Les dépenses de sondages sous Nicolas Sarkozy à nouveau dans le collimateur

Par Adeline Raynal  |   |  904  mots
Le ministère de l'Economie et des Finances, à l'époque occupé par Christine Lagarde, fait partie de ceux dont les dépenses en commandes de sondages avaient été mises en cause par le rapport de la Cour des Comptes en 2011.
L'association Anticor avait porté plainte le 9 mars 2012 pour "favoritisme" et "détournement de fonds publics" pour contester l'utilisation des fonds publics pour la commande de sondages d'opinion par différents ministères du gouvernement Fillon. Ce mercredi, constatant que le parquet ne s'est pas saisi de l'affaire, elle s'est portée partie civile afin d'avoir accès au dossier et de faire avancer l'affaire.

En 2011, paraissait un rapport explosif de la Cour des comptes sur "les dépenses de communication des ministres". Les magistrats y dressaient un sévère constat sur la manière dont les fonds publics avaient été utilisés par différents ministères. On y apprenait par exemple que 15 283,88 euros d'argent public avait été dépensés en 2010 par le Ministère de l'Économie et des Finances pour la réalisation d'un sondage par TNS Sofres portant sur la notoriété et l'image (dynamisme, sympathie, modernité, courage...) de la locataire de Bercy d'alors, Christine Lagarde.

C'était un des nombreux exemples concrets pointés par la Cour qui soulignait "des conditions d'achat parfois contestables, voire irrégulières".

Ce rapport, rédigé à la demande du président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, avait fait grand bruit au moment de sa parution. Mais le parquet de Paris ne s'est jamais saisi de l'affaire. Pourtant, une association de lutte contre la corruption, Anticor, a déposé une plainte le 9 mars 2012 auprès du Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Paris. Une enquête préliminaire a beau avoir été ouverte le 11 octobre 2012, depuis, rien de neuf officiellement.

Une deuxième plainte, avec constitution de partie civile pour accéder au dossier

Du coup, lassée de ne pas voir ce dossier avancer, Anticor vient à nouveau de porter plainte, en se portant partie civile cette fois, afin d'avoir accès au dossier. C'était mercredi 20 novembre 2013.

"L'objectif c'est qu'un juge d'instruction se saisisse de l'affaire et que l'enquête débute enfin !" expliquait mercredi à La Tribune l'avocat de l'association, Maître Jérôme Karsenti. "On est un peu agacés de se dire que chaque jour la presse bruisse de nouvelles affaires sans qu'un parquet ne se saisisse du dossier", poursuit l'avocat.

Dans le cas des dépenses de sondages de plusieurs ministères sous le gouvernement Fillon, la Cour des comptes pointait trois dérives : le non respect des règles en faisant une interprétation "libre" du code des marchés publics, la commande de prestations en double et des dépenses de communication au profit de certains ministres à titre personnel. Anticor porte donc plainte pour "favoritisme" et "détournement de fonds publics".

 

Dans son rapport, la Cour des comptes indiquait notamment : "l'examen des intitulés des études commandées par la ministère de la Défense montre que plusieurs d'entre elles abordent des sujets identiques à des dates rapprochées, entrainant une dispersion regrettable des moyens. Par exemple : les 3 études conduites par OpinionWay en 2008 sur la modernisation de la Défense interrogent les Français sur la notoriété des réformes alors mise en œuvre et leur perception des mesures proposées. L'institut LH2 réalise pour sa part en juin 2008 une étude qualitative sur les réactions du grand public au plan de modernisation de la Défense"

Des marchés accordés sans appel d'offres public

La Cour relevait également que le ministère de la Défense avait, à dix-sept reprises entre 2008 et 2010, fait appel à l'institut Mediascopie sans passer par un appel d'offres public faisant une interprétation qualifiée de "discutable" de l'article 35-II-8° du Code des marchés publics qui prévoit que dans certains cas bien particuliers, l'obligation de mise en concurrence peut être évitée, la commande faisant l'objet d'une dérogation (cf page 79 du rapport de la Cour des comptes).

Le rapport évoquait en outre des marchés de plusieurs centaines de milliers d'euros attribués "dans des conditions discutables" à la société de conseil en stratégie Giacometti-Péron, créée en 2008, dont Pierre Giacometti, conseiller de Nicolas Sarkozy, est l'un des dirigeants.

 

Anticor espère bien que plus de clarté sera faite sur ces dépenses en communication lors de la présidence de Nicolas Sarkozy. "Ce qui va être intéressant, c'est d'analyser le processus de décision au sein des ministères, de déterminer quelles sont les responsabilités" souligne Jérôme Karsenti. Si un directeur de cabinet ou même un ministre est reconnu coupable de "favoritisme" et de "détournement de fonds publics", la loi prévoit entre trois et dix ans de détention et le remboursement des sommes versées sous forme de dommages et intérêts.

Mais cela, ce sont les textes. Car dans la réalité, "les tribunaux émettent souvent des réserves à prononcer des peines si sévères", déplore l'avocat.

Un précédent, l'affaire similaire des sondages de l'Elysée

Anticor avait déjà été à l'origine d'investigations semblables sur les sondages commandés par l'Élysée pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. A ce sujet, au terme d'une longue bataille procédurale, le juge d'instruction parisien Serge Touraine a obtenu en janvier 2013 le droit d'enquêter sur la régularité de tous les marchés conclus entre l'Élysée et neuf instituts de sondage dont la société Giacometti-Péron.

Dans cette affaire, qui pose de nouveau la question de la responsabilité pénale de l'ancien président de la République, des perquisitions ont déjà été menée au domicile de Patrick Buisson, à l'époque dirigeant de la société de conseil Publifact et conseiller politique officieux de Nicolas Sarkozy.

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