Budget 2015 : Hollande dans l'impasse

Par Ivan Best  |   |  1554  mots
Croissance économique surestimée, tout comme les économies budgétaires: le projet de budget pour 2015 risque de ne pas amener les fameux "résultats", tant attendus par l'ensemble de la gauche

Le projet de budget pour 2015 que le gouvernement a présenté aujourd'hui en conseil des ministres est-il réaliste ? Voilà quelques années, l'interrogation aurait suscité maints débats, entre économistes de tous bords, majorité et opposition, des semaines durant. Imposée par les derniers traités européens, la mise en place d'un Haut conseil des finances publiques, composé d'experts incontestables, sous l'égide du premier président de la Cour des comptes, permet de trancher par avance les discussions à venir.
Le Haut Conseil a publié ce matin même un avis aux conclusions suffisamment nettes pour qualifier ce projet de budget 2015 : il est d'ores et déjà caduc. Ou presque.

1% de croissance: c'est encore trop optimiste

Car ce projet de loi de Finances, qui permet au gouvernement d'afficher une très légère baisse du déficit public (4,4% du PIB en 2014, 4,3% en 2015), déficit qui suscite tant de critiques en Europe, et notamment en Allemagne, repose sur deux hypothèses. La première, c'est un redémarrage de la croissance, permettant d'atteindre une hausse de 1% du PIB en 2015. Sans ce redémarrage, les recettes fiscales ne seront pas, une fois de plus, au rendez-vous -c'est leur chute qui explique le dérapage du déficit en 2014, de 3,6% du PIB initialement prévus à 4,4% finalement estimés.
Or, le Haut Conseil des Finances publiques juge « optimiste » cette prévision de croissance de 1% pour 2015. Il liste une série d'argument en ce sens:

« En effet, atteindre une croissance du PIB de 1 % en moyenne annuelle en 2015 suppose un redémarrage rapide de l'activité sur un rythme moyen d'au moins 1 % l'an. Or les dernières enquêtes de conjoncture ne signalent pas une telle accélération à horizon de la fin de l'année 2014. En outre, « le scénario macroéconomique du Gouvernement présente plusieurs éléments de fragilité. Ils concernent à fois la demande mondiale et la demande intérieure (investissement des entreprises et consommation des ménages) :
-L'environnement international, qui est soumis à un certain nombre de risques majoritairement baissiers, pourrait se révéler moins porteur que ne l'anticipe le Gouvernement. L'Organisation mondiale du commerce a récemment révisé à la baisse sa prévision de croissance du commerce mondial à 4 % en 2015 contre 5,2 % dans le scénario du Gouvernement. Le redémarrage de l'activité pourrait être plus lent dans certains pays de la zone euro, notamment l'Italie. Le ralentissement à l'oeuvre dans certaines économies émergentes risque par ailleurs de se prolonger en 2015 ;
-La reprise de l'investissement productif (hors construction) pourrait être retardée compte tenu du faible taux d'utilisation des équipements, de perspectives d'activité incertaines et de la faiblesse des taux de marge sur lesquels le CICE n'a, pour l'instant, eu qu'un impact limité ;
-Le rebond de la consommation des ménages, qui repose sur une combinaison d'hypothèses favorables, pourrait être de moindre ampleur. En particulier, l'absence persistante d'amélioration sur le marché du travail pourrait conduire les ménages à ne pas diminuer leur épargne de précaution.

De cette situation économique encore très grise, il faudra tirer les conséquences budgétaires, notamment s'agissant des recettes. Bercy prévoit une accélération de la masse salariale versée par les entreprises, sur laquelle sont basées les cotisations sociales et les deux tiers de la CSG. Selon les experts officiels, cette masse salariale progresserait de 2% en 2015, après +0,8% en 2013 et +1,6% en 2014. Si cette hausse de 2% n'est pas atteinte, le déficit de la sécurité sociale -13,4 milliards d'euros prévus- sera plus lourd qu'annoncé, faute de recettes.

Hausses de prélèvements obligatoires pour les ménages

Les recettes risquent de manquer alors même que les ménages sont, une fois de plus, largement mis à contribution. Certes, l'impôt sur le revenu baisse de 3,2 milliards d'euros, mais les cotisations retraites augmentent -réforme de 2012 et de 2013-, tout comme les impôts locaux -c'est en tous cas ce que prévoit le gouvernement, selon les documents transmis au Haut conseil des Finances publiques- et la Contribution au service Public de l'électricité -financement des énergies vertes, figurant sur les factures EDF-, dont on parle peu mais dont le montant total pourrait dépasser les 7 milliard d'euros en 2015 !

Sans parler des taxes sur le gazole, accrues de 4 centimes par litre,  et de la redevance télé, relevée de trois euros. Autrement dit, pour la deuxième année consécutive, les prélèvements sur les entreprises baissent -montée en puissance du CICE, allègement des cotisations famille-, mais pas sur les ménages.

