Harmoniser la fiscalité des entreprises en Europe, oui mais comment ?

Par Ivan Best  |   |  816  mots
Google optimise largement son impôt en Europe, via l'Irlande. avec
Le Conseil d'Analyse économique préconise une harmonisation européenne de la fiscalité. Il s'agirait d'intervenir d'abord sur l'assiette fiscale

« Il n'y a aucun consensus en Europe sur la question de la concurrence fiscale », souligne Agnès Bénassy Quéré, présidente du Conseil d'Analyse économique. « L'idée d'une nécessaire harmonisation fiscale en Europe est avant tout une idée française, loin d'être partagée au-delà de nos frontières ». Les défenseurs de cette politique ont donc loin d'avoir partie gagnée.

Pourtant, Agnès Bénassy Quéré et les auteurs d'une note publiée ce jeudi par le Conseil d'Analyse économique (CAE), organe de réflexion placé auprès du premier ministre, veulent y croire. Ils suggèrent une série de réformes en faveur de l'harmonisation, qui se veulent suffisamment réalistes pour être mises en œuvre dans les années à venir « sans attendre 2035 », comme le souligne l'un des auteurs de l'étude, l'économiste, spécialiste des questions fiscales, Alain Trannoy.

Seul l'impôt sur les bénéfices serait concerné

Le CAE restreint volontairement le champ de son étude à l'impôt sur les entreprises (l'imposition des bénéfices des sociétés, IS, plus précisément), le seul dont le taux a baissé partout en Europe avant tout en raison de la concurrence fiscale. S'agissant des autres prélèvements, le constat est beaucoup moins évident, avance le CAE. La concurrence aurait eu un effet beaucoup moins évident en matière d'impôt sur le revenu -dont les taux maximum ont eux aussi baissé à travers l'Europe-, estiment les économistes.
Soucieux de réalisme, le CAE ne propose pas une harmonisation des taux d'Impôt sur les sociétés. Il suggère simplement de reprendre une proposition de la commission européenne, techniquement finalisée et déjà mise sur la table, consistant à harmoniser les assiettes (bases) d'imposition, tout en les consolidant. C'est-à-dire ? Afin d'éviter les transferts organisés par les entreprises de pays à pays, pour bénéficier des taux les plus bas, le bénéfice imposable d'un groupe intervenant dans plusieurs pays européens serait consolidé.
Puis, il serait réparti dans les différents selon la réalité de l'activité économique de l'entreprise. Si un groupe industriel français a une activité importante en Allemagne, son bénéfice y serait imposé, selon une clé de répartition bien précise, où le chiffre d'affaires compte pour un tiers, la masse salariale pour un sixième, l'emploi pour un sixième et les immobilisations pour un tiers.

Avec un tel système, Google ne pourrait plus localiser l'immense majorité de ses bénéfices en Irlande, voire dans des paradis fiscaux exotiques, via des montages sophistiqués: la multinationale verrait une partie beaucoup moins négligeable de ses profits imposés en France, à concurrence de son chiffre d'affaires, et l'emploi hexagonal (plusieurs centaines de commerciaux localisés notamment à Paris).

Une connotation fédéraliste

Quel serait l'avantage d'une telle réforme, à connotation fédéraliste ? Pour les entreprises, les coûts de mise en conformité seraient moindres -le bénéfice imposable étant calculé selon un mode unique-, les pertes pourraient être reportées plus facilement.
Quant aux administrations fiscales, elles seraient moins en butte à des pratiques d'optimisation.
« Au total, il ne s'agit pas d'augmenter la masse des prélèvements » souligne Agnès Bénassy Quéré.

Pour une fiscalité bancaire harmonisée

Serait-ce le cas aussi s'agissant des banques ? Le CAE entend leur réserver un traitement particulier. A condition que la proposition d'harmonisation fiscale de l'IS entre en vigueur, et alors que les besoins budgétaires au niveau européen se font sentir, les auteurs de l'étude suggèrent la suppression de toutes les taxes nationales spécifiques sur les banques, et leur remplacement par « une taxe unique sur l'activité financière », basée sur les salaires et les profits. Cette taxe, dont le taux pourrait être de 5%, rapporterait entre 10 et 20 milliards d'euros, et serait affectée dans un premier temps au fonds de résolution unique (26 pays membres), sensé servir à renflouer les banques en cas de faillite.
Ensuite, pourrait être institué un IS spécifique aux banques, avec un taux minimum : libre à chaque état de prévoir un taux supérieur.

Une chance de faire avancer le dossier?

La proposition de la commission européenne consistant à harmoniser l'assiette de l'impôt sur les sociétés avait été bloquée en 2011. Les travaux franco-allemands sur le sujet sont restés lettre morte. Le dossier a-t-il une chance d'avancer plus vite aujourd'hui, au niveau européen ? « Elle peut être mise en œuvre dans le cadre d'une coopération renforcée », les pays opposés restant en dehors de cette harmonisation, suggère Agnès Bénassy-Quéré, qui souligne qu'à la faveur de la crise, l'état d'esprit évolue en Europe: qui aurait imaginé voilà quelques années la constitution d'une Europe bancaire?