Les paradoxes de la syndicalisation en France

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  812  mots
Seuls 8% des salariés adhèrent à un syndicat en France
Selon une étude de la Direction du Trésor, si seuls 8% des salariés français sont syndiqués, ils sont pourtant 93% à disposer d'une couverture conventionnelle. Une situation due à l'originalité de la législation française qui n'incite pas à un syndicalisme d'adhérents à la différence d'autres pays.

Paradoxe apparent? La France connaît l'un des plus faibles taux de syndicalisation des pays de l'OCDE mais, en revanche, c'est dans l'Hexagone que le taux de couverture des salariés par des conventions collectives est le plus élevé.  Les particularismes du syndicalisme français expliquent cette situation que vient décrire avec minutie  - certes sur la base de données un peu anciennes - une note de la Direction du Trésor (Bercy: "La syndicalisation en France: paradoxes, enjeux et perspectives".

Selon cette étude, en France, en 2010, environ 1,8 million de salariés sont "encartés" dans un syndicat, soit près de 8% de la population active. Au regard des autres pays de l'OCDE, c'est très faible, même si les disparités sont grandes. Ainsi, si le taux de syndicalisation est limité à 6% en Turquie, il atteint plus de 70% dans les pays nordiques (Danemark, Suède, etc.) qui, comme la Belgique, appliquent le "système de Gand", c'est-à-dire qu'il faut obligatoirement être syndiqué pour obtenir certaines prestations (chômage, notamment). Ce qui n'est pas le cas en France.

En 30 ans, le taux de syndicalisation a fondu de plus de moitié

Entre 1980 et 2012, on observe dans toute l'OCDE un mouvement d'érosion des taux de syndicalisation. En moyenne pondérée, ce taux est ainsi passé sur cette période de plus de 33% à 17%. En France sur cette même durée, le taux de syndicalisation est tombé de 18% à 8%. Une chute que le Trésor attribue notamment aux modifications intervenues dans la structure du marché du travail avec la montée en puissance des contrats à durée déterminée (CDD) et de l'intérim. Autant de formes de travail qui ne poussent pas à la syndicalisation.

Dans le détail, en France: 16,7 % des fonctionnaires sont syndiqués, 6,5% des titulaires d'un CDI à temps complet, 5,8% des CDI à temps partiel, 3% des titulaires d'un CDD et... 0,9% des intérimaires.

Malgré la faiblesse du nombre des adhérents, la France occupe la 10ème place (sur 25) en termes de présence syndicale sur les lieux de travail: 56% des salariés déclaraient en 2005 qu'un ou plusieurs syndicats étaient présents dans leur entreprise ou administration contre 52% pour la moyenne européenne.

L'absence d'adhésion n'empêche pas de bénéficier de droits ou des conventions collectives

Par ailleurs, on l'a dit, le taux de couverture conventionnelle des salariés français atteint 93% contre 56% en moyenne dans les pays de l'OCDE. Mais ceci s'explique par la différence entre les législations. Ainsi, en France, il existe une procédure d'extension des conventions collectives. Celle-ci permet d'étendre des accords de branches à des entreprises qui ne sont pas adhérentes de l'une ou des organisations patronales signataires de cet accord.

Résultat, une majorité de salariés sont couverts même si la présence dans l'entreprise est faible ou nulle. Dans certains pays, à l'inverse, l'extension des accords collectifs est inexistante (Canada, Danemark, Etats-Unis, Irlande, Suède, etc.). Une situation qui pousse les salariés à se syndiquer pour obtenir des avantages dans leurs entreprises.

Pour les auteurs de l'étude,  c'est donc la conception même du système français des relations sociales qui ne pousse pas les salariés à se syndiquer puisque l'on peut, sans être adhérent, d'une part, bénéficier des conventions collectives et, d'autre part, avoir accès à diverses prestations sociales. Ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres pays de l'OCDE. Ainsi, en Belgique et en Suède, les salariés syndiqués bénéficient d'allocations chômage "améliorées".

Développer l'offre de services des syndicats

Mais l'étude ajoute une autre raison au faible taux français de syndicalisation: en France, le syndicalisme de "services" (information/conseil sur le droit du travail, assistance juridique, aides sociales, loisirs, etc.) ne serait pas assez développé. Une critique qu'il convient pourtant de modérer. En effet, depuis une vingtaine d'années, l'ensemble des organisations syndicales françaises multiplient les "offres de services" dans tous les domaines de la vie professionnelle ou privée (caisse d'action sociale, assistante juridique aux prud'hommes, etc.).

En conclusion, l'étude du Trésor plaide pour le développement en France d'un "syndicalisme d'adhérents" pour améliorer le dialogue social dans les entreprises car, selon elle, "il existe une corrélation positive entre le taux de syndicalisation d'un côté, le taux d'emploi de l'autre et des relations professionnelles considérées comme coopératives par les entreprises d'un pays".

Pour y parvenir, les auteurs préconisent d'accentuer l'offre des services proposés par les syndicats français. En revanche, ils semblent nettement plus dubitatifs sur les incitations fiscales (crédit d'impôt ou réduction d'impôt correspondant aux dépenses de cotisations syndicales) ou financière (chèque syndical et prime syndicale versée par les syndicats à leurs adhérents).