Les raisons de la colère des intermittents du spectacle

Par Antoine Guerrier  |   |  1190  mots
Intermittents, syndicats, membres de la majorités en opposition contre le gouvernement et le patronat. /Flickr/ccActuaLitté
Les interventions d'intermittents du spectacle se multiplient alors que s'ouvre la saison des festivals. Retour sur cet accord du 22 mars, instaurant de nouvelles règles d'indemnisation pour les bénéficiaires de ce statut particulier, qui décidément, ne passe pas.

La colère monte au sein du monde du spectacle. Mercredi 4 juin, lors du festival du Printemps des Comédiens à Montpellier, les intermittents ont annulé la première représentation de La Traviata de Verdi à l'Opéra-Comédie de la ville. Un blocage qui fait écho aux nombreuses apparitions d'intermittents depuis l'accord du 22 mars 2014 sur la nouvelle convention de l'assurance-chômage. Lundi 2 juin, lors  la cérémonie des Molières, en présence de la Ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, les intermittents se sont aussi mobilisés et ils pourraient bien le rester durant toute la période des festivals. Y compris à Avignon…ce qui représenterait un manque à gagner de 25 millions d'euros pour la ville, en cas d'annulation.

La colère a débuté après la déclaration tonitruante de Pierre Gattaz, président du Medef, réclamant la suppression du régime spécifique des intermittents. Pour rétablir, selon lui, l'équité entre les demandeurs d'emplois "à cotisations égales, indemnités de chômage égales". Et pour limiter le déficit cumulé de l'Unedic qui dépasse les 20 milliards d'euros

Comme lors de la mobilisation en 2003

Une situation qui rappelle l'été 2003, année où les festivals d'Avignon, d'Aix-en-Provence et des Francofolies de La Rochelle avaient été annulés.

"Nous sommes dans la même situation. Un accord injuste qui augmente les indemnités des plus nantis et baisse celles des plus en difficulté. C'est incroyable qu'en temps de crise on fasse payer les chômeurs. Sans parler des négociations en eau trouble couplé d'une tentative de coup de force de la part du Medef" s'indigne Marc Slyper, de la CGT-Spectacle.

A l'époque le protocole d'accord avait été signé en juin. Face à ce nouveau régime, les intermittents s'étaient mobilisés et avaient décidé de rejoindre les techniciens du festival d'Avignon. Ce qui a donné naissance à la Coordination Nationale des Intermittents (CNI), regroupant 44 collectifs non-syndiqués, dans le but de devenir une force de proposition contre le protocole en vigueur. La mobilisation a mis à mal une partie de la profession, comme le rappelle Céline Dumas, auteure, compositrice, interprète du groupe "la Jongle" et membre en 2003 de la CNI.

"Les réformes ont brisé des compagnies à cause de divergences internes. Se mettre en grève, pour nous, c'est très délicat. Si on ne fait pas nos jours, fini les indemnités-chômage pour l'année".

Alors qu'à l'époque le collectif avait fourni des propositions. "Mais personne ne nous écoute" déplore Céline Dumas.

Une négociation injuste pour les intermittents

Sur 255.000 cotisants on ne compte que 110.000 bénéficiaires. Actuellement il faut avoir travaillé 507 heures sur 10 mois (artistes) ou 10,5 mois (technicien) pour toucher une allocation, contre 610 heures sur 28 mois pour le régime général.

Des économies plus importantes sont souhaitées. Le différé d'indemnisation (délais d'attribution des indemnités) s'appliquait jusqu'ici à partir de 20.000 euros de revenus sur les 10 derniers mois (soit 9 % des allocataires). Avec l'accord, le différé d'indemnisation s'appliquera dès 10.000 euros de revenus, pour atteindre un mois dès 15.000 euros (soit 48 % des allocataires). L'objectif : économiser 200 millions d'euros d'ici à la fin 2016.

En outre, les intermittents doivent supporter une hausse de 10,8 à 12% de leur cotisation chômage.

