Pourquoi la France perd (ou gagne) en compétitivité selon les classements

Par Marina Torre  |   |  1005  mots
La France a perdu deux places dans le classement des pays les plus compétitifs réalisé par le Forum économique mondial. Or, selon un autre indicateur elle a gagné une place cette année. Petit point de méthodologie pour s'y retrouver dans tous ces comparatifs.

Deux places en moins, ou une place en plus? Selon les classements, la France est plus ou moins compétitive. Le dernier en date, celui du Forum économique mondial (le famaux WEF, qui réunit chaque année le gratin des décideurs à Davos), classe le pays au 23e rang mondial, loin derrière le bon élève indéboulonnable, la Suisse. Depuis l'an dernier, quand elle se faisait sortir du "top 20", la France a perdu deux rangs selon cet indicateur très suivi par les investisseurs et publié par le centre de recherche économique du Forum, situé à Genève. Problème: quelques mois auparavant, dans la ville voisine de Lausanne, l'Institute for Management Development publiait son propre classement, lequel indiquait que la France avait au contraire "gagné" une place, passant au 28e rang mondial.

  • Méthodologie, critères, visées

Pourquoi de telles divergences? Évidemment parce que la méthodologie, les critères pris en compte par ces classements diffèrent, en particulier parce que leurs objectifs ne sont pas les mêmes. L'indice de l'Institute for Management Development étant établi par une école, il se focalise surtout sur les éléments que ses concepteurs jugent utiles aux futurs cadres dirigeants qu'il forme. De son côté, le centre de recherche en charge du "Global competititiveness index" du Forum économique mondial affiche se concentrer sur les manières "d'identifier les entraves à la croissance de façon à ce que les stratégies pour atteindre un progrès économique durable puissent être développées". Un objectif forcément sujette à débat.

  • Les 12 "piliers" du WEF

Pour la méthodologie, le WEF indique se fonder sur 110 critères répartis en douze "piliers" : institutions, infrastructures, environnement macro, santé et enseignement primaire, enseignement supérieur et formation professionnelle, efficacité du marché du travail et efficacité du marché des produits, évolution des marchés financiers, maturité technologique, taille du marché, niveau de sophistication des affaires et de l'innovation. Chacun de ces critères est doté d'une pondération spécifique.

  • Chacun son classement...

Il existe bien d'autres classements, s'appliquant à des régions, secteurs ou domaines particuliers comme celui sur la compétitivité dans les pays de l'OCDE, celui sur l'industrie du cabinet Deloitte, celui sur le tourisme. Rares sont donc les "think tank" et les grandes organisations qui ne proposent par leur propre indicateur d'attractivité économique. Outre-Atlantique, la Fondation "Heritage" et le Wall Street Journal publient par exemple un "indice de liberté économique", dont l'intitulé même laisse entrevoir l'orientation idéologique.

  • ...chacun sa critique

Et puisque ni leurs cibles, ni leurs auteurs, ni leur conception ne sont totalement neutres, ces classements font régulièrement l'objet de vives critiques. Surtout de la part des gouvernants dont le pays a été déclassé ou bien par les organisations concurrentes. Au-delà de la remise en question de la définition même de "compétitivité", le choix des critères et surtout leur pondération font l'objet de remises en cause constantes. Dans son propre rapport, l'OCDE pointe par exemple les différences de conception entre certaines notions utilisées telles que les "producteurs nationaux" ou bien encore l'évolution des sous-indicateurs utilisés pour calculer ces indices, comme par exemple ceux qui mesurent les échanges internationaux.

  • Problème statistique

Sont remises en cause, notamment, le principe même des méthodes de calcul choisies. Pour Stéphane Grégoir, doyen de la faculté et de la recherche à l'EDHEC et auteur de plusieurs études sur la question:

La compétitivité est une notion qui recouvre de nombreuses dimensions qu'il est difficile de réduire à une seule dimension synthétique. (...) Les différences de rangs affichées peuvent être associées à ces choix et il est peu pertinent de les commenter. Que dire de la différence de rangs entre le 17ème et le 22ème lorsque l'indice change de 0,05 point? Il faudrait pouvoir illustrer la robustesse des rangs obtenus en modifiant un seul poids sur une des variables considérées et faire l'opération un grand nombre de fois. L'image floue qui en résulterait permettrait d'avoir une idée de la qualité d'information apportée.

  • Alors, que retenir de ces classements?

Enfin, la modification régulière des critères continue de faire tiquer. Le centre de recherche du Forum économique répond à ces critiques. "La méthodologie est restée stable depuis 2006, même s'il y a eu de petits ajustements", explique Oliver Cann, porte-parole du WEF. "Ces changements concernent l'exclusion ou l'inclusion d'un petit nombre d'indicateurs, la réorganisation de certains piliers", ajoute-t-il. Il s'agit en particulier des questions relatives aux infrastructures, à la maturité technologique et au degré de sophistication des affaires. Depuis l'an dernier, trois changements ont été réalisés. Mais "en dépit de ces ajustements (…) l'analyse de la performance d'un pays sur la période 2006-2013 reste possible pour identifier des tendances", assure le porte-parole.

Dès lors, que retenir de ces palmarès? Économistes et investisseurs n'en retiendraient... que très peu d'éléments, selon Stéphan Gregoir. "Du point de vue la communication et de l'impact médiatique, il est néanmoins plus aisé de produire un indice et de le commenter abondamment", estime le chercheur.

Plus que le chiffre final, ce sont donc plutôt certains détails de chacun de ces classements qui sont riches d'enseignements. Et ce, non seulement sur leur objet - l'évolution de la compétitivité du pays - mais plus encore sur la manière dont l'observateur perçoit cette dernière. Ainsi, pour le Forum économique mondial, si la France a perdu en compétitivité, c'est notamment en raison de "l'inquiétude à propos du secteur de la santé et de la finance" dans le monde des affaires. Et elle pourrait améliorer son classement en "injectant plus de flexibilité dans son marché du travail". Cette fameuse "rigidité française" qui faisait déjà l'objet du même commentaire, exactement dans les mêmes termes, quand elle était classée 15e en 2010...