Intermittents : de l'accord du 22 mars au festival d'Avignon, un résumé de l'intrigue

Par latribune.fr  |   |  1278  mots
Comme lors de la précédente contestation de 2003, Avignon fait figure de principal théâtre des opérations des intermittents. Le plus grand festival de théâtre du monde, "off" compris, rapporterait en tout 25 millions d'euros à la ville. (Photo: Reuters)
Deux spectacles d'ouverture annulés à Avignon vendredi, des représentations à Aix-en-Provence perturbées et d'autres événements culturels menacés... La mobilisation des intermittents se poursuit en ce début de saison des festivals, après plusieurs mois de lutte. Résumé du drame qui se joue autour de l'assurance chômage des intermittents du spectacle.

Le Prince de Hombourg n'ouvrira pas le bal à Avignon. La recréation par l'italien Giorgio Barberio Corsetti, 53 ans, après la célèbre version avec Gérard Philippe et Jean Vilar de la pièce de Kleist, qui devait ouvrir le festival d'Avignon "in" au Palais des Papes, est annulée.

De même, l'autre spectacle d'ouverture, un ballet du chorégraphe belge Alain Platel au nom prédestiné (Coup fatal) est lui aussi annulé. En fin de matinée Olivier Py, le directeur du festival, a annoncé ces décisions votées la veille par une large majorité des employés de l'organisation. Le coût de ces annulations était estimé à 29.000 euros en billetterie. Les possesseurs de billets pourront soit se faire rembourser, soit choisir un autre spectacle du festival.

Deux décisions qui couronnent plusieurs mois de lutte des intermittents du spectacle et laissent présager un été chaud sur la scène culturelle. Pour ceux qui n'auraient pas suivi de près ce conflit social qui secoue l'un des secteurs les plus rentables pour l'économie française, en voici un résumé. 

  • L'argument

Au cœur de la contestation, l'accord sur l'assurance-chômage conclu entre partenaires sociaux le 22 mars. Celui-ci prévoit, entre autres, l'extension du délai de carence pour obtenir les indemnisations chômage à un plus grand nombre de bénéficiaires et la hausse des cotisations.

>> >> Les raisons de la colère des intermittents du spectacle

  • Prologue

Avant même l'annonce de l'accord, la mobilisation s'est organisée, avivée par les positions du Medef. En février, l'organisation patronale avait proposé un alignement de l'assurance-chômage des intermittents sur celle des intérimaires. Et ce, malgré les spécificités des métiers concernés qui, par définition, ne garantissent pas des rentrées de revenus régulières.

En mai, pendant le festival de Cannes, le plateau du Grand Journal est investi, tandis que d'autres actions sont organisées un peu partout en France et que le PS se divise sur la question.

  • Ouverture

C'est surtout au mois de juin que le mouvement s'intensifie.  Le 4, la Traviata, qui devait ouvrir le Printemps des Comédiens à Montpellier, est annulée. 

La semaine suivante, le festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence donne aux protestataires l'occasion de s'exprimer. Anne Hidalgo, nouvellement élue à la mairie de Paris, écrit à François Rebsamen, le ministre du Travail, pour lui demander de "rouvrir" la discussion sur l'assurance-chômage des intermittents. Sa consœur lilloise Martine Aubry avait déjà fait la même chose en mai. 

Fin juin, à l'approche du 1er juillet, date à laquelle la nouvelle convention d'assurance-chômage entrait en vigueur, et au début de la saison des festivals, les tensions s'accroissent.

  • L'intrigue se complexifie

Ainsi, le 19 juin, Manuel Valls annonce-t-il un "geste". Tout en prévenant que la réforme sera agréé par l'Etat, le gouvernement prévoit de ne pas appliquer la modification concernant le délai de carence. De façon transitoire, c'est l'Etat qui prendra le relais. Coût estimé: 90 millions d'euros.  En outre, une mission ad hoc est nommée afin de proposer un nouveau statut pour les intermittents. 

>> Intermittents: ce que propose le gouvernement

  • L'apogée?

Cette tentative d'apaisement échoue. Et la semaine suivante, la ministre de la Culture Aurélie Filipetti publie une tribune dans Le Monde dans laquelle elle appelle les artistes et les techniciens qui protestent à maintenir les représentations prévues au cours de l'été.

