" Avec le détachement, la concurrence est devenue malsaine"

Par Fabien Piliu  |   |  567  mots
Pour Alain Griset, la concurrence entre pays européens est un non-sens historique
Dans un entretien accordé à La Tribune, Alain Griset, le président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) dénonce les dégâts causés notamment dans le bâtiment par le détachement des salariés étrangers. En attendant l'éventuelle harmonisation des règles fiscales et sociales en Europe, il demande au gouvernement de dénoncer unilatéralement la directive européenne si celle-ci n'est pas renégociée.

La directive sur le détachement des salariés européens reprend ce lundi. Quels sont les enjeux pour les artisans ?

Ils sont majeurs, tout particulièrement dans le secteur du bâtiment. Comment voulez-vous que les entreprises françaises puissent se battre sur notre sol avec des entreprises qui ne respectent les mêmes règles fiscales et sociales ? C'est impossible.

La concurrence est-il si forte ?

Les écarts de prix peuvent grimper jusqu'à 60% ! Par ailleurs, il ne faut pas croire que seules les régions frontalières sont touchées. Dans le centre de la France, les entreprises artisanales sont également menacées par ces bataillons de travailleurs détachés. Beaucoup d'entreprises témoignent être démarchés par des entreprises d'intérim basées hors de France qui leur propose une main-d'œuvre qualifiée et bon marché. On marche sur la tête.

Toutes les entreprises succombent-elles à la tentation ?

Toutes les entreprises, certainement pas ! Dans la situation économique actuelle, il est probable que certaines entreprises ne sont pas vertueuses, les difficultés économiques pouvant les pousser à de telles extrémités. Plusieurs grands groupes ont été pris dans la main dans le sac pour avoir utilisé les services de travailleurs détachés.

Directement ?

Bien sûr que non. Ils sont intelligents. Ils demandent à leurs sous-traitants de le faire pour eux.

Les marchés publics font-ils exception ?

Pourquoi voulez-vous qu'ils le fassent ? A cause de l'austérité budgétaire, un seul critère est retenu par les acheteurs publics : le prix. Résultat, des ouvriers polonais et roumains viennent travailler sur des chantiers lancés par l'Etat ou les collectivités locales, au nez et à la barbe des entreprises françaises.

L'APCMA se fait régulièrement entendre sur le sujet de l'auto-entrepreneur. La menace que fait peser les travailleurs étrangers détachés sur les entreprises françaises est-elle plus forte ?

C'est délicat de comparer. Une chose est certaine, les travailleurs détachés, comme les auto-entrepreneurs faussent le jeu de la concurrence. celle-ci est devenue malsaine. Les artisans n'ont pas peur de la concurrence, au contraire, à condition que les règles soient les mêmes pour tous.

Le malaise économique et social que cette situation engendre peut-il dégénérer ?

Nous espérons bien que non. Ceci dit, le mouvement des « sacrifiés » lancé par l'UPA a déjà recueilli plus de 500.000 signatures en moins de trois semaines. C'est un symbole fort. Il ne faudrait pas que la situation dégénère.

Le gouvernement, et en particulier Michel Sapin, le ministre du Travail est sur la même longueur d'ondes.

Le gouvernement nous écoute mais il ne fait rien ! Cette directive a bien été adoptée en 1996 à l'unanimité par les membres du Conseil européen, non ? S'il ne parvient pas à stopper ce phénomène, le gouvernement, s'il nous entend vraiment, peut décider unilatéralement de ne plus respecter cette directive européenne.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Il n'en existe qu'une : l'harmonisation des règles sociales et fiscales en vigueur en Europe. Mais c'est un chantier de longue haleine. Ce n'est qu'à cette condition que l'on pourra enfin construite l'Europe économique. Nos vrais concurrents ne devraient pas être européens mais américains, russes, chinois ou indiens. Or, les règles actuelles de l'Europe font que nous nous battons entre nous. C'est regrettable, c'est à contre-courant de l'histoire.