Affaire Tapie : le juge arbitre Estoup mis en examen pour escroquerie en bande organisée

Par Marina Torre  |   |  1331  mots
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Le juge arbitre Pierre Estoup a été mis en examen pour escroquerie en bande organisée ce mercredi soir. C'est le dernier des rebondissemens dans la double-enquête judiciaire sur l'arbitrage de 2008 ayant conduit au versement de plus de 400 millions d'euros à Bernard Tapie qui devait clore (en 2008!) la procédure entamée dans l'affaire Adidas-Crédit Lyonnais. Voici en sept questions (et réponses) quelques éclaircissements sur ce dossier et sur ses (nombreux) protagonistes.

"Adidas", "Tapie", "Tapie-Crédit lyonnais" voire même "Tapie-Lagarde"... la profusion des noms attribués à cette affaire suffit à en exprimer toute la complexité. Surtout depuis que ce dossier ouvert il y a vingt ans (retrouvez ici les détails de l'opération de rachat et de revente d'Adidas à l'origine de l'affaire) a connu de nombreux rebondissements ces dernières semaines. Ce mercredi soir, le juge arbitre Estoup a été mis en examen pour escroquerie en bande organisée. Il est loin le temps où Bernard Tapie avait cru que la décision arbitrale du 7 juillet 2008 mette un terme de cette histoire. Sa contestation va même jusqu'à éclabousser Christine Lagarde, l'actuelle directrice du Fonds monétaire international. Le point sur les toutes dernières évolutions de cette affaire aux multiples enjeux.

  • Combien y a-t-il d'enquêtes en cours ?

Cette affaire comprend deux volets. L'un concerne la validité de la décision d'arbitrage. Serge Tournaire, Claire Thépaut et Guillaume Daïeff, trois juges du pôle financier, sont chargés de l'instruction. Ils ont déjà procédé à plusieurs perquisitions et deux gardes à vues : celle d'un juge arbitre Pierre Estoup, et celle d'un avocat de Bernard Tapie, Maurice Lantourne.

L'autre volet est dit "ministériel". Comme il concerne une ancienne ministre dans l'exercice de ses fonctions, c'est la Cour de justice de la République qui est compétente.

  • Où en est ce volet ministériel ?

Christine Lagarde, qui occupait Bercy au moment des faits a été placée le 24 mai sous statut de "témoin assisté" après deux jours d'audition. Le Fonds monétaire international, qu'elle dirige, continue de la soutenir. "Le conseil d'administration a été informé de cette affaire, notamment de l'issue des récentes auditions devant la Cour de justice de la République à Paris, et a réaffirmé sa confiance dans les capacités de la directrice générale à assumer efficacement ses fonctions", a-t-il annoncé dans un communiqué diffusé après une réunion à huis clos le 28 mai.

Toutefois, Christine Lagarde n'est pas totalement tirée d'affaire puisque cela ne signifie pas que les poursuites à son encontre sont abandonnées. L'enquête pour "complicité de faux et détournement de fonds publics" se poursuit.

  • Pourquoi Bercy envisage-t-il de se porter partie civile dans le volet non ministériel ?

Ce 29 mai, l'entourage de l'actuel ministre de l'Economie a fait savoir que les pouvoir publics se constitueraient partie civile "dans les plus bref délais". Son but : défendre les intérêts de l'Etat et pouvoir avoir accès au dossier.

>> L'Etat veut garder plus qu'un oeil sur le dossier Tapie

  • L'arbitrage peut-il être annulé ?

Le compromis signé entre les deux parties prévoyaient que la décision des arbitres ne pourraient faire l'objet d'un appel. Cependant, en cas de "nouveaux éléments", elle peut être annulée.

  • Quels nouveaux éléments pourraient aboutir à l'annulation de la sentence d'arbitrage ?

Dès 2011, le procureur près la cour de cassation à l'époque, Jean-Louis Nadal, avait fait part de ses soupçons concernant l'impartialité des juges arbitres. A l'issue des perquisitions et des différentes auditions, il apparaîtrait que l'un d'entre eux, Pierre Estoup connaissait Bernard Tapie et/ou son avocat Maurice Lantourne. Or, l'ancien magistrat avait attesté du contraire avant d'accepter de juger le litige opposant l'homme d'affaire au Crédit lyonnais.

Même son de cloche chez Bernard Tapie qui affirmait encore à son propos Le 23 mai sur Europe 1 : "Je ne l'ai jamais connu de ma vie (...). Je ne l'ai jamais connu avant. Je ne savais pas qui c'était.