Toutes ces mesures devraient "rapporter" à  l'Unedic 165 millions supplémentaires. A comparer aux 232 millions d'euros perçus jusqu'ici par l'assurance-chômage via les cotisations des intermittents et des entreprises du spectacle. A comparer également au déficit facial du régime spécifique des intermittents qui s'élèverait à 1 milliard d'euros, selon une estimation de la Cour des comptes d'ailleurs contestée. "Des économies de bout de chandelle", s'insurge Paul Rondin, directeur délégué du festival d'Avignon, "inquiet au premier chef, non seulement pour le festival mais sur le fond, sur le statut des intermittents".

Un accord controversé pour la plupart des intermittents

In fine, cet accord a été conclu par les organisations patronales avec les syndicats CFDT, CFTC et FO, mais pas par la CGT. Il doit rentrer en vigueur le 1er juillet prochain. Il suscite donc la défiance chez nombre d'intermittents. Mais cette contestation trouve également des relais au sein de la majorité, dont Anne Hidalgo. La Maire (PS) de Paris demande dans un courrier, daté de mercredi 4 juin, à François Rebsamen, ministre du Travail, de "rouvrir la discussion".

"Cet accord ne me semble pas à la hauteur d'une réforme progressiste et nécessaire du statut de l'intermittence (...) C'est pourquoi il m'apparait nécessaire, Monsieur le Ministre, de rouvrir la discussion avec l'ensemble des partenaires afin de parvenir à un accord pertinent et efficace au service d'un spectacle vivant de qualité et dynamique".

La Maire de Paris exprime ses doutes quant à l'avenir de la protection sociale des intermittents.

"Je partage l'inquiétude (des intermittents) sur les risques que cet accord ne résolve pas les problèmes de précarisation des artistes et des professions du spectacle, et même qu'il tend à les aggraver. Je regrette par ailleurs que les propositions discutées par les professionnels et les représentants des employeurs, dans le cadre d'un comité de suivi représentatif, n'aient pas été prises en compte".

Un sentiment également partagé par Martine Aubry, Maire (PS) de Lille, qui a elle aussi réclamé la réouverture des discussions.

"Une réforme, aussi impérative soit-elle, ne peut avoir pour unique objectif de faire des économies. Elle doit aussi être porteuse de justice."

Egalement rejointe par Jean-Christophe Cambadelis, premier secrétaire du PS, qui n'hésite pas à mettre en garde le gouvernement :

"Nous croyons indispensable que le gouvernement prenne en compte les conséquences négatives de cet accord avant tout agrément par le ministre du travail."

Une mobilisation prise aussi en compte par Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, qui propose des "pistes", comme des "Assises de l'intermittence", ou un fonds d'aide aux intermittents les plus précaires. Proposition refusée catégoriquement par les intermittents qui ne souhaitent pas avoir "une œuvre de charité pour nos pauvres" et réclament "un accord juste et équitable".

Un problème de méthode au cœur de la polémique

Une défiance vis-à-vis du gouvernement qui, pour Denis Grayouil, de la CGT-Spectacle,  tient au fait que "nos propositions ont été balayées d'un revers de la main, alors qu'on avait des solutions".

Des négociations "en totale opposition avec la démocratie sociale. Discutée dans les couloirs, sortie des fonds de tiroir, ce n'est pas loyal. On a le sentiment d'être trahi !" s'indigne pour sa part Marc Slyper, de la CGT-Spectacle.

Une incompréhension entre partenaires sociaux et gouvernement traduite dans les déclarations de François Rebsamen, ministre du Travail, affirmant, mercredi 4 juin, qu'il ratifierait  la nouvelle convention  Unedic, parce que "l'existence même" de ce régime "était gravement menacée par le Medef".

Selon lui, les solutions envisagées par les partenaires sociaux "garantissent l'essentiel des droits à l'indemnisation des intermittents et protège notamment les plus précaires d'entre eux". L'affaire n'est certainement pas terminée.

Photo par ActuaLitté via Flickr cc licence by