Alstom : la presse étrangère gênée par l'interventionnisme de Paris

Par Giulietta Gamberini  |   |  1229  mots
"L'information selon laquelle un champion industriel français serait vendu à une société américaine a engendré une crise pour François Hollande, qui a vu sa côte de popularité dégringoler à un niveau record", analyse The New York Times. (Photo : Reuters)
L'attitude de la France sur l'éventuel rachat partiel d'Alstom par General Electric ou Siemens rend perplexe les journaux anglo-saxons et allemands. Certains fustigent une politique industrielle anachronique, une industrie en déclin et un manque d'ouverture aux investissements étrangers.

Un ministre de l'Economie "au franc-parler", voire "enflammé", un gouvernement en général peu accueillant vis-à-vis des investissements étrangers... La presse anglo-saxonne insiste sur ces points lorsqu'elle relate la course à obstacles du groupe américain General Electric pour finaliser son éoparation de rachat de la division énergie d'Alstom.

Les étrangers ne sont pas les bienvenus en France

"L'information selon laquelle un champion industriel français serait vendu à une société américaine a engendré une crise pour François Hollande, qui a vu sa cote de popularité dégringoler à un niveau record, à cause du chômage élevé et du désenchantement diffus vis-à-vis de sa politique économique", rapporte The New York Times.

Pourtant, alors que les audits de General Electric sur la branche énergie d'Alstom sont avancés, ceux de Siemens viennent juste de commencer, note le journal new-yorkais. Siemens et Alstom sont en outre rivaux alors que l'offre de General Electric pourrait avoir un effet moins perturbateur en matière d'emplois que celle du groupe allemand, souligne encore le quotidien.

Mais l'attitude du gouvernement français n'a rien d'étonnant aux yeux du quotidien américain : "Alors que la France reste l'une des premières destinations mondiales pour les investissements des sociétés multinationales, le gouvernement ne s'excuse pas de sa politique industrielle, qui vise à couver et à défendre ses champions nationaux". Le gouvernement français "a parfois indiqué clairement que les étrangers n'étaient pas les bienvenus, comme en 2005 à propos de la prétendue participation de Pepsico dans Danone, le fabricant de yaourts, et plus récemment l'année dernière, quand Montebourg a torpillé l'acquisition de Yahoo le site de vidéos DailyMotion », rappelle le NYT.

La France, un "endroit difficile" pour les prises de contrôle étrangères

"La France est notoirement un endroit difficile pour les prises de contrôle étrangères", insiste aussi Forbes, renvoyant aux chiffres sur les fusions et acquisitions de Mergermarket. "General Electric connaît bien ces difficultés", depuis que, en 2010, la société, qui tentait d'acquérir une division d'Areva, s'est vu refuser son offre à la faveur d'une solution domestique privilégiant Alstom et Schneider Electric, rappelle le site d'information économique. Mais Siemens a aussi connu des revers puisque, "il y a une dizaine d'années, quand Alstom était au bord de l'effondrement, le gouvernement français a aussi délaissé une offre de fusion" du groupe allemand, souligne Forbes.

Une "prise de pouvoir transatlantique impopulaire"

The Wall Street Journal décrit Montebourg comme un "ministre au franc-parler, qui s'est heurté à plusieurs reprises avec des patrons d'entreprises", convaincu que le gouvernement se doit de s'immiscer aussi dans les affaires des sociétés dont l'Etat ne détient pas de participation. Ce qui l'inquiète, dans cette "impopulaire prise de pouvoir transatlantique", c'est que le gros des affaires d'Alstom serait géré à partir du Connecticut, souligne le journal américain.

Alstom et General Electric, qui ont négocié secrètement pendant des mois, espéraient définir les termes de l'accord avant de le soumettre au gouvernement français, "qu'il aurait fallu cajoler pour qu'il permette à une compagnie américaine d'acquérir la part du lion dans un grand conglomérat français", explique le WSJ, citant des sources proches du dossier. Mais les deux sociétés ont surestimé leur capacité de garder le secret et la fuite des pourparlers dans la presse les a prises de court.

