Pacte de responsabilité : vers la fin des allègements de cotisations sociales ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1337  mots
"la barémisation" des cotisations patronales de sécurité sociale va-t-elle remplacer les allègements de cotisations ?
Le contenu du Pacte de responsabilité sera bouclé au plus tard pour le 15 avril. L'instauration d'un barème progressif des cotisations sociales patronales pourrait remplacer les actuels mécanismes d'allègements des cotisations patronales mis en place par François Fillon en 2003.

Le calendrier va s'accélérer pour le "pacte de responsabilité " évoqué pour la première fois par François Hollande lors de ses vœux du 31 décembre 2013.

On se souvient des données du problème. Pour encourager l'emploi et retrouver de la compétitivité, le président de la République souhaite alléger davantage le coût du travail en supprimant dans les trois ans l'équivalent de la cotisation " famille" pesant sur les entreprises qui représente 5,25% du salaire brut soit environ 30 milliards d'euros. Après quelques jours de flottement, et pour la plus grande déception du Medef, François Hollande a précisé que ce nouvel allègement de 30 milliards d'euros comprenait en vérité déjà les 20 milliards consentis aux entreprises dans le cadre du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) qui permet déjà une ristourne de l'impôt sur les sociétés à hauteur de 6% de la masse salariale en 2015 pour les salaires compris entre 1 et 2,5 Smic.

Le pacte de responsabilité connu avant le 15 avril

Ce sont donc, en réalité, seulement 10 milliards d'euros de nouveaux d'allègements qui seront accordés aux entreprises. Où les trouver ? Sachant que, par ailleurs, le gouvernement s'est engagé à baisser les dépenses publiques de 50 milliards d'euros sur trois ans. Comment y parvenir ? C'est sur ces points que planchent les conseillers des différents ministères concernés. Le temps presse, François Hollande et Jean-Marc Ayrault veulent absolument boucler le contenu du pacte de responsabilité pour le 15 avril au plus tard. C'est en effet à cette date que seront transmises au Parlement et à la Commission européenne les "nouvelles trajectoires des finances publiques de la France"  qui incluront le financement du pacte de responsabilité.

Comment concilier CICE et allègements de cotisations?

Le diable se logeant toujours dans les détails, il n'est pas facile de bâtir un nouveau dispositif d'allègements de cotisations sociales patronales qui se concilie avec l'actuel CICE. En présentant le 21 janvier ses vœux aux acteurs de l'économie, François Hollande a évoqué trois pistes possibles : soit "pérenniser et augmenter le CICE ; nous pouvons aussi le transformer en baisse de charges dont il nous appartiendra de fixer l'ampleur. Il peut aussi être complété par d'autres allègements dont nous devrions alors fixer les modalités ".

Il est assez compliqué en un laps de temps si court d'imaginer un système qui agglomère, d'une part, une baisse des coûts salariaux (6% de la masse salariale) sous forme de réduction de l'impôt sur les bénéfices, comme le prévoit le CICE, avec un allègement de 5,25% des cotisations "famille" des entreprises. C'est un peu comme additionner des pommes et des poires !!!

Et ça se corse encore davantage quand l'on sait que, depuis la création en 2003 des "allègements dégressifs Fillon" de cotisations sociales, applicables sur les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic, les entreprises ne paient en réalité plus que 0,4% de cotisation famille sur le salaire brut au niveau du Smic, et même … 0% dans les entreprises de moins de 20 salariés.

Difficile dans ces conditions d'accorder une ristourne supplémentaire de 5,25 points sur des salaires... déjà exonérés, totalement ou presque, de cotisations famille. "Il y a un problème de base, d'assiette, c'est pour cela que le président a proposé de remettre sur la table tous les mécanismes d'allègements existants, au-delà du seul CICE ", précise t-on à L'Elysée. Et d'ajouter "il ne faut pas se focaliser sur les seules cotisations familles, puisque certains salaires en sont déjà exonérés, il faut réfléchir en masse et faire 30 milliards d'exonérations supplémentaires."

