François Hollande se pose en héraut du dialogue social

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1086  mots
Le président dela République prévient les organisations patronales et syndicales; un echec de la négociation sur le dialogue social "aurait des conséquences qui iraient bien au-delà de cette réforme".
Lors de la présentation de ses vœux au monde du travail ce lundi 19 janvier, le président de la République a vanté les mérites de la négociation sociale pour mener les réformes. Il a exhorté patronat et syndicat à trouver un accord sur la réforme du dialogue social en entreprise.

François Hollande ou l'art de rebondir ! Présentant ce lundi 19 janvier 2015 ses vœux aux "acteurs de l'entreprise et de l'emploi" (chefs d'entreprise, organisations patronales et syndicales, etc.), le président de la République, qui avait mis le dialogue social au cœur de son discours, a su tirer partie de l'échec - temporaire - , samedi dernier à l'aube, de la négociation sur le renouveau du... dialogue social entre le patronat et les syndicats.

Ainsi, au moment même où le chef de l'Etat réaffirme avec force que le dialogue social est la méthode qu'il a choisie « pour réformer le pays », les partenaires sociaux lui font l'affront de ne pas trouver un terrain d'entente sur les moyens de simplifier et renouveler ce même dialogue social en entreprise. François Hollande aurait eu de quoi s'énerver.

Ce ne fut pas le cas, le président de la République, au contraire, a défendu son choix de faire appel régulièrement aux syndicats et au patronat pour négocier des sujets qui, par petites touches successives, remodèlent le droit et le marché du travail français.

Ainsi, le locataire de l'Elysée s'est félicité des accords nationaux interprofessionnels (ANI) intervenus sur la réforme du marché du travail, de la formation professionnelle, l'instauration du contrat de génération, etc. Il a même renvoyé dans leurs buts ceux qui le pressent d'aller plus vite, en agissant par décrets ou ordonnances. Non, lui, continue de faire confiance au dialogue social, fidèle à son positionnement social-démocrate.

Cela dit, le président de la République oublie juste de dire qu'il n'avait en vérité pas le choix. De fait, depuis la loi Larcher de 2007, aucune modification législative du Code du travail ne peut intervenir sans que, au préalable, les organisations patronales et syndicales aient été saisies pour leur demander de négocier. C'est seulement en cas d'échec de la négociation que le gouvernement retrouve toute sa marge de manœuvre pour présenter un projet de loi.

François Hollande fait pression sur les partenaires sociaux

Pour autant, le président de la République a profité de l'échec de la réunion paritaire de samedi pour lancer un avertissement aux partenaires sociaux qui doivent se retrouver jeudi prochain pour une ultime séance de négociation. "Un échec aurait des conséquences qui iraient bien au-delà de cette réforme", a déclaré le président, "Vous avez un rendez-vous jeudi et je pense que c'est le dernier".

Certes, le président a trouvé "légitime que les discussions soient ardues et plus longues que prévu", reconnaissant que "le sujet est difficile", touchant à "des traditions, des représentations", mais a-t-il souligné, ce sujet est "néanmoins majeur".

De toute façon, quoi qu'il arrive, le gouvernement a prévu de légiférer sur ce dossier au deuxième trimestre. Soit le projet de loi reprendra le contenu d'un éventuel accord, soit le gouvernement improvisera sa propre réforme. A cet égard, François Hollande a insisté sur le fait qu'il ne fallait pas compter "sur le législateur pour traduire les vœux des uns et des autres alors que les partenaires sociaux n'auraient pas réussi à conclure".

Une façon de prévenir ceux qui espèrent que le gouvernement reprendra leurs idées en cas d'échec de la négociation qu'ils se trompent. "Ne demandons pas à la démocratie politique de régler ce que la démocratie sociale ne serait pas capable de faire elle-même", a-t-il dit. A l'inverse, pour le président, s'il y a accord « ce serait un bel exemple de compromis pour moderniser le pays ».


Une réforme structurelle du Code du Travail

On saura donc jeudi soir s'il y aura un accord. Si c'est le cas, ce sera une sacrée victoire pour la méthode Hollande. Le président de la République pourra arguer qu'il est possible de mener  "tranquillement" des réformes structurelles en France. De fait, ce ne sont rien moins que soixante-dix ans de construction du Code du travail qui sont ici en question : depuis l'instauration du comité d'entreprise en 1945, jusqu'aux loi Auroux de 1982 modifiant la représentation du personnel, en passant par la création des sections syndicales d'entreprise en 1968...

Car, avec le projet d'accord actuellement en discussion, le CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et, surtout, le comité d'entreprises (CE) pourraient tout bonnement disparaître... au profit du « Conseil d'entreprise », une instance unique de représentation du personnel qui regrouperaient toute les formes de représentation actuelles (délégués du personnel, CHSCT, comité d'entreprise mais aussi, en partie, les délégués syndicaux) dans les entreprises d'au moins 11 salariés. On comprend que les syndicats s'arcboutent.

Si certains - comme la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC - sont prêts à accepter le principe de cette instance unique, tous veulent être certains que les prérogatives de ce Conseil d'entreprises seront équivalentes à celles des instances actuelles qu'il va remplacer. D'où les interminables discussions sur le droit à l'expertise, le nombre d'heures de délégation, les moyens des élus, etc.

Côté patronal, on sent que l'on tient là une chance historique de pouvoir, enfin, simplifier les seuils sociaux... Quitte a faire certaines concessions aux syndicats. Mais c'est là tout le problème du Medef et de son négociateur Alexandre Saubot.  Certaines de ces concessions ont du mal à passer auprès de plusieurs fédérations adhérentes du Medef.

Ainsi, le projet d'assurer une représentation du personnel - inexistante aujourd'hui - dans les entreprises de moins de 11 salariés, via des commissions régionales extérieures à l'entreprise, agace, non seulement l'organisation concurrente, la CGPME, mais aussi la fédération française du bâtiment. Des conflits internes au patronat qui expliquent en grande partie le blocage de samedi dernier. On verra jeudi prochain si ces difficultés sont aplanies.

En tout cas, si un texte est conclu, il s'agira d'un sacré clin d'œil à l'histoire. On retiendra en effet que c'est sous une majorité « socialiste » que les chefs d'entreprise auront obtenu satisfaction sur une  revendication quasi ancestrale : la simplification des institutions représentatives du personnel. On comprend pourquoi François Hollande, tout à son désir de retrouver la confiance du monde de l'entreprise, s'implique autant dans cette négociation.