Selon le quotidien économique, General Electric, qui "a travaillé pendant des mois pour constituer ce qu'il considère comme une bonne offre", reste toutefois confiant sur sa capacité de conclure un accord, comptant sur le soutien du conseil d'administration d'Alstom ainsi que d'une partie du gouvernement.

Alstom plus stratégique que Danone

Pour le Financial Times aussi, Arnaud Montebourg est un ministre "enflammé". Celui qui avait osé dire à Lakshmi Mittal qu'il "n'était pas le bienvenu en France" lorsque l'industriel indien a voulu fermer l'usine française de Florange en 2012. 

Quant à Alstom, le fleuron français occupe certes une place de leader mondial dans le secteur des centrales au charbon. Mais "malheureusement, c'est un peu comme être un champion parmi les éleveurs de chevaux quand la voiture a été inventée : ce n'est pas un mauvais business, mais ce n'est pas non plus le futur", ironise le quotidien britannique.

General Electric, qui a surtout investi dans le gaz, pourrait toutefois bénéficier de cette complémentarité, lui permettant de tirer profit de l'utilisation croissante du charbon dans les économies émergentes, concède le FT.

Le nucléaire et l'énergie, dans lesquels opère Alstom, sont d'ailleurs sans doute "plus stratégiques que le fabricant de yaourts Danone, qui avait été défini comme un 'atout stratégique' et protégé contre une offre de PepsiCo il y a une décennie", reconnaît le quotidien d'outre-Manche. La capacité de GE à restructurer Alstom ne serait que partiellement limitée par les lois du travail européennes ainsi que par les éventuels accords avec le gouvernement français, 40% de la force de travail du groupe se trouvant en dehors de l'Europe.

La politique industrielle française jugée anachronique

Malgré la préférence que le gouvernement français semble accorder au groupe allemand Siemens, la presse d'outre-Rhin ne se montre toutefois pas plus indulgente que l'anglo-saxonne vis-à-vis de la France.

En Allemagne, la Süddeutsche Zeitung n'apprécie guère la méthode utilisée par le gouvernement français pour protéger "à tout prix" Alstom contre un rachat par General Electric, qu'elle définit de "sans gêne et brutal". A propos de l'interventionnisme du ministre de l'Economie Arnaud Montebourg, le quotidien bavarois dénonce une "politique industrielle et une ingérence dans les affaires économiques qui au temps du marché globalisé devraient appartenir au passé. Dans une économie de marché, c'est aux entreprises de déterminer elles-mêmes si une stratégie est bonne ou mauvaise : le politique n'a rien à y faire".

"Pas une perle de rendement"

D'autant plus que les prises de position du gouvernement français ont aussi touché les Allemands. "Si Alstom doit vraiment perdre son identité franco-française, alors il vaut mieux que cela se fasse avec un concurrent allemand. Mais comme les temps changent ! Il y a dix ans, quand Alstom était au bord de la faillite, la France avait tout fait pour torpiller un rachat par Siemens", rappelle le journal.

Die Welt raille elle aussi le patriotisme économique d'Arnaud Montebourg, mais ne manque pas de s'émouvoir dès lors qu'un symbole de l'industrie allemande est en jeu, en titrant : "Siemens prête à sacrifier l'ICE" (l'équivalent allemand du TGV d'Alstom). En rappelant les résultats du fleuron français, le quotidien tranche d'ailleurs : pas de quoi en faire une "perle de rendement".

L'industrie française est désormais reléguée "en ligue 2"

Enfin, le Frankfurter Allgemeine Zeitung rappelle lui aussi le déclin de l'industrie française, qui serait en passe d'être "reléguée en ligue 2", depuis les années 1980 déjà mais de plus en plus vite depuis la crise de 2008. Le diagnostic du quotidien francfortois est clair : "les entreprises françaises investissent et exportent trop peu, rechignent à automatiser les usines et ne parviennent pas à se positionner sur le marché avec des produits à forte valeur ajouté et aux prix stables".