« Hollande prépare une réforme territoriale qui est un contresens économique »

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  1506  mots
Pour Jean-Christophe Fromentin, "que l'État le veuille ou non, que les hommes politiques le veuillent ou non, les territoires se construiront sur des logiques de flux pas sur des logiques administratives. Les gens iront là où il y a du travail et il y aura du travail demain là où les flux se structureront dans un monde globalisé."
Jean-Christophe Fromantin, le député-maire UDI de Neuilly, craint que François Hollande aille « dans le mur » avec sa simplification des régions et la suppression des conseils départementaux. Il estime qu’une réelle réforme demanderait « un courage politique et un discours stratège fort ».

Jean-Christophe Fromantin, le député maire UDI de Neuilly, travaille depuis longtemps sur les territoires et sur la manière dont les régions devraient être reconfigurées en fonction des flux économiques, regroupées autour de 8 métropoles connectées au monde en particulier par les ports, mais pas en fonction de logiques administratives ou partisanes. Une réflexion innovante (https://www.territoiresenmouvement.com/) d'un élu atypique et constructif, par ailleurs candidat à la présidence de l'UDI et surtout l'instigateur d'une candidature de la France à l'Exposition universelle de 2025 de plus en plus fédératrice et transpolitique (https://www.expofrance2025.com/)

 

La Tribune.Vous menez une réflexion sur la manière dont les flux économiques structurent les territoires et sur la façon dont la France métropolitaine pourrait s'organiser dans l'avenir autour de 8 régions autour de 8 métropoles connectées au monde. Est-elle compatible avec la manière dont François Hollande semble aujourd'hui envisager la simplification de la carte territoriale ?

 Jean-Christophe Fromantin. Les territoires dans le monde se sont toujours construits sur les logiques économiques. La France s'est, elle, construite sur les grands ports, Lorient, Marseille, Bordeaux… et les flux ont toujours été à l'origine de la géographie politique, sociale ou économique. Je pense que non seulement cela ne sert à rien mais que c'est en plus extrêmement dangereux d'aller contre les flux : que l'État le veuille ou non, que les hommes politiques le veuillent ou non, les territoires se construiront sur des logiques de flux pas sur des logiques administratives. Les gens iront là où il y a du travail et il y aura du travail demain là où les flux se structureront dans un monde globalisé. Je ne comprends pas pourquoi nous n'anticiperions pas dès aujourd'hui en ayant un regard réaliste sur les flux tels qu'ils vont se développer. Je comprends qu'il y ait une urgence avec Bruxelles et les nécessaires réformes de structure mais sans vision prospective du territoire, la réforme n'a aucun sens…

Quitte à faire une réforme, autant qu'elle ait une vision…

 ... exactement. Le Président de la République veut donner la priorité à l'emploi mais, dans le même temps, s'apprête à faire une réforme des territoires contreproductive dans tous les sens du terme. Son obsession devrait plutôt être de trouver un discours stratégique, de chercher à créer une carte de France équitable où chaque Français soit à une distance acceptable d'une métropole connectée au monde, où chaque Français soit à une distance d'une ville moyenne avec les missions régaliennes de l'État, où chaque entreprise soit dans un corridor logistique qui la relie à l'hinterland d'un grand port maritime… Le discours stratégique du chef de l'État ne doit pas être un discours égalitariste, il doit être un discours équitable. Il doit faire de la géographie politique à l'aune de cette équité territoriale et non de l'égalité territoriale.

Dans un deuxième temps on trouvera toujours des mécanismes de péréquation financière, parce ce qu'il est évident qu'il est plus difficile de faire de Clermont-Ferrand une métropole connectée au monde que de Nantes. Là, il sera temps d'avoir une politique volontariste mais l'approche administrative, égalitariste est contreproductive et va nous mettre dans le mur. François Hollande ne doit pas faire l'erreur d'annoncer un nombre de régions, mais il doit expliquer l'objectif de la réforme et surtout les critères objectifs que les élus doivent avoir en tête pour se rapprocher. La France se redessinera, alors, naturellement. Il faut tirer un signal d'alarme, car on est en train de nous préparer une réforme territoriale qui n'a pas de sens, une simple réponse à l'urgence sans aucune perspective.

Le meilleur exemple pourrait-il être la création de cette région du Havre à Paris, celle de l'axe Seine ? Aurait-elle un réel sens économique en respectant l'évolution probable des flux économiques ?