A Avignon, le message n'est entendu qu'en partie: le 2 juillet, le "in" vote à 80% le maintien des principales représentations mais, le lendemain, il décide d'annuler la première du Prince de Hombourg

Ailleurs en France, d'autres événements culturels pourraient être perturbés voire suspendus dans les prochains jours. En effet, la CGT Spectacle a maintenu son appel à une "grève massive" dans tout le pays ce vendredi. A Paris, le Théâtre de la Ville, par exemple, affichait jeudi son soutien sur Twitter aux protestataires d'Avignon:

#intermittents#JournéeMobilisationNationale : le @TheaVilleParis ! La pluie ne nous arrête pas #TDV4JUILpic.twitter.com/Yt3KgqWqJc

- Théâtre de la Ville (@TheaVilleParis) 4 Juillet 2014
  • Les acteurs

Sur scène, la ministre de la Culture, Aurélie Filipetti se retrouve au premier rang. Ce vendredi, elle a déclaré "respecter absolument le droit de grève""Cela fait onze ans  qu'ils sont inquiets, celaa fait onze ans qu'ils veulent une vraie réforme du régime de l'intermittence", a-t-elle jugé sur France Inter.

D'autres figures émergent. C'est le cas du triumvirat nommé fin juin par le gouvernement. Il comprend Jean-Patrick Gille, député PS, et rapporteur de la mission d'information sur les métiers artistiques, Hortense Archambault, qui a codirigé le Festival d'Avignon et Jean-Denis Combrexel, ancien directeur général du Travail. Chargés de redéfinir le statut des intermittents, ils se réunissent tous les jeudis jusqu'au 24 juillet et doivent reprendre leurs travaux en septembre. Leur rapport est attendu pour décembre. 

Du côté des directeurs de festival, le metteur en scène Olivier Py, qui fut entre autres directeur du théâtre de l'Odéon, se retrouve plus que jamais sous les projecteurs en tant que maître d'oeuvre à Avignon. A Aix, c'est Bernard Focroulle, ex-directeur du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, qui se retrouve en première ligne. 

Chez les intermittents, les comédiens Samuel Churin et Nicolas Bouchaud ont régulièrement pris la parole dans les médias. Ils sont loin d'être les seuls. 

  • Les décors

Comme lors de la précédente contestation de 2003, Avignon fait figure de principal théâtre des opérations. Le plus grand festival de théâtre du monde, "off" compris, rapporterait en tout 25 millions d'euros à la ville. Pour l'instant, un blocage total n'est pas prévu. L'annulation des deux spectacles d'ouverture ne devrait pas empêcher la diffusion sur France 2 de la répétition générale qui s'est tenue jeudi soir. Seule la météo pourrait perturber sa retransmission sur grand écran à Marseille et Avignon. Mais d'autres actions doivent avoir lieu. Ainsi la parade ouvrant traditionnellement le "off" sera-t-elle silencieuse. 

Non loin d'Avignon, le festival Aix-en-Provence se poursuit malgré quelques perturbations. Ainsi, l'opéra Ariodante de Haendel a-t-il été interrompu à deux reprises jeudi en raison d'une manifestation qui s'est tenue à proximité de l'Archevêché où avait lieu la représentation. Bernard Focroulle avait lui aussi agité les risques financiers d'éventuelles annulations prévenant que chaque représentation annulée à Aix "coûterait au moins 150.000 euros". La tenue de Il Turco in Italia de Rossini, à l'Archevêché toujours, reste incertaine. 

  • Quelques répliques choc

"Je donne de l'humanité aux gens qui m'en refusent, qui contestent mon statut de poète."

Une phrase lancée lors du festival Étonnants Voyageurs qui se tenait à Saint-Malo du 7 au 9 juin par Yvon Le Men, poète breton radié rétroactivement du régime des intermittents et qui doit rembourser près de 30.000 euros d'indemnités. 

"Valls est donc aux ordres du Medef? Nos actions ne connaîtront pas de pause".

Un tweet qui a beaucoup "tourné" sur les comptes des différentes coordonnations régionales d'intermittent, comme ici, en île de France

Dans sa tribune publiée par le Monde le 30 juin, Aurélie Filippetti écrit à propos des festivals qu'ils :

"génèrent bien sûr des retombées économiques considérables, mais ce sont d'abord des moments intimes, intenses" au cours desquels "chacun (...) est renvoyé (...) à la nécessité impérieuse de donner un sens 'aux changements confus d'un monde en gestation'", en reprenant une citation d'Aragon.