Le retour du débat sur la "barémisation" des cotisations sociales patronales

Traduction, ce ne sont pas forcément "que" les cotisations familiales qui seraient concernées par le futur allègement, mais leur équivalent en montant, soit 30 milliards d'euros. D'autres cotisations pourraient donc être aussi concernées. L'important étant d'arriver au total de 30 milliards d'euros. Et c'est là que resurgit un vieux serpent de mer, celui de la " barémisation" des cotisations sociales,  un mécanisme très sérieusement à l'étude, reconnait-on dans l'entourage du Premier ministre et qui a fait l'objet de nombreux rapports depuis de longues années.

De quoi s'agit-il ? Le système de cotisations sociales à la sécurité sociale est basé en théorie sur le principe de cotisations proportionnelles, avec un taux global fixé à environ 30% du salaire brut. En réalité, les cotisations sociales patronales ont été rendues progressives en raison des allègements de cotisations opérés depuis 1993 dans le cadre de la politique d'abaissement du coût du travail.

Ainsi, depuis le dispositif d'allègement dégressif « Fillon » institué pour toutes les entreprises en 2003, le taux réel des cotisations sociales patronales au niveau du Smic n'est pas de 30% mais d'environ 4,4%. Pour 1,1 Smic, ce taux est d'environ 10,7 %, et de 20,4 % pour 1,3 Smic. C'est simplement à compter de 1,6 Smic que l'on retrouve le taux forfaitaire d'environ 30%. A noter que les cotisations sociales salariales, elles, sont restées strictement proportionnelles (environ 9% du salaire, pour les cotisations "Sécu"). Au total, les allègements Fillon sur les cotisations patronales représentent un coût financier annuel pour l'Etat d'environ 22 milliards d'euros versés à la "Sécu" pour compenser le manque à gagner causé par les allègements de cotisations.

Un barème progressif et généralisé des cotisations

Le mérite de la barémisation serait de permettre d'afficher clairement la réalité des prélèvements opérés au titre des cotisations de sécurité sociale. Très concrètement, il s'agirait de mettre en place un barème par tranches salariales, en "marches d'escalier" qui afficherait directement le taux de cotisation patronale pour chaque tranche de salaire ( mais il y a alors le risque d'accentuer les effets de seuil).

Les cotisations patronales de sécurité sociale deviendraient alors définitivement progressives, y compris au-delà de 1,6 Smic, et non plus proportionnelles (avec l'application d'un même taux). Reste à connaître la progressivité des taux de cotisations. C'est là que, actuellement, les calculettes fonctionnent. Le nouveau barème des cotisations devrait tenir compte des actuels 22 milliards d'euros d'allègements Fillon - qui seraient donc supprimés en tant que tels mais serviraient en réalité à établir un barème "à la baisse" des cotisations  - et des 10 milliards supplémentaires annoncés par François Hollande dans le cadre du pacte de responsabilité. Au final, il y aurait une  baisse générale des cotisations patronales de sécurité sociale, mais l'allègement de charge supplémentaire par rapport à la situation actuelle serait toujours pour les entreprises de 10 milliards d'euros. Le barème qui sera établi devra traduire cette diminution.

Etant entendu que le CICE, qui concerne, lui, l'impôt sur les sociétés et non les cotisations sociales continuerait de vivre parallèlement à ce dispositif… ce qui éviterait de mélanger les choux et les carottes.

La délicate question des entreprises à haute valeur ajoutée

Il sera aussi nécessaire de trouver des ressources supplémentaires pour la "Sécu" afin de compenser la perte des 22 milliards d'euros qu'elle percevait en contrepartie des allègements Fillon. A cet égard, le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale planche actuellement sur divers scénarios de financement. Il doit remettre son rapport pour la deuxième quinzaine de mars.

Reste que la barémisation et la progression des cotisations patronales risquent de mécontenter les entreprises à haute valeur ajoutée où les salaires sont élevés. Or, ce sont souvent ces secteurs qui doivent affronter la compétition internationale. Une solution devra donc être trouvée pour les entreprises concernées, afin de les faire également profiter du pacte de responsabilité. En fait, on retrouve l'éternel problème de l'arbitrage entre le soutien à l'emploi (les bas salaires) et la compétitivité.