Le gouvernement Valls est-il bloqué ?

Par Philippe Mabille  |   |  994  mots
Mardi 16septembre, le gouvernement Valls II a obtenu la confiance de l'Assemblée nationale, mais à une majorité étriquée de 269 voix (contre 306 en avril, et pour une majorité absolue de 257), tandis que 244 députés ont voté contre. 31 députés PS se sont abstenus.
Comment débloquer un pays crispé autour d’un socle de mesures politiquement acceptables, économiquement efficaces et socialement justes ? La nouvelle équipe gouvernementale affronte une responsabilité historique, sur fond de crise politique et morale.

Avec une croissance en panne, presque à l'arrêt, des résultats franchement calamiteux sur le front du chômage et des déficits, publics et extérieurs, la France mérite-t-elle le qualificatif d'« homme malade » de l'Europe que l'on entend partout dès que l'on franchit les frontières ? Une chose est sûre, la France de 2014 inquiète, non seulement parce qu'elle donne le sentiment d'avoir décroché du train européen, mais aussi et surtout parce qu'elle ne donne pas, ou pas encore, l'impression d'en avoir pris toute la mesure.

Avant l'été, avant que François Hollande n'achève son virage social-démocrate en se séparant de tous les ministres qui refusaient d'entrer dans sa ligne, l'ex-commissariat au Plan, rebaptisé France Stratégie, avait publié, sous la signature de son patron, l'économiste Jean Pisani-Ferry, un énième rapport sur la France dans dix ans, tentant d'apporter un diagnostic « objectif » de notre situation, dans un louable effort de projection dans l'avenir. Parmi les innombrables questions qui se posent, l'une d'elles, passée curieusement assez inaperçue, lançait un pavé dans la mare : « Avons-nous encore les moyens de notre modèle social ? »

Question actuelle s'il en est, à l'heure où un gouvernement de gauche « décomplexée », orientée sur une ligne franchement pro-entreprise (pour ne pas dire libérale, puisqu'il paraît qu'en France c'est un gros mot), affirme, avec Manuel Valls à Matignon et Emmanuel Macron à Bercy, vouloir accélérer le pas des réformes, au nom justement du sauvetage dudit modèle français. Pour les uns, celui-ci est notre « emblème » ; pour les autres, il est « notre fardeau ». Ce modèle que, paraît-il, le monde entier nous envie doit être entendu dans sa définition la plus large : la protection sociale (maladie, retraite, chômage, famille, accidents du travail), plus une multitude de prestations sous conditions de ressources, plus la réglementation du travail, la politique du logement, l'éducation et la formation.

Un nouveau logiciel ?

Ce modèle redistributif, l'un des plus généreux au monde, est financé par un ensemble de recettes publiques, impôts et cotisations, mais rencontre deux limites. Son financement, d'abord, qui a longtemps reposé sur la croissance, est fragilisé par les pressions déflationnistes actuelles. Si l'on croit à la thèse selon laquelle l'Occident est entré dans un cycle de croissance et d'inflation très faibles, voire, de stagnation séculaire (au sens de Robert Gordon), alors, il y a tout lieu d'être très inquiet car le modèle français est condamné à plus ou moins brève échéance. Sauf à être profondément revisité.

Une deuxième critique porte non pas seulement sur son coût, mais sur son efficacité. Reposant sur un contrat implicite avec la classe moyenne, qui le finance parce qu'elle en bénéficie, le modèle français est certes l'un des plus coûteux, mais pas celui qui produit les meilleurs résultats en termes de lutte contre les inégalités. C'est globalement vrai des inégalités monétaires (la France a un des meilleurs indices de Gini des pays développés), mais pas des inégalités en matière d'éducation, de logement et surtout d'emploi, notait le rapport France 2025. Pire, le risque est aujourd'hui de faire le constat que ce modèle favorise un chômage de masse. Parce que visant trop large, il rate finalement sa cible prioritaire, à savoir ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi. C'est le procès fait par Emmanuel Macron, avant qu'il ne devienne ministre, dans son entretien au Point, lorsqu'il s'inquiète du décalage entre « droits formels » et « droits réels » des travailleurs.

Un programme hors sujet  et hors proportion

À l'heure où le gouvernement Valls II, conforté in extremis mardi par une majorité certes étroite et relative, affirme vouloir accélérer le tempo des réformes, cette réflexion sur la croissance et la capacité de la France à sauvegarder son modèle social est évidemment décisive. Au nom de la croissance et de l'emploi, François Hollande a engagé la gauche dans une politique de l'offre, pro-entreprise, politiquement et économiquement risquée. Pour libérer les énergies, le gouvernement, sous le vocable « simplifications », met le cap sur quelques réformes symboliques pour déverrouiller le pays : relèvement des seuils à partir desquels certaines obligations sociales s'imposent aux entreprises ; augmentation, dans certaines zones touristiques, du nombre de dimanches et de soirs où le travail est permis ; allégement des contraintes pour accéder à certaines professions réglementées (professions du droit, de la santé).

Autant de gadgets qui occuperont sans doute l'espace médiatique et visent, de façon louable, à créer un environnement plus proentreprise. Mais en dehors du choc positif sur la confiance des patrons et entrepreneurs, ce programme demeure encore largement hors sujet et hors de proportion avec ce qu'exigerait une réelle volonté de débloquer la France. La question des 35 heures est refermée avant même d'avoir été ouverte ; celle du code du travail et de son inadaptation à un monde où les cycles économiques et technologiques sont de plus en plus rapides n'est pas même abordée. Quant à la concurrence, la façon dont la gauche a cédé à la corporation des taxis contre les VTC en dit long sur sa capacité à affronter les groupes de pression.

La balle des réformes est de facto renvoyée aux partenaires sociaux auxquels il est demandé, une fois de plus, de négocier, sur les retraites complémentaires ou l'assurance-chômage. Mais, coincé entre les positions de plus en plus extrémistes du Medef, le conformisme de syndicats sur la défensive, même les plus réformistes, et une majorité frondeuse, le trio Hollande-Valls-Macron semble loin d'être en mesure d'accoucher du programme à la Schröder dont certains rêvent tout haut. Blocages, vous avez dit blocages...