix de l'immobilier depuis le début du siècle : la ville où les prix de l'immobilier sont les plus élevés, Munich, se situe au même niveau que Lyon et est entre deux et trois fois moins chère que Paris. Or en Allemagne, « environ neuf logements locatifs privés sur dix sont détenus par de grands groupes immobiliers », explique Thierry Beaudemoulin, directeur général résidentiel de la Foncière des Régions, et spécialiste du marché immobilier allemand.

Le modèle de grands propriétaires institutionnels de logements locatifs privés est donc bien plus ancré dans la culture outre-Rhin. Les ménages allemands n'ont, du reste, jamais été très friands d'investissement locatif. Leur appétit pour la location est fort - la majorité des allemands sont locataires - et revêt une dimension historique. Il explique en grande partie la faible hausse des prix de l'immobilier en Allemagne.

Autant de réglementation en Allemagne qu'en France

Mais la place importante des grandes foncières allemandes sur ce marché permet aussi d'éviter quelques soubresauts. A cause de leur taille, ces grands groupes immobiliers sont moins sensibles que les particuliers aux modifications des réglementations, à partir du moment où leurs rendements ne sont pas rognés. Ces foncières proposent même des logements conventionnés, chasse gardée des bailleurs sociaux en France. D'ailleurs, « le marché du logement allemand est autant réglementé que le marché français ! », assure Thierry Beaudemoulin. Comme en France, des mesures visant à encadrer les loyers pour limiter les abus sont en en effet vigueur depuis un certain temps. Un nouvel encadrement, plus contraignant, vient même d'être instauré, notamment à Berlin et Hambourg.

Mais ce n'est pas pour autant que les investisseurs se sont détournés du parc résidentiel allemand. D'ailleurs, les plus importants groupes immobiliers outre-Rhin (LEG, Vonovia, Deutsche Wohnen etc.) sont cotés en bourse.

De fait, « les sociétés immobilières allemandes cotés proposent principalement de l'immobilier résidentiel, quand la plupart de leurs concurrentes françaises proposent du bureau et du commerce », constate Thierry Beaudemoulin. Preuve que le résidentiel, même avec des loyers encadrés, peut séduire les grands investisseurs.

L'actif résidentiel, de nouveau attractif ?

Pourquoi alors, à une période où les loyers du marché locatif français dans les zones tendues restent trop élevés, un retour des institutionnels ne serait-il pas souhaitable ? Il permettrait au moins de réduire mécaniquement les conflits entre propriétaires particuliers et locataires. D'autant qu'avec l'environnement actuel des taux qui sont au plus bas, le logement redevient attractif pour ces grands investisseurs. Rares sont les produits financiers sûrs ayant des rendements bien supérieurs au logement.

Du reste, en France, la propriété est tellement éclatée - environ 2,4 millions de ménages sont propriétaires d'un ou plusieurs logements locatifs - qu'il est quasiment impossible de regrouper un nombre suffisant de logements anciens pour intéresser les grands investisseurs, qui visent des transactions de plusieurs centaines, voire milliers de logements. Alors qu'en Allemagne, tous marchés résidentiels confondus, des transactions de plus de 15.000 logements ont généré plus de la moitié du volume d'investissement l'année passée !

Remembrement massif dans l'ancien ?

Au regard de sa structure, le marché français aura donc du mal à attirer de nouveau des investisseurs institutionnels dans l'ancien. Certes leur retour est programmé dans le logement intermédiaire neuf - 35.000 logements intermédiaires financés par de grands investisseurs devraient sortir de terre d'ici à 2019. Mais pour un retour plus massif des institutionnels, il faudrait espérer un grand remembrement immobilier dans l'ancien, ce qui n'est certainement pas à l'ordre du jour...