Les intermittents font monter la pression... le gouvernement cherche à la faire baisser

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1176  mots
Les intermittents mettent la pression contre les nouvelles règles d'indemnisation du chômage
Les intermittents du spectacle s'opposent aux nouvelles règles d'indemnisation du chômage applicables le 1er juillet. Ils menacent l'organisation des festival estivaux. Explications du conflit.

Attention, danger pour le gouvernement… et les amateurs de festivals. Le conflit des intermittents du spectacle monte en puissance. Déjà, des festivals organisés à Montpellier et à Toulouse notamment ont été fortement perturbés. Et les organisateurs du prestigieux festival d'Avignon commencent à vraiment s'inquiéter. Pourquoi les intermittents du spectacle font ils ainsi monter la pression et pourquoi ont-ils engagé un tel rapport de force ? Explications.

De quoi parle t-on ?

Patronat et syndicats ont finalisé le 22 mars une nouvelle convention d'assurance chômage, applicable le 1er juillet prochain, qui fixe les nouvelles conditions pour bénéficier d'une indemnisation du chômage. Dans ce cadre général, Le régime des intermittents du spectacle, qui fait l'objet de règles particulières, a également été modifié.

Ce régime des intermittents s'applique au secteur du spectacle : audiovisuel, cinéma, musique, spectacle vivant, etc… Il concerne d'une part, les techniciens et ouvriers (« annexe VIII » de la convention d'assurance-chômage) ainsi que, d'autre part, les artistes (« annexe X)). Le 17 avril, patronat et syndicats se sont revus pour peaufiner les règles concernant les intermittents du spectacle.

Le texte de la convention d'assurance chômage est maintenant sur le bureau du ministre du Travail, François Rebsamen qui doit l'agréer, normalement le 22 juin au plus tard, pour une entrée en application le 1er juillet. C'est pour cette raison que les intermittents, réunis au sein d'une coordination des intermittents et précaires (CIP), mettent la pression. I

 Les sujets qui fâchent

Selon un rapport parlementaire publié en 2013, 254.394 salariés cotisent au régime des intermittents mais seuls 43%, soit 108.658, ont bénéficié d'au moins une journée d'indemnisation. De fait, le droit d'entrée dans le dispositif est assez difficile à obtenir : il faut justifier de 507 heures de travail sur dix mois (technicien) et 10,5 mois (artistes) avant de pouvoir obtenir une indemnisation chômage. Or, dans ces secteurs, les heures de travail sont souvent sous- évaluées. 

Mais si ce seuil de 507 heures est franchi, l'indemnisation dure alors huit mois, alors que dans le régime général un jour travaillé donne droit à un jour d'indemnisation (mais il faut avoir travaillé au minimum quatre mois). Résultat, depuis des années une polémique fait rage sur le  « coût » du régime spécifique des intermittents qui représentent pourtant seulement… 3,5% des allocataires de l'assurance chômage.

Certes, mais pour la Cour des compte, dans un rapport du 26 novembre 2013, le déficit du régime des intermittents du spectacle atteint 1 milliard d'euros par an, soit le quart du déficit annuel de l'assurance-chômage. Un montant inexact pour le député PS , Jean-Patrick Gille, auteur d'un rapport parlementaire sur le sujet en 2013 et qui vient d'être nommé médiateur dans le conflit. Selon lui, le surcoût dû aux règles spécifiques applicables aux intermittents du régime chômage s'élève en réalité à 320 millions d'euros car si ces règles spécifiques n'existaient pas, les intermittents seraient pris en charge par le régime général.

Les nouvelles règles applicables

Il n'empêche, pour limiter le coût du régime spécifique des intermittents, les partenaires sociaux (patronat, et les syndicats CFTC, CFDT et FO)  ont décidé un certain nombre de règles dans l'accord finalisé le 22 mars et retouché le 17 avril. Ce sont ces mesures qui font hurler les intermittents.

La cotisation spécifique à l'assurance chômage des intermittents a été revalorisée, passant de 10,8% à 12,8% (8% pour les employeurs et 4,8% pour les salariés). Selon la CGT, non signataire de l'accord, à salaire constant, cela va représenter une perte de salaire d'environ 0,8%.... Ce qui pèsera sur le montant de l'indemnisation servie. Rappelons que pour le régime général, la cotisation s'élève à 6,40% (4% part patronale et 2,40% par salariale).

Le différé d'indemnisation est généralisé. Le différé d'indemnisation est le nombre de jours retardant le versement de la première allocation. Il est calculé à partir des salaires perçus et des heures effectuées. Jusqu'ici, à l'instar des autres allocataires de l'assurance chômage, il existait déjà un délai d'attente de sept jours pour tous les intermittents et, un différé spécifique pour les seuls intermittents ayant perçu plus de 20.000 euros sur les 10 derniers mois. Or, avec le nouvel accord, ce différé sera applicable dès 8.500 euros de revenu dans les 10 mois. Le délai d'indemnisation est calculé d'une façon un peu complexe. Mais, par exemple, un artiste avec 10.000 euros de revenu et 507 heures de travail, se verra appliquer un différé de 11 jours, un autre avec 12.000 euros, aura un différé de 12 jours et, un troisième, avec 30.000 euros et 600 heures de travail , aura, lui, un différé de…58 jours. Pour la CGT Spectacle, désormais, la règle du différé d'indemnisation va concerner jusqu'à 48% des intermittents allocataires.

Par ailleurs, à la différence des règles antérieures, il ne sera plus possible de cumuler une allocation chômage avec un salaire et ce dans une limite mensuelle (les deux revenus cumulés) de 4.380 euros bruts. Une mesure qui pourrait ne concerner « que » environ 4.000 intermittents, tant, d'une façon générale, les revenus des intermittents sont faibles.

Au total, ces mesures vont permettre à l'Unedic de réaliser une économie annuelle d'environ 165 millions d'euros.

Que va-t-il se passer ?

Le député Jean-Patrick Gilles doit remettre les résultats de son travail de médiation dans les prochains jours. Il pourrait proposer des mesures d'économies alternatives. François Rebsamen devrait en tenir compte. A l'époque de son rapport parlementaire, Jean-Patrick Gille se disait favorable à l'idée de "faire contribuer davantage les intermittents les mieux insérés sur le marché du travail"… Les stars du cinéma notamment.

Concrètement, il s'agirait de déplafonner l'assiette des cotisations à l'assurance chômage aujourd'hui fixée à 688 euros par jour afin que les plus hauts revenus contribuent davantage. La CGT Spectacle est sur une idée proche en préconisant un « doublement du plafond actuel de l'assiette des cotisations ».

Elle demande aussi que ceux que l'on appelle les « permittents », les personnels employés comme intermittents alors qu'ils occupent des postes réguliers (notamment dans les sociétés de production), soient sortis du système en requalifiant leur contrat en CDD (au-delà de 600 heures de travail) ou en CDI (au-delà de 900 heures de travail).

Pour sa part, la Cour des comptes préconise un taux de cotisation variable pour les employeurs d'intermittents : plus ces entreprises auraient recours à des intermittents, plus le taux de cotisation serait élevé. C'est un peu le système déjà en vigueur s'agissant des cotisations accidents du travail.

Une vaste consultation tripartite : syndicats/patronat/gouvernement devait être organisée d'ici la fin de l'année sur la question des intermittents. Elle devrait finalement être avancée à l'été, selon les déclarations de la ministre de la Culture Aurélie Filippetti. Mais il n'est pas certain que cela calme les intermittents.