Plan franco-allemand : le gel des salaires est-il justifié ?

Par Fabien Piliu  |   |  854  mots
Les propositions du rapport de Jean Pisani-Ferry et l'allemand Henrik Enderlein seront-elles retenues par Bercy ?
Le rapport du tandem franco-allemand pourrait prévoir une stabilisation des salaires. Au-delà de la question de la faisabilité de cette mesure, comment évoluent actuellement les salaires en France ?

Pour redresser la compétitivité de l'économie française, le rapport rédigé par le Français Jean Pisani-Ferry et l'allemand Henrik Enderlein propose de stabiliser les salaires. Au-delà de la question de la faisabilité de cette proposition - il y a fort peu de chances que les syndicats acceptent -, de sa légitimité - la France se réformerait en échange d'un geste de l'Allemagne en faveur d'une augmentation des investissements dans le domaine le domaine des infrastructures... en Allemagne -, est-il si urgent de stabiliser les salaires ?

La France en panne de croissance

Incités à le faire par la reprise fulgurante de l'économie française et la mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), les entreprises aux marges fortes auraient donc décidé de récompenser leurs salariés en leur accordant de généreuses augmentations ?

La réalité est bien différente. De croissance, il n'y a point. Quant à l'usage du CICE, plusieurs études indiquent qu'il sert en grande partie à financer les besoins de trésorerie des entreprises. Pas véritablement à augmenter les salaires. Et quand bien même ! Le CICE n'a-t-il été aussi mise en place pour inciter les entreprises à mieux rémunérer leurs salariés ? C'est l'une des raisons pour lesquelles le CICE n'a pas été limité aux seuls secteurs exportateurs mais à l'ensemble des secteurs composant le tissu économique, justifiant ainsi l'intégration du E pour Emploi dans le nom de baptême du dispositif.

Certes, influencés notamment par les augmentations régulières du SMIC - il a progressé de 1,1% le 1er janvier - ou encore par la hausse des salaires concernés par les négociations annuelles des accords de branche, les salaires continuent de progresser en France. Mais, poids de la crise oblige, ils sont en phase de décélération. Selon l'Insee, ils ont augmenté en moyenne de 1,7% au deuxième trimestre sur un an, à comparer à une hausse annuelle de 2,4% au premier trimestre.

Cette décélération fut encore plus sensible au cours de la période récente. Après avoir augmenté de 0,5% entre le dernier trimestre 2013 et le premier trimestre 2014, ils n'ont progressé que de 0,2% entre le premier et le deuxième trimestre 2014. Si cette tendance devait se maintenir, voire se prolonger, les salaires augmenteraient donc moins vite que l'indice des prix à la consommation. En octobre, le taux d'inflation ne s'élevait qu'à +0,5% sur un an. Un tassement qui explique en grande partie la panne de la consommation des ménages. Toujours selon l'Institut, celle-ci ne devrait augmenter que de 0,1% cette année.

Des baisses de salaires dans certains secteurs

Selon l'enquête de l'Insee portant sur le coût du travail, les salaires décélèrent dans la plupart des secteurs. Ainsi, les salaires dans l'industrie ont augmenté de 1,9% au deuxième trimestre sur un an, après avoir progressé e 2,3% au trimestre précédent, toujours sur un an. Dans le tertiaire, la progression est passée de +2,3% à +1,7%. Dans certains secteurs, la décélération est encore plus brutale. C'est le cas dans les services administratifs (+0,7% après +2,5%), les activités spécialisées scientifiques et techniques (+0,7% après +2,6%), la finance (+1,7% après +4%), la construction (+1% après +2,5%). Dans ce secteur en crise, les derniers mois ont été si terribles que les salaires ont reculé de 0,7% entre le premier et le deuxième trimestre. Un recul également visible dans les industries extractives, où les salaires se sont repliés de 1,6% sur cette même période.

Les Français désépargnent ?

Une tendance qui explique peut-être la forte décollecte du Livret A et du Livret développement durable (LDD. Ainsi, sur les dix premiers mois de l'année, la décollecte de ces deux produits d'épargne s'est élevée à 4,59 milliards d'euros. En octobre, les épargnants ont retiré 3,8 milliards d'euros de leur Livret A. Ce record intervient après cinq mois consécutif de collecte nette négative pour le Livret A. Bien sûr, cette décollecte s'explique en partie par la faible rémunération de ces produits d'épargne - 1% depuis le 1er août -, une partie des particuliers transférant alors leur bas de laine vers l'assurance-vie ou le Plan d'épargne logement (PEL) actuellement plus rémunérateurs, leur rendement s'élevant à +2,5%. Mais elle trouve également son origine dans les difficultés quotidiennes des ménages à financer leurs fins de mois. Selon un sondage LH2 pour CA Com et BFMTV publié début novembre, 37% des consommateurs avouent avoir des difficultés à joindre les deux bouts en fin de mois. Cette proportion est en hausse de six points en l'espace de huit mois et même de quinze points depuis janvier 2013.

Alors que le gouvernement tente désespérément les moyens de transférer tout ou partie de l'épargne des Français dans l'économie réelle, créant par exemple le PEA-PME qui est pour l'instant un échec cuisant, la crise lui a peut-être fourni une solution à laquelle il ne pensait pas...