Survie des régimes de retraites complémentaires, l'heure de vérité approche

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1159  mots
Les rudes négociations sur l'avenir des régimes de retraites complémentaires débutent le 17 février (Crédits : Reuters)
Le 17 février, organisations patronale et syndicales, gestionnaires des régimes de retraites complémentaires Agirc et Arrco, vont débuter un cycle de négociations. L'enjeu est de taille: trouver des mesures pour assurer le financement de ces régimes fortement menacés. Tout est sur la table: taux de cotisation, âge de liquidation, montant des pensions, etc.

Ça va être chaud. Mardi 17 février, les organisations patronales et syndicales se retrouvent pour lancer un cycle de négociation pour tenter de trouver une solution aux graves problèmes financiers que rencontrent les caisses de retraites complémentaires Arrco (salariés) et Agirc (cadres), malgré des précédentes mesures d'urgence déjà prises en 2013.

 Et le temps presse. La situation est tellement dégradée que l'Agirc pourrait se retrouver sans réserves financières dès 2017 ou 2018. D'où le besoin urgent de trouver une solution. Tout va être passé au crible : montant des pensions, valeur du point, taux d'appel, taux de cotisation, âge de liquidation possible des retraites complémentaires, etc.
Et ça va tanguer car les syndicats, du moins la CGT et FO, ne sont absolument pas sur la même longueur d'onde que le Medef concernant la nature du remède nécessaire. Mais, au préalable, quelques éléments de cadrage s'imposent.

Des régimes qui concernent 18 millions de salariés


Les deux régimes Arrco et Agirc couvrent plus de 18 millions de salariés et près de 12 millions de retraités. Ils versent chaque année plus de 70 milliards de pensions de retraite. Créés respectivement par négociation en 1947 et 1961, les régimes Agirc et Arrco sont gérés et pilotés par les seuls partenaires sociaux (organisations patronales et syndicales). Leurs dépenses annuelles constituent plus de 6,5% des dépenses publiques françaises.
La Cour des comptes a souligné l'excellente gestion de ces régimes jusqu'à ces dernières années. Ainsi, grâce à des mesures de grandes ampleurs amorcées dès 1993, les deux régimes vont connaître entre 1998 et 2008, onze années d'excédents, c'est-à-dire à encaisser plus de cotisations qu'ils n'ont versé de pension. Ils ont ainsi accumulé plus de 60 milliards d'euros de réserves.

Mais depuis 2009, la situation se dégrade. D'abord en raison du fort ralentissement de la croissance économique et de la montée du chômage. Ceci a eu pour conséquence une progression quasi nulle de la masse salariale. Or les cotisations Agirc/Arrco sont assises sur cette masse salariale. Ensuite, on assiste actuellement au départ en retraite des générations nombreuses de l'après guerre, les fameuses générations du « baby boom ». Ceci entraîne une dégradation structurelle du ratio cotisants/retraités. A l'Agirc et à l'Arrco, il y a actuellement 0,6 retraité pour un cotisant, en 2040, il y aura à l'Arrco 0,8 retraité pour un cotisant et à l'Agirc 0,9 retraité pour un cotisant.

Des perspectives financières très dégradées

Résultat, l'Agirc et l'Arrco sont en déficit depuis 5 ans. En 2013, ce déséquilibre a atteint 4,4 milliards d'euros, soit plus de 6% des dépenses. Pour assurer la continuité de versement des pensions, il a fallu faire appel aux réserves financières. Sinon, les retraités auraient vu le montant de leur pension de retraite très amputé. En effet, pour un salarié rémunéré au cours de sa carrière au niveau du salaire médian (soit actuellement 2.160 euros bruts par mois), la pension de retraite complémentaire représentera un quart de sa pension totale, soit 360 euros par mois. Pour un cadre rémunéré 5.400 bruts par mois, soit le salaire moyen des cadres, la pension de retraite complémentaire représentera 1.400 euros par mois, soit la moitié de la pension totale.

Selon les scénarios de croissance retenus, plus ou moins optimistes, les déficits annuels des régimes pourraient atteindre 4 ou 7... voire 20 milliards d'euros jusqu'en 2040. Dans ces conditions, toujours selon les hypothèses de croissance retenues, l'Arrco pourrait avoir épuisé ses réserves en 2025. Pour l'Agirc, c'est pire, l'absence de réserves pourrait se produire dès 2018... mais avec déjà moins de trois mois d'allocations de réserve dès 2016. Il y a donc le feu.

Il y a quelques semaines, dans un rapport remarqué, la Cour des comptes a émis un certain nombre de propositions pour stopper l'hémorragie : fusion de l'Agirc et de l'Arrco pour permettre une « fongibilité des réserves financières » et réaliser des économies d'échelle ; réfléchir à une éventuelle baisse des pensions ; envisager une déconnexion avec les conditions de départ en retraite en vigueur pour le régime général (actuellement fixé à 62 ans).

Vers des abattements sur les pensions?

Cette dernière suggestion va, en partie, être portée par le Medef lors de la négociation qui va s'ouvrir. L'idée de l'organisation patronale pour parvenir à des économies serait de pratiquer des abattements sur les pensions de retraites complémentaires perçues entre 62 et 67 ans. Avec l'espoir que ces abattements seraient suffisamment dissuasifs pour que les salariés retardent leur départ en retraite.

De fait, légalement, il est exact que l'âge de liquidation de la retraite complémentaire n'est absolument pas obligé de « coller » à celui nécessaire pour percevoir la retraite de base servie par la Sécurité sociale. Mais, dans les faits, au regard de l'importance de la part servie par les retraites complémentaires dans le montant total de la pension de retraite, cela conduira à retarder de facto le départ à la retraite des salariés.

La CGT veut augmenter de 2,45%  la "tranche B" Agirc

La CGT est déjà vent debout contre ces idées et avance ses propres solutions. Ainsi, elle propose d'augmenter de 2,45% le taux de cotisation Agirc sur la tranche supérieure au plafond de la Sécurité sociale (actuellement fixé à 3.170 euros par mois). Selon Sylvie Durand, administratrice CGT du GIE Arrco/Agirc : « Une telle augmentation permettrait d'équilibrer le régime dès 2023. Si l'on prend la clé de répartition classique des augmentations de cotisation, à savoir 48% à la charge des salariés et 62% à la charge des entreprises, pour un salaire de 4.000 euros mensuels, ceci correspondrait à une augmentation de 7,40 euros pour les salariés par mois »... Certes mais le problème est que le Medef ne veut entendre parler d'aucune hausse des cotisations.

De même, pour la CGT, si l'on parvenait d'ici 2024 à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes (actuellement, à qualification égale, la différence de rémunération est d'environ 20%), on parviendrait à réduire de 46% le déficit de l'Agirc à l'horizon 2040.
Les négociations vont donc être très tendues.

Elément de crispation supplémentaire soulignée par la CGT : la délégation patronale va être menée par Claude Tendil, grand spécialiste de l'assurance, président non exécutif de Generali France et ancien président de la Fédération française des sociétés anonymes d'assurances (FFSAA). « L'Agirc représente 40% du total de la pension de retraite des hommes cadres. Si par malheur le régime venait à disparaître, ce serait très bon pour les assureurs qui pourrait plus facilement placer des mécanismes individuels d'épargne retraite », fait remarquer la CGT. Ambiance !