Le détachement des salariés étrangers en France agite les esprits

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  807  mots
C'est notamment dans les transports routiers que l'on trouve des cas de détachements de salariés étrangers "douteux"
Le détachement des salariés étrangers en France agite les esprits en raison de la multiplication des fraudes, entrainant un "dumping social". La France veut revoir les règles européennes et Michel Sapin, le ministre du Travail, a présenté un plan de renforcement des contrôles.

Les règles concernant les salariés étrangers détachés en France commencent à sérieusement agiter les esprits. Il faut dire que la pratique du détachement - au demeurant parfaitement légale - a pris une sérieuse ampleur.

Actuellement, près de 150.000 salariés sont détachés en France, dix fois plus qu'il y a dix ans. Ils se retrouvent principalement dans les entreprises du bâtiment et dans les transports routiers. Normalement, les règles du détachement obligent les salariés étrangers à respecter la plus grande partie du droit du travail français, notamment en matière de rémunération et de durée du travail. Mais des montages de plus en plus sophistiqués, avec des sous-traitants en cascade, permettent de contourner ces règles. Résultat, la durée du détachement, qui doit normalement être limitée, s'allonge de plus en plus,  et les minima en matière de rémunération ne sont pas respectés (notamment quand le salarié détaché reste soumis à son pays d'origine en matière de protection sociale, ce qui perturbe les règles sur les cotisations sociales: il paie les cotisations de son pays d'origine, dans la plupart des cas).

Une nouvelle directive européenne est à l'étude

Et surtout, faute de moyens, les contrôles sont insuffisants (environ 2.000 annuels). Résultat, ces détournement précarisent les salariés détachés et permettent un véritable dumping social de moins en moins supportable en période de fort chômage. Conscients du problème, les ministres de l'Emploi européens ont commencé, non sans mal, le 15 octobre dernier à discuter d'une nouvelle directive européenne pour lutter contre le détournement des règles du détachement des salariés en Europe.

Le sujet est très sensible - on se souvient du tintamarre créé par la précédente directive "Services" (la fameuse "Bolkestein" de 2006) - et divise. La France, l'Allemagne, l'Espagne, le Luxembourg, ainsi que la Belgique et les Pays-Bas forment un front contre la Grande-Bretagne et les pays d'Europe centrales qui souhaiteraient des règles souples. les discussions butent notamment sur deux points: la liste de documents exigibles en cas de contrôle administratif et la mise en place d'un dispositif obligatoire pour identifier et le cas échéant poursuivre le donneur d'ordre et l'ensemble des sous-traitants. Les discussions doivent reprendre le 9 décembre.

Un plan de renforcement présenté en conseil des ministres

En attendant, à son niveau, la France a décidé de s'organiser. Le ministre du Travail Michel Sapin a présenté un plan dans ce sens au Conseil des ministres de ce 27 novembre. Il compte mener l'offensive sur plusieurs fronts.

- Le contrôle des abusLe programme de contrôles de l'inspection du travail et des autres services compétents de l'État sera intensifié et ciblera les principaux secteurs où les dérives sont constatées.

- La prévention de la fraude,. Dans les principales branches concernées, l'engagement des partenaires sociaux aux côtés des administrations de contrôle sera matérialisé par des conventions de partenariat. Le travail entrepris avec plusieurs professions en 2013 sera étendu.

- Le renforcement de l'arsenal législatif national. Il sera complété pour davantage responsabiliser les maîtres d'ouvrage et les donneurs d'ordre quand ils recourent à des sous-traitants multiples et permettre aux organisations professionnelles et syndicales de se constituer parties civiles en cas de travail illégal.

Un proposition de loi pour lutter contre les filières de travailleurs "low cost"

Du côté parlementaire, on s'agite aussi. Les députés socialistes ont commencé à rédiger une proposition de loi pour lutter contre les filières de travailleurs "low cost" en France. "Nous pouvons prendre des mesures de sauvegarde nationale  euro-compatibles", ont expliqué les députés PS Gilles Savary et Chantal Guittet. Dans un premier temps, une résolution sera débattue, sans vote, à l'Assemblée, le 2 décembre. Puis, quelques semaines plus tard, une fois la proposition de loi finalisée - elle reprendra notamment les mesures annoncées par Michel Sapin - le texte sera présenté à l'Assemblée nationale.

Les députés proposeront aussi la création "d'une liste noire des entreprises frauduleuses qui seraient écartées des appels d'offres" ou encore l'introduction "d'une double notification de détachement de travailleurs étrangers, non seulement par l'entreprise qui détache mais également par le maître d'ouvrage".

A plus long terme, Gilles Savary compte sur la prochaine Commission européenne qui prendra ses fonctions en novembre 2014 pour faire avancer d'autres idées comme la création "d'une Agence européenne de contrôle du travail mobile" en Europe ou la définition d'un salaire minimum européen de référence par pays ou par filière.