Pourquoi la France plaît de moins en moins aux investisseurs américains

Par Giulietta Gamberini  |   |  1088  mots
Certes, "le mauvais score de la France résulte aussi de l'amélioration de la perception d'autres pays", observe Clara Gaymard, présidente de General Electric France ainsi que d'AmCham France. Mais "en matière d'investissements productifs, être la destination numéro deux est inutile: il faut être le numéro un", souligne-t-elle.
Sur les cinq critères qui pèsent le plus dans les décisions d'investissement des entreprises d'outre-Atlantique, la perception de l'Hexagone ne cesse d'empirer pour quatre d'entre eux, et ce, depuis 2011, met en garde une étude de la Chambre américaine de commerce en France.

L'attractivité de la France en tant que destination d'investissement pour les entreprises américaines dégringole. L'alerte est lancée par l'American Chamber of Commerce in France (Chambre américaine de commerce en France, Amcham), qui a publié jeudi 23 octobre son 15e baromètre annuel sur le moral des investisseurs d'outre-Atlantique.

Réalisée entre juin et septembre 2014, l'étude reflète le point de vue de 83 dirigeants de filiales françaises de sociétés américaines de toutes tailles et tous secteurs, qui dans leur ensemble réalisent dans l'Hexagone 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploient plus de 58.000 personnes. Il en ressort que, selon seulement 12% des répondants, la perception de la France par leur maison mère est positive, par rapport à d'autres destinations européennes. En 2011, ceux qui partageaient un tel avis étaient 56%.

Pire, 76% des répondants ne recommanderaient pas eux-mêmes la France à une entreprise américaine pour s'y implanter, alors que de tels "détracteurs" étaient "seulement" 40% en 2011. Un constat particulièrement inquiétant car, lorsqu'il s'agit du point de vue de "ceux qui vivent la réalité de la France au quotidien", "le sujet n'est plus le décalage entre la réalité et la perception, mais bien le décrochage de la France", observe Marc-André Kamel, associé du cabinet de conseil qui a réalisé l'étude, Bain&Company.

 L'écart se creuse avec les voisins européens

Certes, "le mauvais score de la France résulte aussi de l'amélioration de la perception d'autres pays", souligne Clara Gaymard, présidente de General Electric France ainsi que d'AmCham France. Le Royaume-Uni et l'Allemagne sont notamment les concurrents les plus redoutables, souligne l'étude.

Mais le fond du problème semble être structurel puisque, depuis 2011, la position de l'Hexagone n'a pas cessé de se dégrader sur quatre des cinq critères qui pèsent le plus dans les décisions d'investissement des entreprises américaines: le contexte économique, le coût de la main d'œuvre, le climat social ainsi que le régime fiscal appliqué aux sociétés étrangères. Seul le cinquième critère, la qualification de la main d'œuvre, est considéré comme un atout français en amélioration.

La dégradation est d'ailleurs particulièrement sensible s'agissant du sixième critère de décision, la disponibilité de la main d'œuvre, qui a trait essentiellement à la souplesse du droit du travail. "Le fait que les pays voisins aient réformé leurs systèmes juridiques accentue la faiblesse de la France dans ce domaine", regrette Clara Gaymard, pour qui "en matière d'investissements productifs être la destination numéro deux est inutile: il faut être le numéro un".

La France n'est plus un paradis pour les salariés

La France reste en revanche une destination de choix pour sa situation géographique et la taille de son marché, pour la qualité de ses infrastructures ainsi que -et surtout- pour sa qualité de vie. Cependant, alors qu'en 2013 les dirigeants de filiales considérant la France comme attractive pour les employés étrangers d'une entreprise étaient encore 9%, ces "prescripteurs" sont complètement absents en 2014. Les facteurs "irritants", tels que la fiscalité des particuliers, le climat social, les difficultés administratives, ont pris le dessus par rapport aux éléments "stimulants", qui consistent essentiellement dans les avantages découlant du système social français (santé, école et garde d'enfants).

"Des choix tels que celui de considérer les stock-options comme une composante du salaire, ou que celui d'introduire un taux d'imposition à 75% pour la part de revenus dépassant un million d'euros par an, sont autant de facteurs dissuasifs pour les hauts cadres étrangers. Certes, ceux-ci ne sont pas nombreux, mais leur avis est celui qui pèse le plus dans la prise de décisions en matière d'investissement", observe Clara Gaymard. "Ce qui repousse le plus, c'est l'imprévisibilité fiscale, ainsi que la perception d'une fiscalité confiscatoire", précise Marc-André Kamel, soulignant que les impôts sont très élevés également aux Etats-Unis et en Allemagne. Un objecti raisonnable serait donc de "se rapprocher de la moyenne européenne", notamment pour l'impôt sur les sociétés, pointe l'AmCham.

Doutes sur la réalité et la pertinence des efforts du gouvernement

Les efforts "pro-business" du président Hollande ne modifient pas significativement la donne. Les huit mesures présentées en février lors du Conseil stratégique de l'attractivité notamment, tout en étant jugées plutôt efficaces, laissent les décideurs perplexes quant à leur caractère prioritaire et à leur réelle mise en œuvre. Le relèvement du taux du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) de 4% à 6% est jugé bénéfique par moins de la moitié des répondants. En revanche, les prises de position de l'État par rapport à des projets de fusions et acquisitions transnationaux (en particulier, l'élargissement en mai par le décrét "Montebourg" de la liste d'investissements étrangers soumis à autorisation préalable) sont perçues négativement par 71% d'entre eux.

Dans ce tableau noir, il ne reste que quelques faibles lueurs d'espoir. D'une part, en 2014, après trois ans consécutifs de déclin, l'évaluation par les personnes interrogées par Amcham de la conjoncture économique en France rebondit: les pessimistes ne sont plus "que" 37% (contre 60% l'année dernière). Mais tant que les optimistes restent minoritaires (19%), cette amélioration du moral ne parvient pas à produire d'effets positifs sur les prévisions d'embauches: le pourcentage de dirigeants de filiales qui prévoient une augmentation de leurs effectifs reste ainsi quasi stable depuis 2010, peu supérieur à 20%.

Confiance dans les relations diplomatiques

D'autre part, la perception de l'impact des relations politiques et diplomatiques franco-américaines sur les liens économiques entre les deux pays s'améliore nettement: le taux de répondants le trouvant positif est passé de 17% à 34% entre 2013 et 2014. La force de ces relations pourrait être "un atout décisif" non seulement "pour renforcer le dynamisme des échanges transatlantiques", mais aussi pour "mieux communiquer auprès des investisseurs américains sur les réformes lancées" en France, estime ainsi Clara Gaymard.

"Le climat est détérioré, mais pas désespéré", conclut-elle, pour qui, toutefois l'exemple du rachat par son entreprise d'Alstom n'est pas vraiment significatif. La raison est simple, souligne la dirigeante: "dans le domaine de la haute technologie, le poids d'inconvénients tels que le coût du travail est réduit".