Emmanuel Macron connaît-il vraiment les lois sur les 35 heures ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1502  mots
Ce que l'on peut concéder au ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, c'est la complexité du dispositif. Pour connaître toutes les arcanes du droit de la durée du travail, toutes ses possibilités, il faut être un spécialiste. Et les TPE/PME n'ont pas les moyens d'engager un tel profil.
Le ministre de l’Économie Emmanuel Macron a souhaité que des accords d'entreprise puissent donner davantage de "souplesse" aux 35 heures. Or, ces accords existent déjà...

Est-ce le résultat de la très mauvaise conjoncture économique ? Est-ce à cause du désespoir de constater que la courbe du chômage ne parvient toujours pas à s'inverser ? Est-ce la preuve que le gouvernement est aux abois ? Toujours est-il que les récents propos d'un ministre sur les 35 heures, Emmanuel Macron en l'occurrence, et d'un éminent « baron régional »du PS, le sénateur-maire de Lyon Gérard Collomb, sur les contrats de travail, ne peuvent que déconcerter.

Le premier ne veut pas mettre « les 35 heures sur un piédestal » et souhaite que des « accords majoritaires » viennent donner davantage de souplesse en matière de durée du travail. Quand au second, il préconise d'instituer des contrats à durée indéterminée (CDI) avec une période d'essai de « deux à trois ans ».

Un employeur a-t-il besoin de trois ans pour évaluer son employé?


Commençons par la proposition du sénateur-maire de Lyon. Il suggère de laisser la possibilité aux entreprises de se séparer d'un salarié les deux ou trois premières années de son contrat sans avoir besoin de justifier cette rupture et donc sans passer éventuellement par la case prud'hommes en cas de contestation.

Certes, mais première interrogation : que penser d'un employeur qui aurait besoin de deux ou trois ans pour juger des compétences professionnelles d'un salarié ? Cela semble bien long. Ensuite, s'il y a un surcroît exceptionnel d'activité ou si l'entreprise à un doute sur la pérennité de son carnet de commandes, elle peut recourir à un contrat à durée déterminée relativement long. Le code du travail autorise des CDD de 18 mois, voire de 24 mois. Pas la peine donc d'aller « inventer » un CDI avec une période d'essai aussi longue. La « souplesse » existe déjà.

Mais, surtout, le sénateur-maire de Lyon a la mémoire courte. En 2005, par la voie d'une ordonnance, le Premier ministre d'alors, Dominique de Villepin, avait institué le « contrat nouvelle embauche » (CNE). Dont la particularité était de prévoir une période de "consolidation" de deux ans maximum dont le point commun avec la période d'essai était de pouvoir être rompue tant par l'employeur que par le salarié sans indication de motif.

Ce CNE a peine institué, la jurisprudence a commencé à pleuvoir pour condamner cette période de deux ans. Ainsi, par exemple, en juin 2007, la Cour d'appel de Bordeaux a considéré que « la durée d'ancienneté requise ... fixée à deux années... n'apparaît pas raisonnable au sens de la convention tant il s'avère intolérable pour un salarié ayant travaillé deux années dans une entreprise de se voir licencier sans aucun motif. » Puis, en 2008, c'est la Cour de cassation, plus haute autorité judiciaire française en droit privé, qui a condamné le CNE pour les mêmes motifs : le délai de « consolidation » de deux ans n'est pas « raisonnable » au regard des obligations internationales de la France, notamment la convention 158 de l'organisation internationale du travail (OIT) et de la Charte sociale européenne, et toute rupture de contrat de travail doit être justifiée.

Le couperet définitif est tombé le 14 novembre 2007. En substance, l'OIT, saisie par le syndicat Force Ouvrière, a considéré que la période de deux ans « n'est pas raisonnable » et que toute rupture doit être motivée. Résultat, la loi sur le CNE est abrogée en juin 2008 par le Parlement et toutes les personnes embauchées en CNE voient leur contrat automatiquement requalifié en CDI.
On ne comprend pas comment Gérard Collomb a pu avoir oublié cet épisode. Il aurait du réviser... avant de s'exprimer. Certes, son intention était louable : rassurer au maximum les employeurs qui ont peur de recruter. Dans ce cas, il aurait été, éventuellement, plus inspiré de proposer une réforme de la procédure prud'homale. Et encore, on a envie de lui rappeler qu'il existe depuis 2008 le dispositif de la rupture conventionnelle du contrat de travail qui permet à un salarié et à une entreprise de se quitter « à l'amiable » relativement rapidement...