Problème : un livre aurait été retrouvé chez Pierre Estoup portant une dédicace datée du 10 juin 1998 dans laquelle Bernard Tapie assure le magistrat de "toute [son] affection". A cette information révélée par l'Express, l'actuel patron de La Provence répond que cette dédidace a été rédigée à la demande d'un proche. Et d'assurer que le fait même que Pierre Estoup ait gardé l'un de ses livres prouve qu'il n'avait rien "à cacher".

Par ailleurs, Pierre Estoup a omis de signaler qu'il connaissait Maurice Lantourne, l'avocat de Bernard Tapie, avant l'arbitrage. Un rapport de la Cour des comptes laissait déjà supposer le contraire. D'autant plus que Pierre Estoup a déjà été récusé pour d'autres arbitrages dans lesquels était impliqué Me Lantourne.

  • A part Lagarde et Tapie, qui sont les autres acteurs principaux de cette affaire?

- Gilles August: avocat conseil du CDR, a fait lui aussi l'objet de perquisitions. Il remplace Jean-Pierre Martel, avocat historique du CDR

- Charles-Amédée De Courson: député de la Marne depuis 1993 - centriste l'un des parlementaires chargés de la supervision du CDR. Il a tenté avec François Bayrou et Jean-Marc Ayrault de contrer les tentatives de recours à l'arbitrage.

Guillaume Daïeff, Claire Thépaut Serge Tournaire : les trois juges du tribunal de grande instance de Paris qui instruisent l'affaire.

- Pierre Estoup: Cet ancien premier président de la cour d'appel de Versailles est l'un des trois juges arbitres qui a participé à l'arbitrage de 2008. Il a été placé en garde à vue le 28 mai et mis en en examen pour escroquerie en bande organisée ce mercredi soir.

A ses côté deux autres juges arbitres ont également prononcé la fameuse sentence : l'ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud, député "en même temps" que Bernard Tapie et l'avocat Jean-Denis Bredin, un ancien dirigeant des Radicaux de gauche, dont Bernard Tapie a longtemps été membre.

- Maurice Lantourne : avocat, conseiller de Bernard Tapie. Il a été placé en garde à vue le 28 mai, puis a été libéré le lendemain.

- Jean-Louis Nadal: en 2004, il est procureur général de la Cour d'appel de Paris et plutôt favorable à une négociation entre les deux parties. Sept ans plus tard, il opère un revirement. Devenu procureur général près la Cour de cassation, il saisit la Cour de justice de la République et lui demande d'enquêter sur Christine Lagarde. "Il était alors proche de la retraite et n'avait plus rien à perdre", se souvient un avocat qui a côtoyé le magistrat au moment de cette décision.

 - Jean Peyrelevade : patron du Crédit Lyonnais de 1993 à 2003, il s'oppose avec force à cet arbitrage. Il l'a d'ailleurs qualifié "d'illégal" de "résultat d'une gigantesque manipulation, l'un des plus gros scandales de la République ", sur Europe 1 ce 29 mai. A propos de Christine Lagarde, il estime "qu'elle a reçu des instructions (...) d'au dessus, c'est-à-dire de Nicolas Sarkozy lui-même. "

- Stéphane Richard: l'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde et actuel patron d'Orange a lui aussi fait l'objet d'une perquisition.

- Nicolas Sarkozy: cité par certains des critiques les plus virulents de l'arbitrage en faveur de Bernard Tapie, l'ancien président ne peut faire l'objet d'une enquête puisqu'il bénéficie d'une immunité. Les juges en charge du dossier ont toutefois eu accès à ses agendas obtenus par une autre équipe dans l'affaire Bettencourt. Ces documents consultés par l'Express mentionnent de nombreuses rencontres entre l'ancien ministre de la Ville et Nicolas Sarkozy avant et après l'élection de ce dernier à la présidence de la République.

  • CJR, CDR, EFPR... que signifient ces sigles ?

La Cour de Justice de la République (CJR) est compétente pour juger d'affaires concernant des ministres dans l'exercice de leurs fonctions.

Le Consortium de réalisation (CDR) est l'organisme chargé de gérer le passif du Crédit lyonnais. C'est lui qui est opposé à Bernard Tapie. Quant à l'EFPR, il s'agit de l'Etablissement public de financement et de restructuration, l'entité publique qui contrôle le CDR.

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Pour aller plus loin:

>>Les enjeux: Lagarde, Tapie, Richard... ce qu'ils risquent dans le cadre de l'affaire Adidas

>> La chronlogie  Bernard Tapie et l'affaire Adidas: vingt ans de rebondissements  et  L'affaire Tapie-Lagarde en 7 dates-clés