Bien sûr, c'est un exemple. Le souci est qu'il n'y a aucun critère mis par le Président. Quelle devrait être la taille critique des futures régions? Quelle devrait être leur connexion aux ports et à l'hinterland ? Leurs compétences ? Un véritable État stratège, celui que tout le monde réclame, devrait faire exactement l'inverse de ce qui est annoncé par Manuel Valls : donner, par exemple, une taille critique de 8 à 10 millions d'habitants car si l'on veut canaliser l'épargne au service de l'économie plutôt que la laisser partir vers les fonds de pension, c'est la bonne taille pour la territorialiser. Tout le monde le sait, c'est une réalité. L'autre réalité, c'est la connexion. Un monde globalisé est un monde connecté. Les voitures allemandes qui font ainsi le plus de valeur ajoutée sont celles qui ont les inputs importés les plus nombreux. Une Porsche Cayenne c'est 90% de produits importés. Donc si l'usine Porsche n'est pas d'accès facile pour les containers ou pour la voiture montée, elle s'écroule

Le salut de la France passe par ses ports ?

Il passe par la connexion au monde. Le Président devrait demander des territoires où chacun est connecté au monde. Pas des petites régions à 3 ou 4 pour s'arranger entre soi, mais des régions connectées à l'un des 7 grands ports français. Nous avons un atout formidable, il faut le jouer. La sociologue et économiste Saskia Sassen le montre de plus longtemps : plus un pays a de connecteurs au monde plus il est tiré vers la croissance. En France, nous avons les moyens d'avoir 8 ou 10 métropoles connectées au monde. Chaque région doit donc être adossée à une métropole connectée au monde pour valoriser ses capacités productives et donner aux métropoles une véritable raison d'être car si ses fonctions tertiaires ne sont pas adossées à des capacités de production elles vont vite tourner dans le vide ! Si le Président adoptait un discours fondateur et donnait à tout le monde un an pour s'adapter, il ne serait pas dans un tel casse-tête.

Le gouvernement semble aujourd'hui dans un schéma impossible sur cette question. Pensez-vous qu'il va de nouveau se heurter à l'Assemblée et au Sénat à une pluie d'amendements et au lobbying des associations d'élus ?

Bien sûr. Chaque élu a une équation personnelle qui est mise en défaut par rapport à une réforme comme celle là. C'est une réforme qui demande un courage incroyable. Si François Hollande avait été élu sur une carte de France, il aurait la légitimité pour trancher dans le vif. Mais là, il arrive avec un discours au fil de l'eau, alors qu'il s'agit d'un sujet extraordinairement réformateur que l'on ne peut pas conduire avec 15% de popularité, une opposition déliquescente et un monde politique truffé d'ambitions personnelles. François Hollande va se heurter à des corporatismes dans tous les sens, de droite comme de gauche. Il faudrait une liberté terrible pour réaliser cette réforme et, surtout, la légitimité d'avoir été élu pour la faire. Comme ce n'est pas le cas, personne n'aura d'état d'âme au Parlement pour casser et détruire ce qui ne lui conviendra pas. Cela aurait d'ailleurs été pareil avec Nicolas Sarkozy. Nous avons là un problème lié aux limites de nos institutions et au fait qu'aucun candidat se présente l'élection présidentielle avec des propositions de réformes structurelles. La campagne présidentielle ne s'étant pas faite sur ces questions de structures, cela devient extrêmement difficile de les faire aujourd'hui

Croyez-vous vraiment que l'on puisse se faire élire sur des réformes aussi radicales et douloureuses ?

Le scrutin des élections européennes en donne la preuve : les exécutifs allemands, italiens, espagnols font tous les trois des bons scores parce qu'ils sont sur des réformes courageuses. C'est peut être nouveau mais il y a eu une prime au courage. Angela Merkel, Matteo Renzi, et Mariano Rajoy ont fait des bons scores dans des séquences réformatrices très dures mais complètement assumées. Je pense que nous devrions dire qu'il y a une réforme des territoires à faire et qu'elle est la pierre angulaire d'une grande réforme de la France. Après, il y aura 3 ou 4 réformes à effectuer sur les compétences régaliennes de l'État, la fiscalité et la mise à l'équerre de l'État providence. Mais sur un tel processus réformateur, on peut mettre 100, 200 ou 500 milliards d'euros dans les investissements d'avenir et déclencher une perspective de croissance. Mais si nous n'avons pas ce discours construit tenu par quelqu'un de convaincu, la réforme territoriale sera un coup d'épée dans l'eau. Elle ne peut pas fonctionner, elle est partie de manière trop erratique, elle n'est portée par personne, elle n'a pas été mise en perspective, je ne vois pas comment cela pourrait marcher !