Au total, en raison de la baisse des charges au profit des employeurs, les prélèvements obligatoires baisseraient, très légèrement, de 0,1 point à 44,6% du PIB. Ils avaient continûment augmenté depuis 2010...

Les économies ne seraient pas au rendez-vous

Deuxième hypothèse formulée par le gouvernement -on peut même parler d'ambition, en l'occurrence- : réaliser 21 milliards d'euros d'économies en 2015 sur la dépense publique. Sans ces économies, le déficit ne baissera évidemment pas, il s'inscrira même en hausse.
Le gouvernement prévoit, grâce à ces coupes dans les budgets, freiner fortement la dérive spontanée des dépenses, qui atteignait 2% l'an en volume -une fois l'inflation déduite- au cours des années 2000. Bercy estime pouvoir limiter cette dérive à 0,2% en 2015. Avant déduction de l'inflation, cela correspond à une hausse, en valeur, de 1,1%.
Sur cet objectif, le Haut Conseil des Finances publique émet des doutes sévères:

L'objectif sera difficile à atteindre pour certains postes :
-la masse salariale des administrations publiques (hors cotisations sociales employeurs) serait stabilisée en volume, ce qui suppose, outre la parfaite tenue de la masse salariale de l'Etat, une rupture de tendance forte pour les collectivités locales et les hôpitaux ;
-l'inflexion de la dépense publique locale dépendra du comportement des collectivités locales en réponse à la baisse des dotations de l'Etat. Elles ont par exemple la faculté de les compenser en partie par des hausses d'impôt. De plus les réformes structurelles portant sur l'organisation des collectivités locales ne sont susceptibles d'avoir un impact financier qu'à moyen terme .
L'effort sur la dépense est réel depuis 2011. Le Haut Conseil considère toutefois, au vu des mesures présentées, que l'objectif d'une croissance de la dépense publique limitée à 1,1 % en valeur, prévu pour 2015, risque de ne pas être atteint.

En outre, les estimations concernant la sphère sociale sont sujettes à caution. Exemple : comment afficher d'ores et déjà près de 500 millions d'euros d'économies sur les dépenses d'assurance maladie grâce à la mise en place de la chirurgie ambulatoire, alors qu'elle relève d'une série de micro-décisions ?

 Des résultats?

Bref, on peut douter des 21 milliard d'euros d'économies, et surtout du quasi gel de l'ensemble de la dépense publique : il y a fort à parier qu'en mars 2016, lorsque sera publié le premier bilan des finances publiques pour 2015, sera constaté une hausse des dépenses bien supérieure. Mais les observateurs seront alors passés, sans doute, à un autre sujet.

En réalité, ce projet de budget pour 2015 risque de n'amener aucun des fameux résultats tant attendus par la gauche, Frondeurs compris. Ainsi que le souligne le Haut Conseil des Finances publiques, l'année 2015 risque de se solder par une quasi-stagnation, à nouveau, de l'activité, avec, à la clé une situation de l'emploi en berne. Le gouvernement prévoit une maigre progression du nombre d'emplois (+0,3% pour l'ensemble de l'économie, administrations comprises). Celle-ci risque d'être nulle.

On imagine aisément les conséquences de cette situation sur le chômage, dont l'Unedic prévoit qu'il augmentera de 100.000 en 2015.
S'agissant des déficits publics, le ministre des Finances, Michel Sapin, souligne lui-même la faiblesse de la diminution, mettant en garde les parlementaires socialistes qui voudraient des mesures plus « sociales », dans le cadre de la prochaine discussion du budget : « 0,1 point de PIB, c'est seulement 2 milliards d'euros », relève-t-il.
La probabilité est donc grande de voir le déficit des administrations augmenter en 2015, par rapport à l'estimation révisée pour 2014 (4,4% du PIB). Bien loin des 3% réclamés par la commission de Bruxelles...

La reprise, toujours repoussée...

Pas de baisse du chômage, nouvelle dégradation du déficit et donc alourdissement de la dette à grande vitesse : l'année 2015 ne serait pas celle de la reprise toujours attendue pour les mois à venir, et toujours repoussée à l'année suivante.
François Hollande, qui tant de fois a annoncé l'embellie, avant d'être démenti par les faits, ne se risque plus au moindre pronostic. C'est prudent. Il pourra toujours dire qu'avec le pacte de compétitivité, il a préparé l'avenir, en rétablissant les marges des entreprises.
Une politique de l'offre que même des économistes keynésiens appellent de leurs vœux, mais dont les effets positifs ne se font sentir qu'à long terme. Pas en 2015, donc.
A moins d'une envolée subite des exportations liée à la baisse de l'euro, et qui serait accompagnée par une diminution des cours pétroliers -sinon, l'essence verra son prix rebondir- , à moins d'une conjonction quasi miraculeuse, donc,  l'exécutif va se heurter une fois de plus à un mur dans sa tentative d'obtenir des résultats. L'impasse...