Quand Macron  "oublie" que la législation sur les 35 heures prévoit de nombreux aménagements par accord


Quant aux propos d'Emmanuel Macron sur les 35 heures, c'est sans doute nettement plus grave. Ils semblent en effet signifier que le ministre des Finances ne connaît pas les dispositions législatives sur la durée du travail en général et les 35 heures en particulier. Car ce qu'il suggère - parvenir à davantage de flexibilité via des accords d'entreprise -... existe déjà. Démonstration.
Il convient d'abord de rappeler que les « 35 heures »légales ne sont en réalité que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. En d'autres termes, la durée légale du temps de travail n'a rien à voir avec la durée effective. Pour preuve, si la durée légale hebdomadaire du travail en France est fixée à 35 heures, la durée effective, elle, pour les salariés à temps plein, se situait en 2013 à 39,2 heures selon l'Insee.

En effet, en France, l'employeur est libre de fixer la durée effective du travail. Il doit juste respecter les limites européennes : 44 heures par semaine, voire 48 heures sur un cycle court. Sa seul obligation est de rémunérer en « heures sup », les heures effectuées au-delà de la 35e heure. En règle générale, la bonification est égale à un taux de 25% pour les 8 premières « heures sup » et 50% au-delà. Mais - Emmanuel Macron  va être content -, un accord d'entreprise, voire de branche, peut ramener ce taux de bonification à 10%. Concrètement, « l'heure sup » d'un salarié au Smic (9,53 euros de l'heure), représentera alors un surcoût de... 0,953 euros pour l'entreprise.

Encore mieux, depuis une loi de 2008, le contingent d'heures supplémentaires qu'il est possible de faire effectuer à un salarié dans l'année peut être... librement négocié via un accord d'entreprise. A défaut d'accord, ce contingent est égal à 220 heures annuelles, soit... plus de six semaines de travail supplémentaires possibles.
On pourrait aussi ajouter que la législation sur le temps de travail ouvre tellement de possibilités qu'elle permet même potentiellement d'éviter de payer des « heures sup ». Il suffit pour cela de proposer aux salariés des forfaits annuels en jours (jusqu'à 282 jours de travail) ou en heures. Et que dire de l'organisation en cycle de travail qu'a permis l'annualisation du temps de travail, tant réclamée par les entreprises, et accordée par la première loi Aubry sur les 35 heures.

Concrètement, des accords peuvent prévoir une modulation du temps de travail sur l'année: par exemple, certaines semaines de travail sont travaillées 42 heures (non rémunérées en « heures sup ») et d'autres moins. Seulement, in fine, sur l'année, la durée moyenne de 35 heures doit être respectée. Un dispositif salué par les entreprises car il permet, quand c'est nécessaire, de parvenir à une hausse très sensible de la durée d'utilisation des équipements.

Les accords de maintien dans l'emploi peu utilisés


Enfin, il convient aussi de rappeler que depuis l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, repris dans la loi de sécurisation de l'emploi de juin 2013, les entreprises qui rencontrent un difficulté conjoncturelle ont la possibilité de conclure pour deux ans des accords de « maintien de l'emploi ». Concrètement, ces accords permettent d'augmenter le temps de travail sans compensation financière, voire le diminuer avec baisse de salaire en contrepartie d'engagements sur l'emploi. Or, les entreprises utilisent très peu ce dispositif, seuls cinq accords ont été conclus. Il est vrais que des « mastodontes » comme Air France, PSA et Renault avaient conclu de tels accords avant l'entrée en vigueur de la loi. A noter que le Medef trouve ces accords de maintien dans l'emploi trop limités, il souhaiterait ouvrir la possibilité de conclusion de tels textes à des situations plus variées

Bref, Emmanuel Macron ne peut ignorer tout ce que les dispositions législatives sur la durée du travail autorisent, toutes les souplesses qu'elles accordent aux entreprises via la conclusion d'accords. Les 35 heures ne sont absolument pas un « carcan », il est possible de travailler bien davantage en toute légalité. En revanche, ce que l'on peut concéder au ministre de l'Économie, c'est la complexité du dispositif.

Pour connaître toutes les arcanes du droit de la durée du travail, toutes ses possibilités, il faut être un spécialiste. Et les TPE/PME n'ont pas les moyens d'engager un tel profil. Bien souvent, leurs comptables ou experts-comptables sont aussi mal outillés pour les conseiller. A l'évidence, il y a là une importante marge de progression.
Dans les plus grandes entreprises, dotées d'un service ressources humaines, le problème est nettement moins aigu.  Et, de toute façon, pour ces sociétés, il n'est pas question de rouvrir le dossier du temps travail, il a été trop difficile de parvenir à un savant équilibre.